L’Irlande s’interroge et tente de se réarmer. La fin de la neutralité ?

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(Paris, Rome, 17.07.2023). Depuis sa fondation, la République d’Irlande a considéré la neutralité et le non-alignement comme deux dogmes intouchables et indispensables, et le secteur de la Défense n’a fait l’objet que de peu d’attention, voire d’aucune. Les fonds sont minimes, les forces armées ne disposent que de huit mille hommes pour les forces terrestres avec une Marine plus que maigre, totalement incapable de contrôler efficacement les espaces maritimes, et aucune force aérienne (le ciel étant confié aux soins de la Royal Air Force britannique). Sur ces données, nous explique Marco Valle dans le quotidien «Inside Over», l’Irlande se limite à fournir à l’Ukraine uniquement du matériel médical, et maintient la loi en vigueur qui exige, avant de déployer plus de 12 soldats à l’étranger, le mécanisme laborieux du « triple verrou », en d’autre terme, l’accord du Conseil de sécurité de l’ONU, celui du gouvernement ainsi que du «Dail» (le Parlement). En bref, moins on en dit (et moins on en dépense) sur les armes et sur l’armement, mieux c’est…

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Le revirement du gouvernement en matière de défense et de politique étrangère suscite donc la surprise (mêlée d’inquiétude). Le cabinet de coalition (centre-droit, libéraux et verts) dirigé par Leo Varadkar a lancé l’an dernier un plan de modernisation des forces armées avec un investissement pluriannuel de 1,5 milliard d’euros, une augmentation absolument sans précédent pour l’Irlande, et en septembre, pour le première fois, des officiers ont participé en tant qu’observateurs à un exercice de l’OTAN au Portugal. En juin de cette année, Varadkar et le ministre des Affaires étrangères Micheàl Martin ont alors convoqué le « Forum consultatif sur la politique de sécurité internationale », un colloque public de trois jours visant à identifier, comme l’a annoncé Martin, un nouveau profil « pour sauvegarder notre sécurité et notre résilience » et « permettre une discussion sur la politique de neutralité militaire de l’Irlande ». Pour la presse transalpine, avec un budget de 1,1 milliard d’euros consacré à sa défense, l’Irlande reste loin derrière les autres membres de l’UE en termes de dépenses militaires, la laissant dépendante de ses voisins, disent les voix critiques, pour assurer sa sécurité. Ses forces armées comptent 8.500 hommes qui participent à des opérations de maintien de la paix, 500 soldats étant actuellement déployés à l’étranger, essentiellement au Liban, rapportent des sources françaises.

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Une déclaration qui, pour beaucoup, a semblé être le prélude à une voie similaire à celle de la Suède et de la Finlande et qui a immédiatement déclenché un vif débat, suscitant de vives réactions. Le premier à prendre la parole fut le président de la République, le très populaire Michael Higgins. Dans une interview accordée au journal «Business Post», la plus haute fonction de l’Etat a dénoncé « une dérive de l’Irlande vers l’OTAN qui conduirait à notre subordination à d’autres pays », avec une réprimande ouverte à son homologue français Emmanuel Macron qui « souhaiterait faire de l’Europe » un pilier de l’Alliance atlantique. Mais au nom de qui parle-t-il ? ».

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Les dirigeants du Sinn Fein, le parti indépendantiste historique (actuellement en tête dans les sondages) sont également sur la même ligne. L’influent député Daithi Doolan a accusé le gouvernement d’avoir un « agenda caché » en matière de politique étrangère et d’utiliser « les forums pour faire passer l’idée d’un consensus vers l’abandon de notre neutralité ». Plus sévère encore, Bernadette Devlin, l’icône du mouvement républicain : « la seule guerre que nous avons menée est celle contre les Britanniques pour notre liberté. Nous sommes prêts à un référendum pour défendre notre neutralité ».

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Une proposition largement écoutée par l’opinion publique, à 61% favorable au statut actuel, et qui embarrasse fortement le gouvernement. Dans un an, le vote aura lieu et personne, et encore moins Varadkar, n’a intérêt à ouvrir une confrontation politique sur une question aussi atroce.

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Ce n’est pas un hasard si le premier ministre a commencé à démentir toute hypothèse d’adhésion à l’OTAN, rejetant la question à une simple « mise à niveau de nos capacités défensives ». Il n’en demeure pas moins que la petite Irlande (5 millions d’habitants en tout…) est aujourd’hui exposée à des attaques continues de hackers, dont la dernière en date a paralysé les services de santé, avec de sérieuses menaces sur la sécurité des nombreuses connexions internet, qui depuis l’île verte, traversent l’Atlantique, de l’Europe à l’Amérique, et vice versa.

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En outre, depuis l’année dernière, les navires russes suspects sont devenus plus fréquents dans les eaux irlandaises. A chaque fois, Dublin a protesté avec véhémence, mais sans grand résultat. Le rugissement de la souris n’effraie certainement pas l’ours de Moscou.