Le complot turc qui embarrasse l’Italie

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(Rome, 4 mai 2021). La Turquie n’abandonne pas la Libye. Malgré les indications publiques de l’administration américaine d’un écart croissant entre Ankara et Washington, dans les coulisses, les deux administrations continuent de toute évidence à tisser leur intrigue. Et la nouvelle d’une sorte de consentement américain aux mouvements turcs en Libye, pourrait être confirmée par la dernière initiative de Recep Tayyip Erdogan en Tripolitaine, avec l’envoi d’une délégation du plus haut niveau composée du ministre de Défense Hulusi Akar, par le ministre des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, par le directeur des services de renseignement turcs, Hakan Fidan et par le chef d’état-major, Yasar Guler. En pratique, les quatre personnalités les plus importantes après Erdoğan ont débarqué à Tripoli pour représenter la stratégie turque dans ce pays d’Afrique du Nord.

Le show de la force diplomatique

La démonstration de force diplomatique d’Ankara est un avertissement qui ne doit être sous-estimé. Après l’arrivée de Mario Draghi à Tripoli, la confrontation verbale avec Erdogan et les affirmations d’intentions communes avec les dirigeants de l’UE et avec Joe Biden sur le front libyen, l’Italie semblait avoir (enfin) décidé d’imposer sa propre stratégie en tentant de rayer l’influence turque dans la région. Mais les proclamations annonçant la «descente» de Draghi dans l’enfer Libyen ont reçu une réponse rapide du gouvernement d’Ankara, qui a non seulement reçu en quelques semaines le Premier ministre du gouvernement d’unité nationale, Abdelhamid Dabaiba, ainsi qu’une importante délégation de ministres libyens et des hauts fonctionnaires, mais a également envoyé à deux reprises le ministre de la Défense à Tripoli, et maintenant, le chef de la diplomatie et les chefs des services et de l’état-major.

Un choix également important au niveau de la propagande: l’isolement d’Erdogan du point de vue international ne semble pas avoir affecté la stratégie nord-africaine d’Ankara, confirmant même ces négociations secrètes avec le Pentagone pour confier aux Turcs la délicate tâche de surveiller la présence russe en Cyrénaïque et contenir l’avancée du groupe Wagner. Cette hypothèse serait également certifiée par le dialogue croissant entre les États-Unis et la Turquie sur l’autre point chaud de la Méditerranée élargie, la mer Noire, où la crise entre l’OTAN et la Russie ne montre aucun signe d’apaisement et où les relations entre l’Ukraine et le gouvernement turc deviennent de plus en plus solides en vue d’une éventuelle escalade.

Le grand défi du Sahel à la Méditerranée orientale

La question devient fondamentale surtout à la lumière du duel qui se déroule entre la Méditerranée orientale et le Sahel et qui implique la Turquie (et le Qatar), les Émirats arabes unis, la France, la Grèce et l’Égypte. La stratégie de ce bloc est évidemment de tout mettre en œuvre pour contenir le dynamisme turc. Entre exercices et accords stratégiques en Méditerranée orientale et missions militaires au Sahel (zone où le Tchad risque d’attiser davantage les tensions), le bloc anti-turc s’est engagé dans un virage radical pour affronter Ankara de l’Afrique au Levant. Et la Libye apparaît comme le grand épicentre de ce choc régional qui implique une vaste zone pratiquement superposable à la Méditerranée élargie.

La France, l’Egypte et les Emirats ne souhaitent pas que la chute d’Idriss Déby au Tchad laisse la place à une nouvelle pénétration turque dans le Sahel après les accords conclus avec le Niger. Pendant ce temps, la Grèce renforce son axe avec Israël alors qu’elle tente de créer un nouvel espace en Cyrénaïque également par le biais du nouveau gouvernement d’unité nationale libyen.

La Turquie répond en ouvrant une nouvelle base en Irak, en sécurisant les relations avec la Libye et, entre-temps, tente également de consolider les relations avec les États-Unis par le consentement d’un acteur trop oublié de la Méditerranée: le Royaume-Uni ; Parce que Londres, ces derniers jours, prend une position beaucoup moins dure à l’égard d’Ankara à la fois en ce qui concerne Chypre et en ce qui concerne la question ukrainienne.

L’avertissement pour l’Italie

La mosaïque complexe dans laquelle évolue la Turquie et dans laquelle évoluent les forces qui veulent arrêter les plans d’Ankara impliquent inévitablement aussi l’Italie. Les forces spéciales italiennes sont engagées dans les régions du Sahel, où s’embrase le duel entre le bloc anti-turc et les forces liées au gouvernement d’Ankara et les pétrodollars de Doha. Mais l’Italie est précisément intéressée par le problème de la Libye, où les accords politiques et économiques avec le gouvernement de Tripoli ne correspondent ni à un relâchement de la présence turque ni à un rapprochement de la Cyrénaïque, à tel point qu’il y a quelques heures, les nouvelles d’un radeau qui a mis en danger les bateaux de pêche italiens a obligé la frégate italienne Alpino à intervenir.

Rome espérait que Washington enverrait des signaux décisifs d’un revirement de situation: mais apparemment ils tardent à venir. À tel point que, pour l’instant, le seul «prix» qui vient des États-Unis est l’intérêt de l’Italie à mener le «Green New Deal» (nouveau pacte vert, ndlr). Une maigre consolation pour ceux qui ont un protectorat turc à quelques kilomètres de la Sicile et un agenda étranger totalement dépourvu d’expression d’une ligne claire. Le risque n’est pas seulement d’avoir perdu la Libye, mais d’avoir perdu la Turquie comme partenaire, de n’avoir aucun allié pour l’arrêter (même pas en Afrique du Nord), en même temps, d’être impliqué dans un duel régional dans lequel n’importe qui pourrait réussir à arracher des positions fortes à Rome.

Lorenzo Vita. (Inside Over)