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Draghi en Libye: mais les erreurs de Conte et de Di Maio pèsent

(Rome, 4 avril 2021). Mario Draghi se rendra en Libye dans deux jours. C’est un voyage important, le premier véritable test pour le premier ministre issu de la haute bureaucratie européenne et contraint de faire face à une réalité faite d’armes, de tribus, de renseignements et de trafiquants d’êtres humains. Ce n’est pas le froid de Francfort, mais la chaleur de la source profonde de Tripoli. Mais c’est à quelques kilomètres de la côte sicilienne : et là, notre destin en Méditerranée est en grande partie décidé. C’est pourquoi c’est ici, sur la côte libyenne, que Draghi a voulu effectuer sa première visite officielle à l’étranger. Ni à Berlin, ni à Paris, ni même à Bruxelles ou à Washington, mais sur ce «beau sol d’amour» qui pour l’Italie est toujours en tête de l’agenda stratégique.

Le problème est que Draghi arrive en Libye certainement pas avec un terrain préparé de la meilleure façon. Il est inutile de le nier : après dix ans de guerre et la chute du colonel Kadhafi, Rome a perdu l’influence qu’elle avait avec Tripoli pendant des décennies. Les accords secrets entre la Première République et la Jamahria et les accords officiels de Silvio Berlusconi avec le dirigeant libyen sont un lointain souvenir. Le pays d’Afrique du Nord est devenu une terre pour tous (ou pour personne), dirigée par des tribus et des nations étrangères qui sont apparemment des partenaires mais qui se battent essentiellement les unes contre les autres sans aucune restriction. Et l’Italie n’est pas seulement directement impliquée, mais aussi un pays frontalier de ce désordre complexe.

Les gouvernements précédents n’ont rendu aucun service particulier à notre pays. D’abord avec le soutien de Fayez al Sarraj, puis avec des clins d’œil à l’ennemi acharné Khalifa Haftar, enfin avec un désintérêt substantiel pour ce qui se passait de l’autre côté de la Méditerranée, Draghi arrive dans une Libye qui peine à reconnaître vraiment un interlocuteur italien. Luigi Di Maio, qui a écrit il y a quelques jours que «l’Italie et la Libye sont unies par d’importants intérêts géostratégiques» était à Tripoli pour rencontrer le Premier ministre Abdelhamid Dbeibah, le président du Conseil présidentiel Mohamed al Menfi, les deux vice-présidents, Abdallah al Lafi et Moussa al Kuni, et enfin la ministre des Affaires étrangères Najlaa al Mangoush. Avec lui aussi le PDG d’Eni, qui a discuté des accords entre la Libye et «le chien à six pattes» (la marque commerciale d’Eni, ndlr). Mais un autre sommet a suivi trois jours plus tard et à nouveau à Tripoli, cette fois avec Di Maio accompagné du Français Jean Yves Le Drian et de l’Allemand Heiko Maas. Une triade européenne qui a peut-être aussi servi à rappeler à l’Italie que pour revenir en Libye, elle doit passer par Berlin et Paris. Et il est clair que si Berlin a intérêt à gérer la transition, Paris a tout intérêt à empêcher la Libye de revenir aux «mains italiennes». Paris l’a démontré en son temps avec la guerre de Nicolas Sarkozy et l’a certifiée avec le soutien jamais trop dissimulé à Haftar tandis que l’Italie soutenait la Tripolitaine et le gouvernement national.

Le problème est que l’Italie, ces dernières années, ne s’est pas comportée de la meilleure façon malgré l’implication des services et des militaires sur le terrain. Et c’est un problème lié avant tout à l’hésitation de ceux qui ont dirigé la Farnesina (Ministère italien des AE) et le Palazzo Chigi (le siège de la présidence du Conseil des ministres, ndlr). On parle très souvent d’une politique «ambiguë» faisant des références risquées à la Première République, mais on parle d’un tout autre niveau. Les représentants de l’époque savaient parfaitement de quel côté était l’Italie et de quel côté elle devait aller. Puis, en attendant, ils ont également passé des accords sous la table ou au soleil (selon le but) pour montrer une stratégie la plus autonome possible et envoyer des messages. L’Italie de Giuseppe Conte et Di Maio était très différente : elle paraissait souvent complètement fluctuante lors du changement de camp, et nous l’avons vue en Libye ainsi que dans les relations avec Donald Trump, avec Moscou, avec la Chine, avec l’Europe. Morale : L’Italie a semblé à toutes les forces libyennes être si peu fiable qu’elle était un partenaire nécessaire et inconfortable. Et le pays est devenu un territoire d’affrontement entre les Européens et les pays arabes et de partition entre la Russie et la Turquie : deux puissances qui ont eu le courage et le manque de scrupules d’exploiter les erreurs de l’Italie et de toute l’Europe pour entrer en Tripolitaine et en Cyrénaïque et diviser la sphère d’influence.

Les Etats-Unis ne s’intéressant pas à la Méditerranée (et en particulier à la Libye), le jeu paraissait trop facile. Et maintenant, nous risquons d’avoir à réparer des relations perdues grâce également à des erreurs flagrantes d’évaluation.

Lorenzo Vita. (Inside Over)

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