Surprise dans le nord de Chypre: l’homme d’Erdogan élu président

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Déjouant les pronostics, le candidat nationaliste Ersin Tatar, soutenu par la Turquie, a été élu dimanche « président » de la République turque autoproclamée de Chypre-Nord (RTNC), un succès pour Ankara dans un contexte de vives tensions autour de ses projets en Méditerranée orientale. Avec 51,69 % des voix, M. Tatar supplante selon le Conseil électoral Mustafa Akinci, dirigeant sortant en froid avec le président turc Recep Tayyip Erdogan et partisan d’une réunification de l’île méditerranéenne sous la forme d’un État fédéral, augurant un changement radical des relations avec la partie sud de l’île. Des centaines de partisans de M. Tatar ont afflué, dont beaucoup sans masque, sur la place où étaient diffusés les résultats à Nicosie-Nord, à grand renfort de musique vantant les mérites de leur champion et brandissant des drapeaux turcs.

« Je remercie le peuple chypriote turc qui m’a élu ce soir avec sa propre démocratie », a déclaré, triomphant, M. Tatar sur une scène, remerciant M. Erdogan tout en condamnant « ceux qui ont utilisé la Turquie comme argument électoral ». Il a appelé au rassemblement de la communauté chypriote turque qui « mérite sa souveraineté » avant que ses soutiens ne se dispersent au son des klaxons. M. Akinci a félicité son adversaire et « ceux qui ont contribué à ce résultat ». « Vous savez ce qui est arrivé pendant cette élection », a-t-il déclaré en référence aux interventions turques, ajoutant ne pas vouloir « faire de politique là-dessus ». Ankara a très rapidement salué « chaleureusement » la victoire de son protégé : « Nous allons travailler ensemble pour assurer la prospérité, le développement et la sécurité des Chypriotes turcs. Nous allons défendre ensemble les droits et intérêts légitimes de Chypre-Nord en Méditerranée orientale », a écrit sur Twitter le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu. M. Erdogan a lui félicité M. Tatar, l’assurant du soutien de la Turquie. La participation s’est élevée à 67,29 %, soit trois points de plus qu’en 2015, malgré la pandémie de nouveau coronavirus. Quelque 199 000 personnes étaient appelées à voter sur plus de 300.000 habitants.

L’élection s’est déroulée dans un contexte de vives tensions autour de l’exploitation d’hydrocarbures en Méditerranée orientale entre Ankara et Athènes, principale alliée de la République de Chypre (membre de l’Union européenne UE depuis 2004) qui exerce son autorité sur les deux tiers sud de l’île. Après des forages réalisés au large de Chypre-Nord, le renvoi cette semaine d’un navire turc d’exploration dans des eaux revendiquées par la Grèce a réveillé la discorde et entraîné une condamnation par les dirigeants de l’UE des « provocations » de la Turquie. Social-démocrate de 72 ans, M. Akinci défend la réunification de Chypre sous la forme d’un État fédéral et n’a jamais caché son intention de desserrer les liens avec Ankara. M. Tatar, 60 ans, défend une solution à deux États.

Considérant la RTCN comme une pièce majeure dans sa stratégie pour défendre ses intérêts en Méditerranée orientale, Ankara suivait attentivement l’élection et avait multiplié les coups de pouce à M. Tatar. L’inauguration en grande pompe d’un aqueduc sous-marin entre Chypre-Nord et la Turquie et la réouverture partielle d’une ancienne station balnéaire renommée, abandonnée et bouclée par l’armée turque après la partition de l’île, avaient suscité des accusations d’ingérence de la Turquie et irrité de nombreux Chypriotes turcs, M. Akinci en tête. Mais afficher une position indépendante d’Ankara est difficile tant la RTCN est sous emprise économique turque depuis sa création en 1983. Et en temps de crise économique, amplifiée par la pandémie de COVID-19, la stratégie de M. Akinci n’a pas payé. Chypre a obtenu son indépendance du Royaume-Uni en 1960 mais les troupes turques ont envahi le nord de l’île en 1974 en réaction à un coup d’État visant à rattacher l’île à la Grèce. Avec son élection en 2015, M. Akinci avait ravivé l’espoir d’un accord de paix, mais les dernières négociations officielles ont échoué en 2017. « Nous ne pouvons rien faire sans la Turquie. L’histoire a montré que les Chypriotes grecs n’accepteront jamais que nous soyons égaux dans la République », relevait Dilek Ertug, agente immobilière de 60 ans, avant les résultats. Condamnant les « interventions » de la Turquie, le frère de Mme Ertug, Asaf Senol, retraité de 64 ans, s’était dit pro-fédéralisme, illustrant les divisions au sein même des familles chypriotes turques. (Médias/AGI/TV)