Le marché des passeports qui a «explosé» à Chypre

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(Roma 01 septembre 2020). Depuis quelques années, le problème des soi-disant « passeports dorés » au sein de l’UE est débattu à Bruxelles, à savoir l’octroi – en échange d’énormes investissements – de la citoyenneté européenne à des sujets qui n’y auraient pas droit ou dont la présence sur le territoire communautaire représente un danger pour la sécurité même de l’Europe.

L’un des cas les plus frappants qui est revenu sur le devant de la scène ces derniers jours grâce à l’enquête menée par al Jazeera concerne Chypre. Le pays s’était déjà retrouvé dans la ligne de mire de la Commission européenne ces dernières années avec Malte et la Bulgarie, mais le gouvernement s’était engagé fin 2019 à modifier le programme d’investissement chypriote (Cip) qui réglemente précisément l’octroi de la citoyenneté. Cependant, les résultats ont été décevants.

Les passeports dorés chypriotes

Selon le programme d’investissement lancé par Nicosie en 2013, quiconque investit au moins 2,5 milliards d’euros dans l’économie du pays – généralement par le biais de l’achat de biens immobiliers – et peut démontrer qu’un casier judiciaire vierge, a le droit de demander et d’obtenir la Citoyenneté chypriote. Au cours des deux dernières années, environ 2.500 personnes ont réussi à obtenir un passeport de Chypre grâce au Cip, qui de 2013 à ce jour a rapporté 7 milliards d’euros dans les coffres de l’île, une somme qui a sans aucun doute, contribué à maintenir l’économie à flot de Nicosie.

Après les critiques de la Commission européenne et les conclusions présentées par le groupe de travail européen Moneyval (Comité d’experts sur l’évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, NDLR) en 2019, Chypre avait apporté quelques modifications au programme rendant les conditions nécessaires pour demander la citoyenneté plus restrictives. Alors que précédemment, comme mentionné, il suffisait de prouver qu’ils avaient un casier judiciaire vierge, depuis 2019, même ceux qui font l’objet d’une enquête, sont recherchés, ont été condamnés ou font l’objet de sanctions internationales sont exclus de l’obtention d’un passeport chypriote. En juillet, le Parlement a également adopté une loi autorisant la révocation du passeport chypriote pour quiconque a commis des crimes ou est recherché par Interpol après être devenu citoyen de l’île pour une période de dix ans.

Cependant, les mesures prises par Nicosie se sont avérées non seulement tardives mais également insuffisantes. En fait, l’enquête d’Al Jazeera a révélé que des dizaines de personnes ayant un casier judiciaire ou recherchées par les tribunaux pour des crimes tels que le blanchiment d’argent et l’abus de pouvoir ont réussi à obtenir la citoyenneté chypriote, échappant dans certains cas à la justice de leur pays d’origine.

Un problème pour la sécurité européenne

Le scandale des Cyprus Papers souligne le manque d’homogénéité au niveau de l’UE dans les procédures d’octroi de la citoyenneté européenne. Devenir citoyen chypriote, maltais et bulgare signifie devenir membre à part entière de la Communauté, avec tous les droits que ce statut comporte. À ce jour, cependant, chaque pays membre peut décider indépendamment des critères à appliquer pour l’octroi de sa citoyenneté, créant ainsi des zones grises dangereuses qui rendent toute l’UE perméable au blanchiment d’argent et à d’autres activités illégales.

Ce que la Commission avait demandé, sans surprise, était une plus grande homogénéité dans les procédures pour éviter que l’absence de transparence, de contrôles ou de règles trop peu restrictives ne permette à des sujets tels que ceux identifiés par l’enquête d’Al Jazeera d’accéder à l’UE. Une fois qu’ils ont obtenu la citoyenneté européenne, ces personnes ont accès aux marchés de tous les pays de l’UE ainsi qu’à des paradis fiscaux bien connus au sein de l’UE dans lesquels déverser de l’argent provenant d’activités illecites.

Le cas de Chypre, entre autres, montre que les mesures prises par les différents gouvernements pour améliorer les procédures d’octroi de la citoyenneté ne donnent pas toujours les résultats escomptés. Nikolay Gornovskiy, ancien directeur de la compagnie pétrolière russe Gazprom et recherché par Moscou au moment de l’obtention de la citoyenneté européenne, faisait partie de ceux qui ont obtenu un passeport chypriote après les réformes de 2019.

Il faut également noter qu’en mars 2020, pour faire face à la crise économique dérivée du coronavirus, Chypre envisageait d’accélérer les procédures d’octroi de la citoyenneté à ceux qui investissent dans le pays, en réduisant les délais d’attente à six mois seulement. Une telle mesure aurait totalement ignoré les recommandations européennes et ouvert davantage les portes de l’UE à des personnes qui ne devraient pas avoir droit à un passeport communautaire.

(Futura D’Aprile – Inside Over). (L’article en version italienne)