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Les grands mouvements au Moyen-Orient: les Saoudiens à Téhéran et les Emiratis à Saint-Pétersbourg.

(Paris, Rome, 19.06.2023). Le ministre saoudien des AE à Téhéran et le président des Émirats arabes unis à Moscou envoient des messages clairs au monde et parlent à l’Occident de leurs plans mondiaux. Et pendant ce temps, ben Salman est accueilli par le Président Macron

Le jour même où le ministre saoudien des Affaires étrangères, Fayçal ben Farhan, rencontrait le président iranien, Ebrahim Raïssi, à Téhéran, le factotum et président des Émirats arabes unis, Mohammed ben Zayed, était l’invité à Saint-Pétersbourg du dirigeant russe, Vladimir Poutine. Les deux visites ne sont pas liées (du moins pas formellement), mais ensemble, elles racontent combien Riyad et Abou Dhabi entendent jouer leur rôle dans la dynamique internationale, nous explique Emanuele Rossi dans son décryptage dans le quotidien «Formiche».

La mission du ministre saoudien est unique en son genre en ces décennies, au cours desquelles les deux principales puissances du monde islamique – aux antipodes en termes d’interprétation confessionnelle et d’intérêts géopolitiques – se sont affrontées. Mais aujourd’hui, elles ont opté pour une forme de détente. L’Arabie saoudite et l’Iran sont convenus de normaliser leurs relations selon un accord négocié de longue date par d’autres acteurs régionaux (surtout l’Irak et Oman), partiellement facilité par les États-Unis et les Européens, mais signé définitivement à Pékin, et selon les Saoudiens, signé plus pour plaire à la Chine qu’autre chose. Même des dossiers assez délicats restent ouverts entre les deux pays, nous ne sommes pas face à un alignement stratégique, mais à un rapprochement tactique. Ce qui, toutefois, vaut mieux qu’une guerre.

La visite de Ben Zayed à Saint-Pétersbourg est plutôt liée au forum économique russe annuel qui est organisé dans la ville natale de Poutine (l’acronyme sous lequel l’événement est connu, est Spief). Au Spief, les entreprises des Émirats arabes unis ont un rôle de premier plan contrairement à de nombreux homologues occidentales qui sont restées distantes en raison du conflit en Ukraine (une mesure choisie à la fois idéologiquement par des entreprises individuelles et induite de force par le régime de sanctions antirusse qui empêche les Occidentaux d’avoir pratiquement tout type de relation). Les Émirats n’ont pas adhéré aux sanctions occidentales contre Moscou : alors que Dubaï, longtemps prisée auprès des touristes russes, est devenue ces 16 derniers mois un refuge pour les hommes d’affaires russes (avec des vols directs très fréquentés vers Moscou et des liens économiques en expansion), Abou Dhabi a désormais de bonnes relations avec la Russie, même dans le cadre du système de contrôle du marché pétrolier de l’OPEP+.

« Monsieur le Président, […] de nombreuses menaces nous parviennent, notamment compte tenu de la situation actuelle en Russie […] mais nous avons décidé et agi sans tenir compte des conditions fixées par l’Occident », a déclaré ben Zayed à Poutine ; des paroles que l’Émirati a choisie de prononcer publiquement, et qu’il a échangées avec le Russe alors qu’ils se dirigeaient vers la salle où ils devaient, plus tard, s’entretenir en privé.
« Je voudrais également souligner les discussions entre nos deux pays sur la coopération pour assurer la sécurité maritime et réduire la prolifération des armes de destruction massive », a plutôt déclaré le ministre Fayçal ben Farhan depuis Téhéran, soulignant ainsi deux domaines dans lesquels les Saoudiens ont jusqu’à présent travaillé avec les États-Unis. Aujourd’hui, grâce à la médiation chinoise qui a effacé les activités précédentes, tout peut hypothétiquement être traité de manière bilatérale irano-saoudienne (peut-être avec un œil sur Pékin, en supposant qu’il soit sérieux et ne se contente pas de la seule présence économique dans la région).

En impliquant la Chine dans leur récent accord, l’Iran et l’Arabie saoudite veulent donner un signal clair aux États-Unis : le rôle de Washington peut être remplacé. Les propos tenus par ben Zayed à Moscou vont dans le même sens. Et force est de constater que ces deux contacts diplomatiques témoignent de la volonté des deux principaux pays du Golfe d’évoluer et d’agir de manière indépendante sur la scène internationale. A Washington, il existe deux types d’approches de certaines dynamiques : d’une part, il y a un type de pensée qui voit dans certaines actions la confirmation que les monarchies du Golfe ne seront plus jamais pleinement intégrées dans le système d’activité des Démocraties (celui élevé au rang de moteur et de vecteur des relations internationales américaines) ; de l’autre, un second qui s’est désormais résigné au pragmatisme, conscient qu’en raison des capacités économiques et politiques (notamment de dirigeants comme ben Zayed), ces pays en sont désormais arrivés au point où ils veulent veiller à leurs propres intérêts sur le plan international et préfèrent l’exercer de manière multipolaire, et ensuite, ce qui peut être pris dans les relations doit l’être.

Le même jour également, l’héritier du trône saoudien, l’ancien Premier ministre et dirigeant de facto Mohammed ben Salman (qui pourrait bientôt se rendre à Téhéran), s’est rendu à Paris pour une réunion avec Emmanuel Macron (parmi les sujets de dialogue, figurait également le Liban, qui, ces derniers jours a clôturé la 12e session parlementaire sans élire son président, et les citoyens épuisés prennent d’assaut les banques). Hier également, la Russie a annoncé l’ouverture d’un bureau consulaire à Jérusalem (où l’administration Trump avait déplacé l’ambassade reconnaissant son rôle de capitale d’Israël), et la Turquie a annoncé la nomination d’un nouvel ambassadeur en Russie. Ce dernier aura une urgence : pouvoir servir de médiateur pour un nouvel accord sur les céréales entre les Russes et les Ukrainiens, avant qu’il n’expire fin juillet et que de nouvelles situations d’inflation alimentaire ne surviennent. Phénomène qui pourrait gravement affecter le « Sud Global », objet des intérêts des activités internationales des Emirats, de l’Arabie Saoudite, de la Russie, de la Chine et de la Turquie.

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