L’équilibre en Baltique: la Suède dans l’Alliance atlantique et le «lac de l’OTAN» aux portes de Moscou

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(Rome, Paris, 13.07.2023). Le sommet de l’OTAN à Vilnius (Lituanie) a annoncé que l’adhésion de la Suède à l’Alliance atlantique sera officiellement présentée au parlement turc qui devra l’approuver «dans les plus brefs délais», comme l’a rapporté le secrétaire général Jens Stoltenberg. Après l’accord trouvé lundi soir avec la Turquie, le blocage politique posé par Recep Tayyip Erdogan a bien sauté. La Hongrie, qui n’avait pas non plus ratifié l’adhésion de la Suède pour exercer un rapport de force avec les pays européens, ne devrait plus opposer de résistance, souligne la presse transalpine. Après des mois de tergiversations, le feu vert a finalement été donné par le président turc Recep Tayyp Erdogan qui pourrait avoir obtenu des conditions particulières en contrepartie : Ankara pourrait avoir reçu des assurances sur l’éventuelle acquisition de nouvelles armes, tels que des chasseurs F-16 américains et de meilleures relations commerciales avec l’Union européenne, à laquelle la Turquie espère adhérer prochainement. La Suède, quant à elle, a réformé sa constitution, modifiant ses lois et élargissant considérablement la coopération antiterroriste contre le PKK dans le cadre d’un effort à long terme, et reprenant ainsi les exportations d’armes vers la Turquie, comme rapporté par Paolo Mauri dans le quotidien «Il Giornale/Inside Over».

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Le vote turc est donc attendu pour reconstituer un puzzle bien particulier qui concerne aussi de près l’entrée de la Finlande dans l’OTAN, qui a eu lieu le 4 avril 2023. Pour comprendre de quoi il s’agit, il suffit de regarder une carte géographique de la mer Baltique : avec l’entrée de Stockholm dans l’Alliance atlantique, cette étendue d’eau est presque entièrement entourée de pays de l’OTAN, à l’exception de l’enclave russe de Kaliningrad et d’une portion de territoire de la fédération coincée entre la Finlande et l’Estonie dans laquelle se trouve la ville de Saint-Pétersbourg.

La Baltique devient alors une «mer de l’OTAN» et la Russie qui voit ses espaces maritimes et aériens encerclés par des pays actuellement considérés comme hostiles. D’un point de vue maritime, une situation, assez similaire à celle du passage de la mer Noire à la mer Méditerranée, se crée : dans ce cas, en effet, la Turquie contrôle les détroits du Bosphore et des Dardanelles et maintenant les passages obligatoires à travers le Kattegat et le Skagerrak se feront entièrement inclus parmi les pays de l’Alliance atlantique (la Grande Ceinture se trouve à l’intérieur du Danemark).

Bien que la Suède ait montré par le passé qu’elle était de moins en moins neutre en raison d’une série de considérations politiques liées à la perception d’une agressivité russe (déjà vécue à partir de 2008 grâce au bref conflit géorgien), le pays pouvait encore être considéré par Moscou comme non hostile, et le Kremlin aurait donc disposé d’une sorte de «tampon» qui aurait pu tenir l’OTAN à l’écart de ses ports de Kaliningrad et de Saint-Pétersbourg.

Un tampon qui s’est progressivement réduit, et non seulement en raison de l’entrée dans l’Alliance d’Helsinki : la Suède, en effet, a stipulé en 2016 l’accord de soutien du pays hôte pour le libre passage des forces de l’Alliance et peut participer au mécanisme de réaction rapide de l’OTAN. Cependant, il s’agissait de dispositions dans lesquelles le pouvoir suédois était très discriminant, alors que désormais, faisant partie de l’OTAN, Stockholm est définitivement entrée dans une alliance militaire qui lie les membres à un soutien mutuel (même s’il n’est pas exclusivement militaire) en cas d’attaque extérieure, et le pays pourrait voir la présence tournante d’unités militaires américaines et de l’Alliance atlantique (terrestre, aérienne, navale) comme cela se produit ailleurs.

L’essentiel de la présence américaine dans la Baltique

En fait, même sans l’adhésion formelle de Stockholm, certaines dynamiques avaient déjà émergé, et les exercices conjoints entre la Suède et les pays de l’OTAN n’étaient pas les plus signifiants, mais plutôt la demande du gouvernement suédois, datant de mai 2022, d’une plus grande présence navale américaine dans la Baltique.

Ce parti pris de la Suède vis-à-vis de l’Alliance peut être attribué à des considérations ancrées dans l’histoire passée ainsi qu’à d’autres de nature géopolitique : dans son dernier document de politique étrangère, Stockholm a déclaré qu’elle se trouvait «dans une situation de sécurité grave» en raison de la «rhétoriques de confrontation croissante de la Russie et de ses activités militaires, à la fois visibles et secrètes» jugées «inacceptables». En outre, il a été ajouté que «l’escalade de la présence militaire russe à la frontière ukrainienne et les demandes russes de garanties de sécurité menacent le cœur de la sécurité européenne». La Suède considère le régime de sécurité européen actuel comme «non négociable», mais affirme surtout que «la défense de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine est essentielle pour la sécurité de l’Europe dans son ensemble». Il s’agit pratiquement d’une déclaration écrite d’adhésion à la politique récente de l’OTAN.

Pour en revenir à la situation de la Baltique, l’espace aérien et maritime de la Suède constituera pour la Russie une nouvelle frontière hostile qui menacera directement l’enclave de Kaliningrad, où est basée sa flotte de la Baltique. La base de Baltiysk se retrouve ainsi complètement encerclée par des pays hostiles, et il en va de même pour celles de Kronstadt et de Saint-Pétersbourg depuis l’adhésion de la Finlande à l’OTAN, avec toutes les conséquences en termes de menace perçue. La dernière frontière libre représentée pour Kaliningrad par la haute mer est désormais tombée et désormais Moscou pourrait facilement se retrouver avec une épée de Damoclès supplémentaire représentée par l’île stratégique de Gotland, située au milieu de la Baltique en face de l’enclave, qui sera probablement militarisée également par la présence tournante de moyens de l’Alliance capables d’installer une bulle d’interdiction aéronavale (en jargon militaire appelée bulle d’Anti Access/Area Denial bubble-A2/Ad).

Par ailleurs, la Suède, contrairement à la Finlande, représente un territoire idéal pour l’affectation des troupes d’assaut amphibies, des forces blindées, des unités aériennes et, surtout, du réseau logistique nécessaire aux unités déployées en positions avancées. Les États-Unis pourraient également profiter de leur présence accrue plus ou moins stable dans la Baltique et dans l’ensemble de la péninsule scandinave pour accroître la pression sur la Russie dans une double zone géographique représentée par l’Arctique et la mer Baltique elle-même.

Moscou sera contraint de prendre des mesures qui, rétrospectivement, sont déjà en cours : de nouvelles unités militaires de renfort sont arrivées sur la péninsule vitale de Kola (un site qui abrite d’importantes bases navales) et nous prévoyons que Kaliningrad elle-même, considérée comme une grande base militaire, verra la mise en place de plusieurs unités terrestres et aériennes, qu’il faudra déployer en les détournant d’autres bases actuellement actives dans le conflit en Ukraine ou de sites en Extrême-Orient russe si l’on ne veut pas que les capacités de dissuasion conventionnelle soient encore réduites.

Du point de vue des armes nucléaires tactiques, nous pensons qu’il est peu probable (mais pas impossible) de voir l’OTAN les déployer dans la péninsule scandinave, bien que la Russie soit en train d’activer ses unités équipées de ces engins en Biélorussie : d’abord, il faut du temps pour mettre en place un environnement de sécurité adéquat pour les sites ; deuxièmement il nécessaire d’affecter les arsenaux des autres bases européennes où sont entreposées des armes nucléaires tactiques compte tenu de la politique américaine de non-prolifération nucléaire ; enfin, une décision dans ce sens amènerait les Russes à déplacer à l’ouest de l’Oural leurs porte-avions de croisière à charge nucléaire (les 9M729 ou SSC-8) qui semblent jusqu’à présent être déployés à l’intérieure de la Russie.