(Paris, Rome, 21.08.2023). Le GRU, le service secret militaire de la Fédération de Russie, aurait tenté de recruter de jeunes agents pour des missions d’observation et de sabotage contre le flux d’armes à destination de l’Ukraine passant par la Pologne. C’est ce que rapporte le Washington Post au terme d’une longue enquête qui, à partir de divers articles de presse et d’entretiens avec des officiels polonais, ukrainiens et américains, a mis en évidence une vaste opération d’infiltration clandestine souvent menée à l’insu des agents recrutés eux-mêmes, par le biais d’annonces anonymes postées sur le web et sur Telegram.
L’objectif ? Obtenir des informations sur le montant du soutien de l’Occident à Kiev et tenter de réduire partiellement le transit d’armes et de munitions dans le territoire contrôlé par Varsovie. 80% des 150.000 tonnes d’armes livrées à Kiev jusqu’à présent sont passées par les ports, les aéroports, les autoroutes et surtout les chemins de fer polonais avant d’entrer dans le pays envahi par la Russie le 24 février 2022. Moscou veut tenter une contre-stratégie et la Pologne, «le Gendarme» de l’Alliance en Europe Centrale et Occidentale, mène depuis un certain temps, une véritable chasse aux espions russes, comme le rapporte le quotidien «Inside Over».
Tout a commencé le 27 février 2023, lorsque Pablo González, un journaliste espagnol d’origine russe, a été arrêté dans la ville frontalière de Przemysl par les autorités polonaises, accusé d’être un informateur du GRU. Entre le 15 et le 16 mars 2023, neuf suspects ont été arrêtés pour avoir installé une série de caméras sur les principaux chemins de fer polonais et planifié des travaux de sabotage et de déraillement. Cinq autres suspects ont été également arrêtés jusqu’en juillet, portant le nombre total de détenus à quinze, dont douze, selon les autorités polonaises, seraient impliqués dans l’infiltration du GRU.
Certaines des personnes arrêtées auraient affirmé qu’elles ignoraient être impliquées dans une opération d’espionnage; D’autres ont vu leurs accusations atténuées par le fait qu’elles ont renoncé lorsque de mystérieux employeurs, qui exigeaient initialement la distribution de tracts anti-ukrainiens et pro-russes dans tout le pays, ont commencé à exiger des tâches plus lourdes, comme l’a souligné le Washington Post : au départ, « elles étaient chargées de surveiller les ports polonais, plaçant des caméras le long des voies ferrées et dissimulant des dispositifs de repérage dans les cargaisons militaires » à destination de Kiev. Puis, en mars, « de nouveaux ordres surprenants sont arrivés pour faire dérailler des trains transportant des armes vers l’Ukraine. « Les recrues ont reçu l’ordre de perpétrer des incendies criminels et un assassinat, a déclaré un enquêteur du service de sécurité nationale polonais, l’ABW, impliqué directement dans l’enquête », et au-delà, le travail visant à contrer le discours anti-russe du gouvernement polonais devait se poursuivre.
Les auteurs auraient été en grande partie des réfugiés de l’est de l’Ukraine sur lesquels le GRU aurait tenté de prendre pieds en exploitant les divergences radicales accentuées par neuf années de conflit dans le Donbass et, surtout, les besoins liés aux difficultés économiques. Mais on parle aussi de l’implication de citoyens russes et biélorusses. L’accent est mis sur un couple : Maria Medvedeva, âgée de 19 ans, arrêtée en mars, est une citoyenne russe qui étudie le journalisme à Varsovie. Son compagnon, Vladislav Posmityukha, sur lequel pèse l’accusation officielle d’espionnage est, quant à lui, un Biélorusse de 29 ans qui prétend avoir fait fortune grâce aux crypto-monnaies. Tous deux auraient été les membres les plus actifs et les plus impliqués du réseau GRU et auraient notamment gardé un œil actif sur le port de Gdynia sous couvert de voyages impromptus sur la mer Baltique. Des figures comme Medvedeva sont le type idéal des recrues recherchées : jeunes, inconnues des services de sécurité, malléables selon les diktats du GRU. Posmityukha, en revanche, semble avoir une plus grande expérience en matière de renseignement et d’opérations secrètes.
On ne sait pas, compte tenu du secret polonais et ukrainien sur le sujet, si ce réseau ou d’autres ont pu causer des dommages aux dépôts de munitions ou aux centres d’opérations. Certes, aucun sabotage réussi des chemins de fer polonais, qui couvrent l’ensemble du territoire national, n’a été enregistré depuis février 2022. Mais comme cela s’est produit au début de la guerre avec les attaques à longue portée de la région de Lviv en essayant de frapper les dépôts d’armes, la Russie cible précisément le flot constant d’aide à l’Ukraine pour tenter de tarir la source de la résistance de Kiev. Cela se traduit également par une guerre hybride de l’autre côté de la frontière qui, bien sûr, ne manquera pas d’agiter Varsovie. Ce n’est pas un hasard si Varsovie est depuis longtemps en alerte, et s’est pleinement mobilisé pour sécuriser au mieux ses frontières et son territoire contre toute menace. Asymétrique aujourd’hui, supposée être potentiellement directe dans un avenir proche.