(Rome, Paris, 07 décembre 2021). L’enquête du «New York Times» sur le commerce de la drogue qui est désormais le principal produit d’exportation de Damas. Le frère du dictateur Assad et l’organisation libanaise pro-iranienne tirent les ficelles. L’affaire des 84 tonnes de Captagon saisies à Salerne est à nouveau discutée
Il y a un narco-État sur la Méditerranée, comme l’explique Gabriele Carrer dans son article dans le quotidien italien «Formiche». C’est ainsi que le New York Times décrit la Syrie de Bachar al-Assad. Et du frère cadet du président, Maher al-Assad, commandant de la 4e division blindée. C’est cette unité d’élite, avec des hommes d’affaires proches du régime, le groupe libanais pro-iranien Hezbollah et d’autres membres de la famille Assad, qui gère la production de Captagon, une méthamphétamine qui s’est répandue dans les années 1980 dans le Golfe et également connue comme la « drogue du jihad ». C’est ce qu’a révélé le journal « Big Apple » sur la base d’informations policières provenant de 10 pays, de dizaines d’entretiens avec des experts du trafic de drogue et d’anciens responsables américains.
Selon l’enquête du New York Times, le trafic de drogue est désormais le premier poste des exportations de la Syrie. Rien qu’en 2021, plus de 250 millions de comprimés de Captagon ont été saisies dans le monde, soit plus de 18 fois la quantité interceptée par les autorités il y a seulement quatre ans. Mais la Syrie ne se contente pas de produire du Captagon. Des drogues encore plus puissantes, comme la méthamphétamine en cristaux, sont exportées, par des drones mais aussi par des ânes agités, vers les pays voisins comme la Jordanie, porte d’entrée du Golfe pour les drogues syriennes.
Ces derniers mois, cependant, le trafic a également atteint l’Italie. Début juillet 2020, la « Guardia di Finanza » de Salerne avait saisi 84 millions de comprimés avec le logo « Captagon » rangés dans trois conteneurs : 14 tonnes de méthamphétamine – d’une valeur estimée à environ un milliard d’euros – en provenance de Syrie. Dans un premier temps, ils semblaient être produits par l’État islamique. Mais les doutes étaient autrement. « Le groupe ne dispose pas de capacités techniques (sites de production et de logistique) pour certaines quantités, et surtout sur le marché moyen-oriental de la drogue il y a des réalités comme le Hezbollah, qui est plus structuré depuis au moins une décennie dans ce domaine ».
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Sans oublier les connexions du groupe libanais en Italie : un réseau de crime organisé, d’hommes d’affaires, d’entreprises et d’institutions bancaires que le Hezbollah (également via l’Amérique du Sud) utilise pour ses affaires en Italie. Ils concernent souvent les drogues mais aussi les armes et les explosifs. Qu’il suffise de dire qu’en septembre de l’année dernière, l’ambassadeur Nathan Sales, alors chef de la lutte contre le terrorisme au département d’État américain, a révélé que depuis 2012 « le Hezbollah a fait transiter par la Belgique d’importants stocks de nitrate d’ammonium, utilisé pour fabriquer des bombes » dans divers pays européens, dont l’Italie.
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L’expéditeur de cette cargaison d’un milliard : un certain Basil al-Shagri Bin Jamal, que les autorités italiennes n’ont pas été en mesure d’identifier. Le destinataire : « GPS Global Aviation Supplier », une société enregistrée à Lugano, en Suisse, qui semble n’avoir aucun bureau. Le New York Times a également contacté la société de gestion de patrimoine que cette dernière a indiquée comme son adresse postale, SMC Family Office SA : aucun commentaire.
Le principal obstacle dans la lutte contre le trafic de drogue syrien est le régime Assad. « L’idée d’aller voir le gouvernement syrien et de lui demander une coopération est tout simplement absurde », a déclaré au New York Times Joel Rayburn, l’envoyé spécial américain pour la Syrie sous l’administration Trump. « C’est le gouvernement syrien qui exporte la drogue. Ce comme s’ils regardaient ailleurs pendant que les cartels de la drogue faisaient leurs affaires. Ils sont le cartel de la drogue ».
Trois zones de production ont été identifiées par le journal américain sur le sol syrien : Les laboratoires de Captagon sont situés en dehors de la capitale Damas, autour de la ville portuaire de Lattaquié et dans le territoire contrôlé par le Hezbollah près de la frontière libanaise. Mais le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, continue de nier que son groupe ait quoi que ce soit à voir avec le Captagon, soulignant l’opposition catégorique de l’organisation à l’usage de drogues. Rien de nouveau : il l’avait déjà indiqué au début de l’année concernant le cas italien, affirmant que « les accusations n’avaient aucun fondement » et allant jusqu’à affirmer que les autorités italiennes « enquêtaient sur l’Etat islamique, sur la mafia italienne et russes et autres réseaux criminels ».
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Les enquêteurs n’avaient pas commenté ni les déclarations de Nasrallah ni les enquêtes, a expliqué la BBC lors de son reportage en Italie, poursuit Gabriele Carrer.
En revanche, nous nous sommes demandé, souligne le média «Formiche», par quels canaux une organisation dont la branche militaire figure sur la liste noire du terrorisme, avait communiqué avec des responsables italiens (et il existe de nombreux appels, même en Italie, à mettre fin à la distinction entre les branches politique et militaire que même l’organisation ne reconnaît pas). Outre le réseau du Hezbollah précité, un responsable italien sous anonymat a expliqué que l’organisation avait informé et s’est plaint auprès des représentants de nos services présents au Liban.