Niger: entre la carotte et le bâton, c’est ainsi que se préparent les négociations

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(Paris, Rome, 15.08.2023). Les déclarations du putschiste Tchiani laissent entrevoir la volonté des militaires nigériens de négocier avec les interlocuteurs africains. Il ne s’agira toutefois pas d’une reddition inconditionnelle en vue d’un retour au statu quo. L’ex-président Bazoum devient en fait une monnaie d’échange

Après quelques semaines d’impasse qui ont suivi le coup d’État par lequel les militaires ont pris le contrôle du pays, quelque chose semble commencer à bouger dans la situation complexe du Niger. Au cours du week-end, la junte putschiste dirigée par Omar Tchiani se serait montrée disposée à négocier : selon certains érudits islamiques nigérians de premier plan, qui ont eu l’occasion d’avoir rencontré le général Tchiani, le nouveau dirigeant nigérien a explicitement déclaré que « ses portes (celles de la junte militaire, ndlr) étaient ouvertes pour explorer la diplomatie et la paix afin de résoudre le problème », soulignant les liens étroits qui existent entre le Niger et le Nigeria, qui « sont non seulement des voisins, mais des frères et sœurs qui doivent résoudre les problèmes de manière amicale », comme le rapporte le quotidien «Formiche».

Ces propos interviennent au lendemain de la décision de la CEDEAO (acronyme désignant la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, une plate-forme de coopération économique et sécuritaire des pays de la région du Sahel) de mettre en place une force d’interposition prête à intervenir pour restaurer l’ordre démocratique au Niger, après que l’ultimatum lancé par les pays membres au camp de la junte nigérienne soit resté lettre morte. Selon la délégation de religieux nigérians, Tchiani a qualifié de « douloureux » le fait que la CEDEAO ait donné un ultimatum pour rétablir au pouvoir le président démocratiquement élu Mohammed Bazoum sans écouter « leur version des faits », affirmant que « le coup d’État était bien intentionné », et que ses associés « ont agi pour éviter une menace imminente qui affecterait à la fois le Nigeria et le Niger ».

Des propos difficiles à imaginer comme spontanés, sachant que jusqu’à présent les putschistes ont à plusieurs reprises refusé de rencontrer les délégations officielles de la CEDEAO. La menace d’une intervention militaire, bien que difficile à mettre en œuvre, semble avoir exercé une pression suffisante sur la junte pour la convaincre d’abandonner la ligne dure et de poursuivre les négociations. Une négociation qui ne sera pas une reddition, bien au contraire.

Au lendemain des déclarations de Tchiani, un autre membre de la junte militaire, le porte-parole Amadou Abdramane, a affirmé dans une déclaration publique que le gouvernement militaire avait réuni suffisamment de preuves pour accuser l’ex-président Bazoum de trahison, coupable d’avoir maintenu des contacts avec des puissances étrangères pendant la détention à laquelle il est soumis depuis le jour du coup d’État, une accusation qui pourrait conduire à une condamnation à mort.
Selon plusieurs médias, le régime a également appelé à « s’interroger sur la sincérité de sa prétention à soutenir qu’il est séquestré, alors même que les militaires n’ont jamais investi sa résidence présidentielle et qu’il dispose encore de tous les moyens de communication », assurant que le président déchu « reçoit régulièrement la visite de son médecin ». Confiné dans sa résidence officielle depuis le coup d’État, aux côtés de sa femme et de son fils, Mohammed Bazoum affirme être retenu en otage par les putschistes, privé d’électricité et contraint de ne manger que du riz et des pâtes. Dans son communiqué, Abdramane a également dénoncé « les sanctions illégales, inhumaines et humiliantes de la CEDEAO » qui, selon lui, « vont jusqu’à priver le pays de produits pharmaceutiques, de denrées alimentaires » et de « fourniture en courant électrique ». Pour la CEDEAO, qui menace d’intervenir militairement afin de restaurer l’ordre constitutionnel au Niger, les accusations des putschistes à l’encontre de l’ancien président sont « une nouvelle forme de provocation », note la presse étrangère.

Compte tenu du moment particulier, il n’est pas difficile de deviner la raison de cette déclaration. De la même manière que les putschistes ont utilisé le président Bazoum comme otage, dès le début, pour empêcher une intervention militaire opportune, qu’elle soit nationale ou étrangère, ils l’utilisent aujourd’hui comme monnaie d’échange. En le poursuivant pour trahison, Tchiani et ses alliés ont fait savoir qu’ils ne voulaient pas s’enliser dans de longues négociations peu concluantes avec la CEDEAO, ainsi qu’augmenter la valeur de l’intégrité physique de Bazoum en tant que monnaie d’échange dans les négociations. Des négociations qui, avant même de commencer, s’annoncent déjà très complexes.