(Rome, Paris, 22 décembre 2025). Lundi matin, un attentat à la voiture piégée a coûté la vie à un haut gradé de l’armée russe, au cœur de Moscou. Le général Fanil Sarvarov, responsable de l’entraînement opérationnel de l’état-major, a été tué par l’explosion d’un engin de 300 grammes de TNT, dissimulé dans son véhicule. Les autorités russes évoquent la piste des services ukrainiens, dans un contexte de fortes tensions militaires et diplomatiques entre Moscou et Kiev
Un attentat à la voiture piégée tue un général russe en plein cœur de Moscou, ce qui semble être une nouvelle confirmation de la capacité de Kiev à frapper jusque dans la capitale de la Russie et du fait qu’aucun de ses ennemis ne peut se croire à l’abri. Cette attaque est assurément une source d’embarras pour Vladimir Poutine et provoquera sans aucun doute une réaction militaire du Kremlin encore plus sévère que l’escalade des bombardements de ces dernières semaines, écrit Enrico Franceschini dans le quotidien «La Repubblica».
Cet événement survient quelques heures seulement après la conclusion d’une nouvelle série de négociations à Miami entre des émissaires américains, russes et ukrainiens. Cependant, aucun entretien direct n’a eu lieu entre les représentants de Moscou et de Kiev, contrairement à ce qu’avait proposé la Maison Blanche. Les réunions ont été qualifiées de «constructives» par les participants américains et russes, mais à Moscou, le conseiller de Poutine pour la politique étrangère, Youri Ouchakov, les a jugées «peu constructives».
L’officier supérieur tué ce lundi matin dans un attentat à l’explosif était le général Fanil Sarvarov, chef de la Direction de l’entraînement opérationnel de l’état-major russe. Les premières investigations du parquet russe indiquent que l’une des hypothèses envisagées est celle d’un attentat perpétré par les services spéciaux ukrainiens. L’engin de fabrication artisanale, avait une puissance équivalente à 300 grammes de TNT. Il était placé à l’aide d’un aimant sous la Kia Sorento du général Sarvarov, près du siège du conducteur. L’agence de presse TASS rapporte que l’explosion s’est produite lorsque le conducteur a actionné le frein.
«L’attentat constitue un revers sécuritaire majeur pour le Kremlin et un nouveau signal de la capacité de l’Ukraine à frapper en profondeur le territoire russe. Elle pourrait entraîner une nouvelle escalade militaire de la part de Moscou», affirme un expert italien sous anonymat.
Le général Sarvarov était âgé de 56 ans et possédait une longue expérience sur plusieurs théâtres d’opérations. Né dans la région de Perm, dans l’Oural, il avait suivi une formation dans les académies militaires des forces blindées et de l’état-major. Il était à la tête de la Direction de l’entraînement opérationnel du ministère de la Défense. En 2024, il a été promu lieutenant-général par le président Poutine. Entre 1992 et 2003, il a participé à des opérations de combat lors du conflit osséto-ingouche et à des opérations antiterroristes en Tchétchénie. En 2015-2016, il a pris part à l’intervention militaire russe en Syrie. Il a également joué un rôle dans l’invasion de l’Ukraine, ce qui lui a valu d’être inscrit sur la liste des «criminels de guerre» établie par le portail web ukrainien Mirotvorets («Défenseurs de la paix»). Au cours de sa carrière, il a reçu de nombreuses décorations, dont l’Ordre du Courage, l’Ordre du Mérite pour la Patrie et l’Ordre du Mérite militaire.
Depuis le début de l’offensive russe contre l’Ukraine en février 2022, Kiev est régulièrement soupçonné d’être à l’origine d’attaques ciblées contre des responsables militaires et des fonctionnaires russes, tant en Russie que dans les territoires ukrainiens illégalement occupés par Moscou.
En effet, en août 2022, à Moscou, Daria Douguina, fille de l’idéologue ultranationaliste Alexandre Douguin, a été tuée dans l’explosion d’une voiture piégée. En avril 2023, Maxim Fomine, blogueur militaire russe, est tué par la détonation d’une statuette dans un café de Saint-Pétersbourg. Plus récemment, en avril, le général Yaroslav Moskalik, chef adjoint de la Direction générale des opérations de l’état-major russe, est tué dans l’explosion de sa voiture près de Moscou. En décembre 2024, Igor Kirillov, commandant des forces de défense radiologique, chimique et biologique russes, a été tué à Moscou par l’explosion d’un scooter électrique piégé, une action revendiquée par les services de sécurité ukrainiens.
Pendant ce temps, le conflit se poursuit. Des quais et des navires sont endommagés par une attaque de drone ukrainienne dans le village de Volna, dans le district russe de Temriouk. Des attaques nocturnes des forces russes ont frappé des infrastructures civiles à Odessa, privant certains quartiers de la ville d’électricité. Les forces russes ont également bombardé quatre zones de la région de Dnipropetrovsk, déclenchant des incendies et causant d’importants dégâts. Par ailleurs, dimanche, un week-end de négociations s’est conclu en Floride, au cours duquel les émissaires de Trump, le négociateur en chef Steve Witkoff et le gendre du président, Jared Kushner, ont rencontré séparément les délégations russe et ukrainienne. «Nos discussions progressent de manière constructive», a déclaré à l’issue des pourparlers Kirill Dmitriev, le chef de la délégation russe. Cependant, s’exprimant dimanche soir à Moscou auprès de l’agence TASS, le principal conseiller de Poutine en matière de politique étrangère, Youri Ouchakov, a souligné que la majorité des propositions discutées émanaient des dirigeants ukrainiens et européens et étaient «plutôt négatives». On ignore s’il faisait référence uniquement aux discussions du week-end à Miami ou, plus généralement, au processus de négociations menées par la Maison Blanche.
Cet attentat illustre surtout l’impasse stratégique dans laquelle s’enferme Vladimir Poutine. Plus de trois ans et dix mois après le début de l’invasion, la perspective d’une domination durable de l’Ukraine apparaît de plus en plus irréaliste. L’efficacité opérationnelle démontrée par Kiev, capable de frapper des cibles militaires de haut rang jusque dans le cœur de Moscou, révèle les limites de la puissance russe et fragilise le récit de contrôle total entretenu par le Kremlin. Pourtant, malgré ces signaux répétés, le président russe persiste dans une logique d’escalade, préférant l’obstination militaire à une remise en question politique dont le coût, humain comme stratégique, ne cesse de s’alourdir.
Selon les analystes, l’acharnement de Vladimir Poutine rappelle celui de son ancien allié syrien Bachar al-Assad, longtemps engagé dans une fuite en avant militaire fondée sur la répression et le pari du fait accompli. En Syrie, cette persistance s’est traduite par une aventure stratégique coûteuse, sauvée in extremis par l’intervention russe et conclue par l’exil d’Assad sous protection de Moscou. En s’entêtant aujourd’hui en Ukraine malgré les signaux d’échec et la démonstration croissante des capacités ukrainiennes, le Kremlin semble rejouer une logique d’escalade non calculée, dont l’issue pourrait s’avérer tout aussi imprévisible et politiquement déstabilisante.