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Le chantage de Haftar qui peut coûter cher à l’Italie

(Roma 01 octobre 2020). Un mois s’est écoulé depuis que les équipages de deux bateaux de pêche italiens, « la Médinée » et « l’Antarctique », ont été saisis par les autorités de l’est de la Libye à moins de 64 km au nord de Benghazi. Au total, 18 marins, dont huit de nos compatriotes, sont détenus en résidence surveillée et en attente de jugement, selon les déclarations faites à « Agenzia Nova » par le général Mohamed al Wershafani. Ce n’est certainement pas le premier cas du genre: des bateaux de pêche italiens ont déjà fait l’objet d’une saisie par les autorités libyennes, tant celles basées à Tripoli qu’en Cyrénaïque. Mais jamais on n’avait attendu si longtemps que le problème soit résolu. Un signe que quelque chose ne fonctionne pas.

 Le chantage de Haftar

A l’époque de Kadhafi comme à l’époque actuelle du gouvernement de Tripoli ainsi qu’à celui de l’Est du pays, les Libyens ont toujours revendiqué une portion de mer bien plus grande que celle assignée par le droit international. Selon les différents dirigeants qui ont alterné à la tête du pays d’Afrique du Nord, le golfe de Syrte doit être considéré comme une baie historique et donc d’une pertinence exclusive pour la Libye. Au contraire, les normes et conventions internationales régies avant tout par la charte de Montego Bay (la Convention des Nations unies sur le droit de la mer CNUDM, NDLR), ne reconnaissent comme eaux territoriales que celles situées à 20 km de la côte, au-delà desquelles commence la zone économique exclusive (ZEE). La Libye délimite sa ZEE non pas de la côte de Syrte, mais d’une position beaucoup plus avancée tracée par une ligne idéale qui relie Misrata et Benghazi. Lorsque nos bateaux de pêche s’y rendent et bien que le droit international soit de leur côté, pour les Libyens, les équipages commettent un crime en exploitant une étendue de mer qui relève de leur compétence.

Les marins en attente de jugement en Cyrénaïque sont également accusés de pêcher dans les eaux considérées comme libyennes. Le général Al Wershafani, membre de l’armée nationale libyenne commandée par le général Haftar, a précisé que l’affaire est désormais traitée par le tribunal militaire de Benghazi et que les Italiens seront jugés pour « entrée illégale » dans les eaux libyennes sans autorisation. Mais en réalité, il y a plus: Les deux équipages ont été repris par l’armée nationale libyenne, l’armée formée par Haftar ces dernières années qui contrôle une grande partie de la Cyrénaïque. Le général utilise les 18 marins détenus à Benghazi pour faire chanter l’Italie. Une circonstance démontrée par les propos du général Khaled al Mahjoub, l’un des hommes les plus proches de Khalifa Haftar: « Le commandant, lit-on sur Agenzia Nova, refuse de libérer les pêcheurs italiens détenus à Benghazi avant de libérer les jeunes Libyens que les autorités italiennes ont condamnés à trente ans d’emprisonnement pour traite des êtres humains ». Des jeunes libyens en échange des marins: c’est le « prix » demandé par Haftar à l’Italie.

Le général tente de récupérer du terrain

Avec cette affaire, l’homme fort de Cyrénaïque pourrait avoir deux grandes opportunités entre ses mains. Il peut aspirer à se remettre dans le jeu à l’international. Mis à l’écart après le retrait de son armée de Tripoli et les initiatives diplomatiques du président du parlement basé en Cyrénaïque Aguila Saleh, Haftar peut faire entendre sa voix en  retenant le plus longtemps possible les équipages des bateaux de pêche italiens. Mais pas seulement cela: l’autre opportunité importante pourrait être jouée sur le front intérieur. Appeler à la libération des jeunes libyens détenus dans notre pays donnerait à Haftar l’image du seul dirigeant capable de défendre les intérêts de son peuple. L’objectif clé en ce sens est donc de retrouver du terrain également en termes de consensus après des mois marqués par des protestations et des manifestations dans l’est de la Libye en raison de la détérioration des conditions de vie.

Les risques pour l’Italie

Dans un tel contexte, il y a deux fronts sur lesquels notre pays doit être circonspect. Tout d’abord, il faut que les 18 marins rentrent chez eux. À Mazara del Vallo, patrie de la marine d’où proviennent les deux bateaux de pêche saisis, le retour des deux équipages est attendu avec impatience depuis des jours, des familles entières attendant des messages et des signes d’optimisme en ce sens. Générer une plus grande anxiété, est la prolongation de l’histoire: généralement dans le passé, les pêcheurs amenés en Libye sont libérés et ont pu rentrer en Italie, mais cette fois-ci, l’attente semble beaucoup plus longue. L’autre question est de nature plus politique: la prolongation de l’affaire risque de faire paraître notre pays plus faible en Libye. Et cela vaut tant pour les Libyens que pour les acteurs internationaux impliqués dans le dossier libyen. En plus, le chantage de Haftar risque également d’apparaître comme un profond revers pour l’Italie qui est, de plus en plus, considérée comme le ventre mou de la Méditerranée.

Mauro Indelicato. (Inside Over)

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