Le Hezbollah pourrait-il étendre le front à l’Amérique du Sud ?

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(Rome, Paris, 05.11.2023). Pour Emanuele Ottolenghi, chercheur principal à la Fondation pour la défense des démocraties à Washington, la position exprimée par le leader du Hezbollah dans son premier discours depuis le début de la crise au Moyen-Orient, est cohérente avec la ligne adoptée par le groupe jusqu’à présent. Mais les attaques ne cesseront pas, même sans déclaration de guerre contre Israël. Et attention, il faut ouvrir les yeux sur l’Amérique du Sud

Après des jours d’attente, agrémentés de bandes-annonces et de battage médiatique, le chef du Parti de Dieu libanais, le Hezbollah, a pris la parole. Hassan Nasrallah a en effet prononcé son premier discours depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas. Une crise militaire déclenchée par l’attaque brutale des terroristes palestiniens contre les Israéliens le 7 octobre, où le Hezbollah a immédiatement voulu jouer son rôle. Les forces du groupe libanais sont engagées depuis des jours dans des attaques contre le territoire israélien depuis le sud du Liban, auxquelles les Forces de défense israéliennes (FDI) répondent par des bombardements directs qui ont déjà tué plus de cinquante miliciens, nous explique Emanuele Rossi dans le quotidien «Formiche».

Nasrallah, dans son discours de vendredi après-midi, a affirmé s’être précipité pour soutenir les Palestiniens, et en tant que membre de l’Axe de la Résistance, le front khomeiniste anti-israélien qui est soutenu par les Pasdaran à travers des liens idéologiques, économiques et militaires. Mais ce qui ressort de ses propos, c’est une volonté de rester pour l’heure à un niveau minimal (presque nécessaire) d’implication de faible intensité, sans véritable déclaration de guerre, ce qui était au contraire une préoccupation majeure quant à l’expansion régionale du conflit. La position de Nasrallah était-elle, d’une certaine manière prévisible ?

A lire : Nasrallah (et l’Iran) abandonnent le Hamas. «La bataille est uniquement la leur»

Pour Emanuele Ottolenghi, chercheur principal à la Fondation pour la défense des démocraties à Washington et l’un des plus grands experts mondiaux des activités du Hezbollah, le discours du Cheikh Nasrallah est cohérent avec la lecture que l’on peut donner de la posture adoptée jusqu’à présent par le groupe dont il est le guide spirituel. « Ils ont certes accru la pression sur Israël, mais ils ont mesuré la tendance à l’escalade, et ils ont surtout évité d’entrer en guerre, bien qu’ils aient déclaré à plusieurs reprises qu’ils auraient pu le faire si Israël était entré dans Gaza ».

La ville de Gaza est encerclée. La pénétration terrestre est actuellement au plus fort de la bataille et, alors que les appels à un cessez-le-feu se multiplient, le gouvernement israélien confirme que les opérations se poursuivront jusqu’à ce que le Hamas soit éliminé.

Une faible intensité, une responsabilité limitée

« Un aspect intéressant de la rhétorique utilisée par Nasrallah est qu’il tente de nier l’implication directe de l’Iran et du Hezbollah dans la planification (des évènements du 7 octobre, Ndlr). Il s’agit d’un signal : Tous deux veulent se désengager du risque d’être considérés comme responsables. Cela dit, ils félicitent les forces de la Résistance et menacent d’ouvrir d’autres fronts », explique Emanuele Ottolenghi au quotidien «Formiche».

Mais quelle est la raison de ce déplacement de la deuxième ligne de front ? Qu’est-ce qui pousse le Hezbollah à ne pas s’impliquer pour l’instant ? «L’élément déterminant de la position du Hezbollah, qui est une extension de la position iranienne, est la présence de forces américaines et occidentales en Méditerranée à titre dissuasif. Nasrallah a qualifié les renforts dépêchés par les États-Unis comme un signe de faiblesse, mais il sait aussi que si le Hezbollah attaque, les États-Unis pourraient être prêts à intervenir et qu’une intervention pourrait signifier que les positions du Hezbollah deviennent des cibles légitimes pour Washington ».

D’autre part, nous avons assisté à une série d’attaques contre des bases occidentales en Irak et en Syrie et à certaines réactions américaines qui en ont découlé. La situation est déjà tendue, alors que les milices chiites régionales jouent avec le feu, produisant des tests de résistance graduels tout en essayant continuellement de contenir la réponse américaine et israélienne. Le renforcement américain dans la région est précisément lié à la nécessité d’éviter une escalade et une extension régionale du conflit, et jusqu’à présent, la dissuasion a fonctionné.

«En outre, ajoute Emanuele Ottolenghi, le Hezbollah doit tenir compte de la scène intérieure. Une guerre avec Israël risquerait d’affaiblir la position de centralité désormais acquise dans le pays. » Il existe une dissidence qui dure depuis 2006, lorsque Nasrallah a mené ses hommes à une attaque frontale contre Israël. Cette guerre n’est pas encore pacifiée, et cela fait partie des préoccupations.

Le Hezbollah entend se tenir prêt, préparé à d’éventuels développements, et c’est l’axe khomeiniste tout entier qui est en état d’alerte. Par exemple, ces derniers jours, la Brigade de l’Imam al-Hussein a été déplacée de la Syrie vers le Liban. Il s’agit d’une milice composée majoritairement de chiites irakiens qui a été intégrée à la Quatrième Division de l’armée régulière syrienne et qui opère principalement dans la région de Damas : elle est dirigée par Maher al-Assad, frère du satrape syrien, et est désormais un mandataire de la Force al-Qods (l’unité d’élite des Pasdaran).

Le tableau pourrait être le suivant : le Hezbollah, les Pasdaran et l’Axe de la Résistance en général pourraient s’efforcer de maintenir haute la barre d’une implication de faible intensité. Autrement dit, les attaques sur différents fronts pourraient facilement se multiplier, mais sans pour autant (pour l’heure) devenir autre chose que des opérations de guerre asymétriques et hybrides. Parmi celles-ci, est-il possible d’émettre également des hypothèses sur des risques d’actions en dehors du quadrant du Moyen-Orient, par exemple en Amérique du Sud ?

Tensions au-delà du Moyen-Orient

« Il est possible que le Hezbollah et les Iraniens exploitent leurs réseaux bien établis qui existent parmi les communautés libanaises et chiites de la diaspora, qui résident dans certaines régions d’Amérique du Sud depuis environ un demi-siècle. Ils servent principalement à promouvoir le trafic illicite, dont la fonction principale est de collecter des produits et des fonds pour le financement. Mais il s’agit de réseaux qui ont déjà été activés par le passé pour apporter un soutien logistique et fournir des infrastructures en cas d’attaques terroristes. Et non seulement dans les cas où les attaques ont eu un résultat final, il y a quelques décennies, mais à plusieurs autres reprises, beaucoup plus récemment, il y a eu une série de tentatives d’attentats déjouées avant l’action », explique Ottolenghi.

L’expert fait état d’une dynamique inquiétante : l’augmentation des arrestations en Amérique latine de citoyens du Moyen-Orient, pour la plupart des Iraniens (et aussi un Irakien) munis de faux passeports. « Cette semaine, au Brésil, un Iranien à la tête d’un réseau de faux passeports a été arrêté, tandis que la Bolivie augmente le nombre des visas d’entrée pour les citoyens iraniens. L’infrastructure est en ébullition ».

En outre, ces derniers jours, la Bolivie a rompu ses relations diplomatiques avec Israël, tandis que le Chili et la Colombie ont rappelé leurs ambassadeurs pour consultations. Ottolenghi souligne que ces actes diplomatiques forts, s’accompagnent d’une rhétorique publique, en particulier celle du président colombien Gustavo Petro, qui a qualifié la situation à Gaza de «génocide». Des signes inquiétants apparaissent également dans les relations diplomatiques au Brésil, ainsi que dans des pays traditionnellement liés à l’Iran, comme le Venezuela et le Nicaragua. «Il est difficile de prouver l’influence iranienne directe dans certaines activités, mais Petro, le Chilien Gabriel Boric et Luis Arce en Bolivie font partie de la gauche militante anti-impérialiste et hébergent un vaste réseau pro-iranien et du Hezbollah. Ils accueillent également des centres culturels théoriquement indépendants, mais dirigés par Téhéran. Ainsi, au niveau rhétorique, cette influence se fait sentir », explique Emanuele Ottolenghi.