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Moscou hausse le ton : Lavrov ferme la porte à toute discussion sur les territoires annexés. Kiev s’adresse à Carlo Nordio

(Rome, 09 novembre 2025). Entre fermeté sur les territoires annexés et ouverture prudente envers Washington, Moscou cherche à redéfinir sa stratégie internationale. Sergueï Lavrov a en effet réaffirmé que le statut de ces territoires ne ferait l’objet d’aucune discussion. En pleine tension diplomatique, Lavrov menace aussi de riposter à toute confiscation des avoirs russes. Pour sa part, Kiev appelle Rome à garantir les droits d’un ex-soldat ukrainien détenu en Italie

Pour la deuxième fois en deux jours, Sergueï Lavrov réapparaît sur la scène publique. Le ministre russe des Affaires étrangères, dont l’absence mercredi dernier à une réunion du Conseil de sécurité nationale avait suscité des interrogations, a déclaré aujourd’hui que les territoires «de Crimée, du Donbass et de Novorossiya», annexés par référendum en 2014 et 2022, ne sont pas négociables et que la Russie réagira «comme il se doit» si les alliés occidentaux de l’Ukraine décident de transférer à Kiev les avoirs russes gelés. «Le cynisme de la Commission européenne dans son interprétation de la Charte des Nations Unies et d’autres normes juridiques internationales, notamment les dispositions relatives à l’immunité souveraine et à l’inviolabilité des actifs des banques centrales, n’a plus rien de surprenant», a déclaré Sergueï Lavrov dans une interview accordée à l’agence «RIA Novosti», ajoutant que «de telles actions constituent une tromperie et un acte de pillage», comme le rapporte Valerio Chiapparino dans le quotidien italien «Il Giornale».

Le chef de la diplomatie russe a poursuivi en affirmant que «peu importe la manière dont est orchestré le plan visant à extorquer de l’argent aux Russes, il n’existe aucun moyen légal de le mettre en œuvre», et que la Russie finira par répondre aux initiatives de l’Occident «dans le respect du principe de réciprocité, des intérêts nationaux et de la nécessité de réparer le préjudice causé». Évoquant également la possibilité d’utiliser les avoirs russes, Lavrov a déclaré : «Il semble que les instincts de colonisateurs et de pirates se soient réveillés chez les Européens» et que «la confiscation de nos réserves d’or et de devises ne sauvera pas les protégés de Kiev de l’Europe unie». Selon lui, il est clair que le régime ne sera pas en mesure de rembourser ses dettes et ne le fera jamais. Il a ensuite averti : «Compte tenu de cela, tous les membres de l’Union européenne ne sont pas disposés à adopter aveuglément de telles mesures, qui font également peser de sérieux risques sur la réputation de la zone euro en tant que pôle économique». Il a également précisé que «Bruxelles et d’autres capitales occidentales pourraient encore revenir à la raison et renoncer à cette aventure planifiée».

Lavrov a également abordé la question sensible des relations avec les États-Unis, se disant prêt à rencontrer le secrétaire d’État américain Marco Rubio. «Rubio et moi comprenons la nécessité d’une communication régulière. Il est important de discuter de la question ukrainienne et de promouvoir l’agenda bilatéral. C’est pourquoi que nous communiquons par téléphone et sommes prêts à nous rencontrer en personne si nécessaire». Ces derniers jours, plusieurs fuites médiatiques ont suggéré que la disparition de Lavrov de la scène politique était liée au mécontentement de Vladimir Poutine quant à la gestion des relations avec Washington et le secrétaire d’État américain. Plus précisément, ces rumeurs affirmaient que le président russe reprochait à Lavrov l’annulation de la rencontre entre Trump et Poutine prévue à Budapest. Des allégations démenties ces dernières heures par le porte-parole du Kremlin : «Ces informations sont totalement infondées. Lavrov continue bien évidemment à travailler en tant que ministre des Affaires étrangères», a déclaré Dmitri Peskov.

Lors de son interview avec RIA Novosti, le ministre russe a reconnu que «les relations russo-américaines restent marquées par de nombreux points de friction, hérités de la précédente administration américaine» et qu’«il faudra du temps pour clarifier la situation. Avec l’arrivée de la nouvelle administration, nous avons perçu une volonté de reprendre le dialogue. Ce dialogue est en cours, mais pas aussi rapidement que nous l’aurions souhaité».

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Lavrov a également annoncé que la Fédération de Russie est prête à continuer de respecter les restrictions prévues par le traité de réduction des armements stratégiques (New START), et que Moscou attend une réponse de Washington à ce sujet. Concernant la question nucléaire, le ministre russe a indiqué hier que la Maison Blanche n’a pas encore clarifié, «par la voie diplomatique», les propos du président Donald Trump concernant la reprise des essais nucléaires.

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Lavrov a rappelé que «deux séries de consultations ont eu lieu au printemps et que plusieurs accords ont été conclus pour améliorer le fonctionnement des missions diplomatiques. De notre part, nous estimons qu’il est important d’élargir le dialogue au-delà des missions diplomatiques. Nous devons aborder des questions telles que l’établissement d’une liaison aérienne directe et la restitution des biens diplomatiques russes saisis illégalement par Barack Obama en décembre 2016, trois semaines avant l’investiture de Donald Trump». «Pour l’heure, nous sommes dans l’attente», a-t-il ajouté, réaffirmant que «nos propositions concernant les biens diplomatiques et les liaisons aériennes ont été transmises à nos homologues américains. Des contacts opérationnels sont en cours afin d’évaluer la possibilité de poursuivre le dialogue».

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Dans l’attente de la réaction de Kiev aux propos de Lavrov, le commissaire aux droits de l’homme du Parlement ukrainien, Dmytro Lubinets, a adressé une lettre au ministre italien de la Justice, Carlo Nordio, demandant des garanties suffisantes pour Serhii Kuznietsov, un ancien soldat ukrainien de 49 ans accusé d’avoir saboté le gazoduc Nord Stream en 2022. Kuznietsov a été arrêté en août dernier dans la province de Rimini en vertu d’un mandat d’arrêt européen émis par l’Allemagne.

«J’ai parlé avec son épouse, Galina Kuznietsova, qui m’a confirmé que son mari poursuit sa grève de la faim et que son état de santé est critique», a déclaré Lubinets, précisant que la détention de Kuznietsov dans une prison de haute sécurité et dans des conditions inadéquates «est inacceptable et contraire à la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales».

Le 4 novembre dernier, l’avocat de Kuznietsov, Nicola Canestrini, a signalé aux autorités la grève de la faim entamée par son client afin d’«exiger le respect de ses droits fondamentaux, notamment le droit à une alimentation adéquate, à un environnement sain, à des conditions de détention dignes et à un traitement équitable en matière de visites familiales et d’accès à l’information».

«En réaffirmant la non-négociabilité des territoires annexés et en dénonçant la gestion occidentale des avoirs russes, Lavrov cherche à consolider le discours de fermeté du Kremlin tout en testant la réactivité des capitales occidentales», affirme une source européenne. «La Fédération affiche une diplomatie à deux visages : d’une part, elle est inflexible sur le fond, et de l’autre, consciente de la nécessité d’un dialogue pour éviter une escalade incontrôlable», a conclu notre

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