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Liban: Capricieux, boudeur, amateur ou rancunier, Saad Hariri se tire une balle dans le pied. Quel gâchis !

(Montréal-11 juin 2020). A en croire les échanges par médias interposés entre les deux hommes et leurs partisans respectifs, rien ne va plus entre les principaux piliers souverainistes libanais, Samir Geagea, chef du parti des Forces Libanaises (FL), et Saad Hariri, chef du Courant du Futur (CF) et ancien premier ministre.

Pourtant, leur dispute qui a tout d’une querelle infantile est particulièrement nuisible pour le Liban qu’ils prétendent défendre. Conscients que la poursuite de cette querelle serait suicidaire, les responsables des Forces Libanaises demandent à leurs partisans de s’abstenir de toute réaction excessive aux critiques de Hariri, en espérant que celui-ci en fasse de même.

Capricieux, l’héritier de Rafic Hariri n’a pas supporté les propos de son principal partenaire dans l’alliance du « 14 Mars » au journal égyptien « Al Ahram » (du 10 juin), dans lesquels Geagea justifiait son refus de désigner Hariri comme premier ministre pour succéder à… lui-même. Naturellement, ce refus visait à protéger le premier ministre et à en faire un « faiseur de premiers ministres ». Car, selon la logique de Geagea, « la révolution du 17 octobre a entraîné la démission du gouvernement et plongé le Liban dans une crise profonde. Reconduire Hariri dans ces conditions le mettait alors en première ligne dans la gestion de la crise et de la banqueroute qui en a découlé, et exposait par conséquent sa carrière politique ». Après tout, si Hariri se pensait capable de régler la crise, pourquoi ne l’avait-il pas anticipée? Pourquoi ne l’avait-il pas empêchée de se produire? Pourquoi l’avait-il laissée s’installer? Loin de l’accuser de complicité, les Libanais optent davantage pour son amateurisme politique.

Capricieux, Hariri serait aussi un « boudeur ». Il a boudé pendant plusieurs semaines les consultations pour former un gouvernement, refusant de se prononcer sur sa propre candidature ou d’en soutenir une autre. Ce faisant, il s’est avéré aussi un amateur. Il a rejeté les suggestion de ses alliés Walid Joumblatt et Samir Geagea de désigner un candidat issu de son bord politique, ouvrant un grand boulevard au Hezbollah et au Courant Patriotique Libre (CPL) pour désigner leur candidat Hassane Diab, former leur gouvernement, et mener leur politique.

Saad Hariri serait aussi un rancunier. Après la parution de son interview dans « Al-Ahram », les médias du Courant du Futur ont mené une virulente campagne contre Geagea, lui attribuant la responsabilité de l’élection de Michel Aoun à la présidence, mais oubliant que Hariri avait refusé de voter pour Geagea lui préférant Sleimane Frangié. Ils lui reprochent son appui à la loi électorale qui avait permis au Hezbollah et ses alliés d’obtenir la majorité au Parlement (en mai 2018), oubliant que Saad Hariri avait appelé à voter pour son « ami Gebran Bassile », chef du CPL, et que les alliances du Futur ont privé les FL de cinq sièges supplémentaires. Ils ont dénigré la représentativité des FL au sein de la communauté chrétienne, oubliant que de plus en plus de déçus de Hariri au sein de la communauté sunnite soutiennent Geagea (à l’instar des souverainistes de toutes les communautés). Certains partisans du Courant du Futur se plaisent aussi à rappeler que Samir Geagea doit sa libération de prison à leurs députés qui ont voté l’amnistie en 2005. Mais ils ont oublié que Rafic Hariri, alors premier ministre, était « coresponsable » de l’emprisonnement politique de Geagea et de la dissolution des Forces Libanaises, en 1994. De bon gré ou contraint, Rafic Hariri avait cautionné et défendu cette décision y compris auprès de son ami Jacques Chirac pour satisfaire l’occupant syrien. Malheureusement, il a fallu que ce même occupant assassine ce même Rafic Hariri pour que ces mêmes partisans révèlent leur libanité, qu’ils fassent leur mea culpa et qu’ils corrigent leur erreur en votant l’amnistie. Or, ces mêmes partisans ressassent aujourd’hui ces mêmes paroles et font les mêmes erreurs en caressant les mêmes assassins…

Car après tout, le gouvernement de Hassane Diab accumule les erreurs et ses jours seraient comptés. Saad Hariri rêve de lui chiper sa place et de revenir au Grand Sérail. Il s’en prend ainsi à Samir Geagea pour séduire le Hezbollah et ses maîtres Syriens et Iraniens et obtenir leur aval. Là aussi, sa mémoire lui fait cruellement défaut. Il a oublié que sans la fermeté de Samir Geagea et de Walid Joumblatt face au Hezbollah, lors de la razzia de Beyrouth et de la Montagne en mai 2008, le Parti de Dieu auraient exterminé Saad Hariri et son Courant du Futur. Trois années plus tard, quand le CPL avait renversé le gouvernement Hariri et l’a humilié alors qu’il était en réunion avec Barak Obama (en janvier 2011) avec sa fameuse expression de «One way ticket».

Malgré toutes ses mésaventures avec la Syrie, le Hezbollah et le CPL, Saad Hariri tente régulièrement de leur tendre la main. Il a même accepté de serrer la main de l’assassin de son père et de lui présenter ses plates excuses pour l’avoir accusé du crime. Pire encore, il prend aujourd’hui encore ses distances avec ses alliés naturels pour se rapprocher de ses pires adversaires, au moment où ceux-ci sont menacés par de nouvelles sanctions américaines. Washington devrait imposer des sanctions à l’encontre de Gebran Bassil, Nabih Berri, Jamil Sayyed et d’autres personnalités pro-syriennes, dans le cadre de l’entrée en vigueur du « Caesar Syrian Civilian Protection Act » (la Loi César). En tentant de les séduire et en s’en prenant à Samir Geagea, Saad Hariri se tire une balle dans le pied et prend le risque de se discréditer auprès d’une large partie de ses partisans et de tous les souverainistes.

En définitive, ses caprices, sa guéguerre infantile, ses rancunes et son amateurisme ont surtout permis au gouvernement, au Hezbollah et au CPL de contourner une fois de plus la Constitution et d’acter une série de nominations de hauts fonctionnaires, en avançant le conseil des ministres d’un jour (pour éviter des contraintes liées à l’âge d’un fonctionnaire promu). Le gouvernement a réussi à placer ses hommes à la Banque centrale (quatre vice-gouverneurs, le président et les membres de la commission de contrôle des banques, commissaire du gouvernement à la Banque centrale, et commission de contrôle des marchés financiers). Alors que Saad Hariri joue à la guéguerre, le Hezbollah et le CPL achèvent leur main-mise sur l’Etat et ses institutions.

Sanaa T.

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