(Paris, Rome, 20.08.2023). Meurtriers, violeurs, tortionnaires : nombreux sont les criminels capturés par Wagner dans les prisons russes qui, après un passage au front, redeviennent des hommes libres. Et nombre d’entre eux reviennent déjà pour commettre des crimes odieux
Les criminels repêchés par le groupe Wagner dans les prisons russes en échange d’une amnistie après leur service de guerre en Ukraine sont-ils prêts à frapper à nouveau dans le pays ? C’est ce que craignent plusieurs commentateurs qui pointent surtout du doigt l’important bilan des crimes contre les femmes, autrefois fléau social dans le pays, dont les combattants recrutés dans les prisons se sont, par le passé, rendus coupables. Et aujourd’hui, nombreux sont ceux qui craignent que le service de guerre n’offre aux criminels de toutes sortes un sentiment d’impunité une fois leur peine purgée, nous explique Andrea Muratore dans les colonnes du quotidien «Il Giornale».
The Guardian a recueilli plusieurs récits de violeurs, de meurtriers et de voleurs russes graciés par le service de guerre du groupe Wagner, qui, pour les ex-prisonniers, se transforme souvent en une épreuve ardente : les soldats d’Evgueny Prigozhin ont sans aucun doute enduré une dure épreuve de guerre dans et autour de Bakhmout, et sur instructions du chef des mercenaires actuellement en exil en Biélorussie, ont convenu avec le gouvernement, s’ils venaient des prisons, l’amnistie de tout crime après six mois de service au front.
« Les ramifications de la décision d’autoriser Prigozhin à constituer une armée privée composée de prisonniers, sont apparues clairement lorsqu’il a lancé sa mutinerie avortée », écrit le prestigieux journal britannique. Mais « outre les retombées politiques, l’expérience de Poutine avec Prigozhin est susceptible d’avoir un impact social significatif sur la Russie pour les années à venir. De nombreux rapports font état d’anciens prisonniers ayant survécu à leur séjour au sein de Wagner et sont rentrés chez eux pour semer le chaos. Parmi ceux qui ont été libérés, nombreux sont ceux qui ont commis des crimes violents à l’encontre des femmes ».
Le sentiment d’impunité semble prévaloir pour ceux qui sont revenus du front. «29.ru», un site web local de la région russe d’Arkhangelsk, a rapporté les propos de la mère de Vyacheslav Samoilov, condamné en 2021 pour avoir tué et démembré une femme de 33 ans, qui considère que son fils a été « purifié devant Dieu » par le semestre passé au péril de sa vie au front dans l’est de l’Ukraine. Samailov est aujourd’hui, à toutes fins utiles, un homme libre. Il en va de même pour Ivan Rossomakhine, renvoyé en mars à Novy Burets, une ville située à 800 km à l’est de Moscou, qui, dix jours après son retour, a poignardé à mort une femme âgée, Ioulia Bouiskikh, alors qu’il était ivre.
Malgré les promesses de la police de garder un œil sur cet ancien détenu, il a été arrêté dans une ville voisine, accusé d’avoir poignardé à mort Ioulia Bouiskikh, 85 ans, à qui il avait loué une chambre. Selon plusieurs médias, il aurait avoué avoir commis le crime, moins de 10 jours après son retour. « Elle le connaissait et lui a ouvert la porte lorsqu’il est venu la tuer, a écrit la petite-fille de la victime, Anna Pekareva, sur Facebook. Toutes les familles de Russie doivent avoir peur de tels visiteurs », a-t-elle dit.
Tatyana Mostyko, une animatrice pour enfants âgée de 19 ans, a été tuée avec son patron le 10 août près de Krasnodar par un ancien voleur, Demian Kevorkian, qui a été libéré après avoir purgé le reste de sa peine (de 18 ans) au front en 2016. The Guardian rapporte que parmi les détenus du front se trouve aussi Vladislav Kanyus, qui a brutalement torturé et tué son ex-petite amie Vera Pekhteleva en 2020, dont la mère s’est tournée vers le journal britannique, préoccupée par le fait que le meurtrier dont le crime a choqué la Russie puisse un jour redevenir un homme libre.
Ces questions montrent à quel point la guerre en Ukraine peut affecter la société russe au plus profond d’elle-même. Elle ouvre de nouvelles lignes de fracture sociales majeures grâce à l’impunité des vétérans que de nombreux ex-détenus semblent percevoir une fois revenus du front. Sans même pouvoir profiter du volet de réinsertion qu’offre la prison, envoyés au combat dans des missions onéreuses et risquées comme « chair à canon » pour les Russes dans des scénarios critiques, des hommes déjà entachés de crimes odieux risquent d’en sortir encore plus endurcis, et déracinés par le conflit. Selon un expert russe en criminologie, il n’existe pas encore suffisamment de données pour évaluer les conséquences.
Un système d’aide sociale russe peu soucieux de protéger la réinsertion des vétérans dans la société, quel que soit leur passé, fait le reste. Et les récits des crimes des anciens Wagner risquent de se multiplier à l’avenir, puisque les ex-détenus sont rejoints par des vétérans traumatisés par le conflit et par les personnes démobilisées par l’armée une fois le conflit terminé. Aujourd’hui, plus que jamais, un symbole de la fragilité de la société russe face à l’épreuve de la guerre.