(Rome 31 octobre 2020). Le conflit du Haut-Karabakh, territoire disputé entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan dans le Caucase du Sud, se poursuit sans relâche. Nous avons interviewé à Erevan, le Premier ministre arménien Nikol Vovayi Pashinyan qui a carrément accusé la Turquie d’avoir déclenché le conflit et a averti l’Europe de ne pas sous-estimer Recep Tayyip Erdogan, l’invitant à lui faire face de manière décisive afin d’éviter de revoir les Turcs aux portes de Vienne.
La guerre du Haut-Karabakh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan a refait surface il y a un mois. Quelle est la situation actuelle du conflit ?
Nous devons d’abord nous rappeler que c’est la Turquie qui a relancé ce conflit en envoyant des mercenaires et des terroristes de Syrie et du Pakistan, en transférant une partie de ses forces armées en Azerbaïdjan et en fournissant du matériel militaire aux forces azerbaïdjanaises. Le but était un «blitzkrieg» (une guerre éclair, NDLR) pour prendre le Haut-Karabakh. Selon leurs calculs, la guerre aurait dû durer une semaine ou dix jours au maximum, mais le Haut-Karabakh a résisté et continuera de se battre. La Turquie n’est pas intervenue simplement pour soutenir l’Azerbaïdjan mais pour poursuivre sa politique impérialiste. Ce qui se passe sur ces terres, c’est la poursuite de la politique turque en Méditerranée orientale, en Grèce, à Chypre, en Libye, en Syrie et en Irak. Les Arméniens du Caucase du Sud sont le dernier obstacle à la conception néo-ottomane de dominer la région. Si la communauté internationale ne parvient pas à contrecarrer les objectifs expansionnistes d’Erdogan, dans un proche avenir, les Turcs risquent de se retrouver à nouveau aux portes de Vienne.
À quoi pouvez-vous réellement attendre de l’Europe sachant que certains pays continuent de bloquer les sanctions contre la Turquie ?
Nous ne plaçons nos espoirs que sur nous-mêmes et sur les pays qui ont consolidé leurs alliances avec l’Arménie. La sécurité de la République et du peuple arménien est de notre responsabilité. La sécurité de l’Europe, en revanche, ne fait pas partie de mon travail, mais ne nous blâmez pas de ne pas vous avoir averti. Vous, Européens, n’avez pas vu ce qui vous arrive. Même si aucune artillerie ne tonne pas, cela ne signifie pas qu’une guerre n’a pas commencé. Il y a actuellement une guerre en Europe !
De quelle guerre parlez-vous exactement ?
Regardez ce qui se passe en France. Avez-vous remarqué le ton avec lequel le président turc Erdogan s’est adressé à Macron ? Avez-vous déjà pensé qu’un président d’une nation pouvait se tourner vers le président français (comme l’a déjà fait Erdogan) contre la France ? Personne n’aurait pensé cela il y a quinze ans. Même pendant la guerre froide, je ne me souviens d’aucun des dirigeants de l’Union soviétique s’adressant ainsi à un président d’un pays européen. Les gens sont décapités dans les rues européennes. Qu’est-ce que c’est qu’une guerre ?
Vous avez récemment déclaré qu’il n’y avait pas de solutions diplomatiques au conflit du Haut-Karabakh. Êtes-vous toujours du même avis ?
Comment parler de solution diplomatique alors que les trêves sont systématiquement violées ? Le cessez-le-feu négocié par la France, la Russie et les États-Unis a été rompu quelques minutes après les signatures. Si les accords ne sont pas respectés, il est impossible de parler de solution diplomatique.
La guerre a atteint un nouveau niveau depuis votre arrivée au pouvoir. Pensez-vous que vous auriez pu faire quelque chose pour empêcher l’escalade de la violence ?
La situation n’a pas changé depuis 2011. Le problème est que quelque chose peut être évité grâce à des concessions mutuelles. Il ne peut y avoir de concessions d’un seul côté, tandis que de l’autre rien ne bouge. La raison est simple: le camp adverse a plus d’argent pour acheter des armes. J’aurais pu ne pas défendre nos intérêts et ceux du peuple du Haut-Karabakh, mais est-ce que cela aurait évité la guerre ? Non. Parce que l’Azerbaïdjan en demanderait toujours plus. La situation est similaire à celle qui existait en Europe à l’aube de la Seconde Guerre mondiale avec les accords de Munich. Les pays européens pensaient qu’en accordant la Tchécoslovaquie à Hitler, ils calmeraient l’Allemagne nazie et la guerre n’éclaterait pas. Nous savons comment cela s’est passé. Ici, en poursuivant la comparaison historique, nous ne concéderons jamais la (notre) Tchécoslovaquie.
Allez-vous l’intention d’aller à Moscou pour demander le soutien du Kremlin? Quel soutien demanderiez-vous: militaire ou humanitaire ?
La Russie est un partenaire stratégique de l’Arménie. Je suis favorable au déploiement de soldats de la paix russes dans les zones de conflit. Mais le problème est que pour cette action, il est également nécessaire d’avoir le consentement de toutes les parties concernées. Pour l’Arménie, cette solution est acceptable mais le consentement de l’Azerbaïdjan est également nécessaire. Il est aussi important de se rappeler que la Russie a clairement déclaré qu’en cas de menace imminente à l’intégrité territoriale de l’Arménie, elle respectera les accords qui l’engagent à intervenir même militairement.
Le fait que les forces du Haut-Karabakh bombardent des civils à Ganja n’affaiblit-il pas la position de défense de l’Arménie vis-à-vis de la communauté internationale ?
Non. Il faut se demander pourquoi Ganja (une ville sous contrôle azerbaïdjanais, ndlr) est bombardée. Les forces de défense du Haut-Karabakh ont légitimement centré les positions militaires ennemies. Les infrastructures civiles peuvent également avoir été affectées. Mais même ici, l’église de Shushi (ville sous contrôle arménien, NDLR) a été touchée et il n’y avait certainement pas de cible militaire.
Quel message voulez-vous transmettre au monde et à l’Europe ?
Le Haut-Karabakh est le front de la guerre contre le terrorisme. Pourquoi pensez-vous qu’ils continuent à bombarder Stepanakert (capitale du Nagorno Karabak, ndlr) ? Pour une raison simple: ils veulent que les gens abandonnent l’idée de pouvoir vivre sur ces terres. Ce n’est que le prélude au nettoyage ethnique et au génocide qui pourrait se produire contre les Arméniens avec un Haut-Karabakh annexé à l’Azerbaïdjan.
Marco Gombacci. (Inside Over)