(Rome, 25 novembre 2024). La question du Liban ne peut être comprise en la séparant des autres, mais le Liban tout entier devrait être impliqué dans la détermination de son avenir, peut-être avec une nouvelle classe dirigeante, et non avec les anciens représentants d’une caste qui ne semble plus représenter personne ; ni les chrétiens, ni les sunnites et ni les chiites
Dans le jargon politique libanais, il y a toujours eu deux mots connus de tous : Baadba, c’est-à-dire le palais du Président de la République, et le Grand Sérail, c’est-à-dire le palais de la Présidence du Conseil, écrit Riccardo Cristiano dans «Formiche.net».
Depuis environ un an, nous nous sommes habitués à un nouveau mot : Ain el-Tiné, autrement dit, la résidence du président de la Chambre ; c’est là que se tiennent depuis longtemps les conférences de presse des dignitaires étrangers en visite d’État.
Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, s’est également exprimé devant la presse à Ain el-Tiné.
Ce n’est que le dernier exemple d’un fait à clarifier, et il faut dire que l’envoyé spécial français, Jean-Yves Le Drian, a lui aussi toujours rencontré Nabih Berri, comme d’autres, tant qu’il était à Beyrouth. Pourquoi cela dure-t-il depuis si longtemps ?
Depuis le début de la navette diplomatique de l’envoyé spécial Amos Hochstein au nom de la Maison Blanche, les conférences de presse à Ain el-Tiné sont devenues une constante.
Pourtant, de manière frappante et au vu et au su de tous, pendant tout ce temps, pendant toute l’année 2024, le Liban n’a jamais convoqué son Parlement, censé élire le nouveau chef de l’État depuis plus de deux ans.
Et cela n’a pas eu lieu parce que le président du Parlement, Nabih Berri, d’Ain el-Tiné, ne l’a jamais convoqué à cet effet.
Ainsi, le Président du Parlement n’a pas permis à l’Assemblée, conformément à la Constitution, de voter d’abord à la majorité qualifiée, puis à la majorité simple, pour élire le nouveau président.
Cette élection aurait permis de remplacer le gouvernement actuel, chargé uniquement d’expédier les affaires courantes, par un gouvernement dans la plénitude de ses pouvoirs.
Ainsi le président du Parlement Nabih Berri a trouvé le moyen d’être le seul interlocuteur institutionnel en exercice.
Le système confessionnel libanais prévoit que le chef de l’Etat soit chrétien, le premier ministre sunnite, le chef du Parlement chiite.
Dès lors, la voix des chrétiens a été annulée, celle des sunnites réduite à un semblant de premier ministre impuissant, et tout désormais concentré entre les mains du fidèle allié de l’Iran et du Hezbollah, Nabih Berri, quatre-vingt-dix ans, à la tête de l’unique Chambre libanaise depuis 30 ans.
Au nom de qui Mr. Nabih Berri va-t-il négocier ? Au nom du Liban ou au nom des autres ?
Tout cela est d’autant plus pertinent si l’on considère que le Liban tout entier est impliqué dans la guerre en cours, qui résulte pourtant d’un choix unilatéral du Hezbollah, parti armé mais aussi parti libanais, qui peut pourtant imposer sa propre politique de défense nationale à tout un pays sans gouvernement et sans présidence de la République, seuls habilités constitutionnellement à le définir.
Ainsi, sous le slogan trompeur «n’élisons pas le président sous les bombes», le président de la Chambre a effectivement fermé le Parlement depuis que la guerre a éclaté en septembre de cette année. Il s’est arrogé à la fois les fonctions de président de la République et véritable chef du gouvernement, puisque ceux qui se rendent à Beyrouth pour des négociations officielles ne rendent qu’une visite de courtoisie au Premier ministre chargé des affaires courantes, Najib Mikati, éventuellement après avoir rencontré la presse à Ain el-Tiné.
Les plans se chevauchent donc : il y a le plan constitutionnel, dans lequel un président du Parlement exerce des fonctions qui ne sont clairement pas les siennes et empêche le Parlement de s’acquitter de son devoir le plus urgent, celui de donner au pays son propre président.
Ensuite, il y a le plan confessionnel, disons celui de la fameuse «Constitution Matérielle». Les chrétiens et les sunnites, composantes essentielles du Liban réel, sont privés de pouvoir, tout est aux mains de la composante chiite, à travers son représentant Nabih Berri.
Qui à Beyrouth saura de quoi discute Mr. Nabih Berri dans ses entretiens qui concernent et engagent l’ensemble du pays ?
Cela nous amène au sujet qui nous occupe : la mise en œuvre de la résolution 1701, qui est censée être le centre du futur cessez-le-feu.
Cette résolution stipule qu’il ne doit pas y avoir de miliciens armés en aval du fleuve Litani, qui coule à plus de trente kilomètres de la frontière avec Israël.
Si elle était appliquée ainsi au Hezbollah, et à d’autres, n’autorisant que l’armée et la FINUL d’être sous les armes dans cet espace géographique (maintenant détruit), le Hezbollah resterait-il en armes en amont de ce fleuve ? Une autre résolution de l’ONU, la 1559, stipule que le Hezbollah, comme tous les autres partis libanais, doit désarmer.
Alors que signifie l’idée d’appliquer la résolution 1701 ? Que le Hezbollah et les autres miliciens doivent rendre leurs armes et qu’en aucun cas aucun milicien ne peut circuler armé au-delà du Litani, ou que le Hezbollah peut rester avec son arsenal au-dessus du Litani ? Si tel était le cas, il est difficile d’imaginer que la pleine souveraineté libanaise puisse être garantie face aux violations israéliennes.
Et que ferait le Hezbollah de ses armes derrière le Litani, c’est-à-dire loin de la frontière israélienne mais proche de Beyrouth ? Peut-on exclure qu’il les tourne vers ses adversaires libanais pour assurer à ceux qui l’arment, c’est-à-dire l’Iran, le contrôle de la «milice de Dieu» sur le Liban ? Ce pays, deviendrait-il un pays normal pour lequel seul Nabih Berri et aucune autre personnalité libanaise ne négocie, à l’exception de quelques allusions mineures évoquées par le Premier ministre Mikati ?
La question libanaise ne peut évidemment pas être comprise en la séparant des autres, mais le Liban tout entier devrait être impliqué dans la détermination de son avenir, peut-être avec une nouvelle classe dirigeante, et non avec les anciens représentants d’une caste qui ne semble plus représenter personne ; qu’il s’agisse des Chrétiens, des Sunnites ou des Chiites.
Un chercheur régional nous confie que ce qui se passe à Beyrouth n’est rien d’autre que l’échec d’un système, celui des accords de Taëf, qui prévoit un partage du pouvoir sur une base confessionnelle et qui a transformé le Liban en un pays loin d’être une nation. Beyrouth n’est aujourd’hui qu’une simple agglomération de plusieurs communautés, dont une affaiblie par la guerre actuelle, chacune pensant à sauver sa peau (à l’exception d’un parti souverainiste, Ndlr) et où aucun sentiment d’unité ne semble prévaloir.