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Turquie: Erdogan «inaugure» la centrale nucléaire d’Akkuyu (avec l’aide de la Russie)

(Rome, Paris, 28.04.2023). La centrale nucléaire d’Akkuyu (un village du district de Besni, dans la province d’Adıyaman) en Turquie avance à marche forcée vers son activation. La première cargaison de combustible est arrivée sur le site de la province méridionale de Mersin, franchissant ainsi une étape importante vers la future production d’électricité, rapporte le quotidien «Inside Over».

Un moment essentiel pour le président Recep Tayyip Erdogan (apparu par liaison vidéo malgré sa maladie de ces dernières heures), mais aussi pour son homologue russe, Vladimir Poutine, également connecté par vidéo en tant que président du pays qui a contribué à la construction de la centrale via l’agence Rosatom, le géant russe de l’atome civil.

L’usine, qui devrait être opérationnelle à partir de 2025, représente un signal supplémentaire pour Erdogan dans son intention d’accélérer le processus d’indépendance du pays, notamment dans le secteur de l’énergie. L’inauguration hier de la centrale nucléaire est avant un signal politique et de propagande en vue des prochaines élections, se voulant l’épreuve décisive de cette volonté de renaissance de la puissance turque qui passe (surtout dans une période difficile comme celle que traverse le pays) également par la capacité à réduire les dépenses énergétiques en augmentant la production nationale.

Il s’agit d’un changement difficile pour la Turquie, puisqu’elle importe à ce jour la quasi-totalité de l’énergie nécessaire pour répondre à ses besoins. La raison pour laquelle Erdogan, en plus d’accélérer la construction de la centrale nucléaire d’Akkuyu, confirme à chaque occasion le programme d’extraction de gaz en mer Noire. Avec le désir jamais trop caché de pouvoir aussi exploiter les ressources des mers autour de Chypre et dans cette mer Egée qui a toujours été disputée dans sa subdivision actuelle.

Ce n’est pas un chemin facile ou instantané. L’investissement dans la centrale d’Akkuyu, par exemple, a coûté environ 20 milliards de dollars, fait l’objet d’une série de doutes sur les plans environnementaux, stratégiques et même économiques, et malgré cela la centrale parviendra – au mieux – à satisfaire un dixième des besoins en électricité de la Turquie. Par ailleurs, les analystes critiques du projet soulignent au moins deux faits : la forte présence russe dans le projet et dans l’avenir de la centrale, due non seulement à l’investissement économique mais aussi par le fait que la Turquie n’a pas de passé nucléaire et ne dispose donc pas d’une classe de techniciens expérimentés ; l’argent qu’Ankara devra payer à Rosatom dans les années à venir par kilowattheure et qui, selon certains, sera bien supérieur au prix moyen mondial.

«Quand la Russie a entrepris ce projet, la Turquie n’avait aucune infrastructure légale liée au nucléaire, affirme Özgür Gürbüz, directeur de campagne de l’association Ekosfer, comme le rapporte «RFI». Qu’est-ce que cela veut dire ? Que la Russie a fait comme elle a voulu. Il n’y a aucun contrôle indépendant, aucune responsabilité financière. Cela pose un grand risque pour le public. Par exemple, nous avons des doutes concernant le risque sismique, mais nous ne recevons aucune information. En tant qu’ONG de la société civile turque, ce n’est pas le ministère turc de l’Énergie que nous trouvons face à nous, mais l’entreprise russe », peut-on encore lire dans les colonnes de RFI.

En outre, sur le plan stratégique, l’importance du projet pour Erdogan ne peut être négligée dans le cadre des relations bilatérales avec la Russie. Un système de relations qui contredit inévitablement en partie sa loyauté envers l’OTAN mais qui sert aussi à rappeler à quel point tant le « Sultan » que le « Tsar » continuent d’avoir une conception très différente des relations entre l’Occident et Moscou. A cet égard, le signal politique du dirigeant turc avec Akkuyu est non seulement celui de vouloir montrer une Turquie « indépendante » (relativement, compte tenu de la forte implication et du poids de la Russie dans le plan), mais aussi de démontrer la capacité à tenir ses engagements avec un partenaire inconfortable mais fondamental dans la géopolitique d’Ankara.

Ce type de signaux peut aussi être utile à la Russie, dans une moindre mesure mais non moins important. Poutine, isolé de l’Occident depuis l’invasion de l’Ukraine, peut affirmer sa liberté de manœuvre dans des contextes extérieurs à celui éminemment européen ou euro-américain et ce, par le biais de l’un des piliers de son agenda stratégique : l’énergie. Bloqué sur le front du gaz et du pétrole vis-à-vis de l’Union européenne et sous le coup de sanctions dans divers secteurs, le président russe peut envoyer un message au monde à travers l’une de ses armes les plus importantes, l’atome, déjà démontré avec le cas de la Hongrie à travers le renouvellement de l’accord de l’usine de Paks. En confirmant les plans d’Akkuyu, importants au point de mériter son intervention vidéo pour l’arrivée du premier carburant, Poutine peut ainsi démontrer non seulement qu’il n’est pas complètement isolé, mais qu’il est capable de maintenir des projets internationaux en attirant, comme a expliqué le chef du groupe de réflexion russe «New Turkey Research Center Yuriy Mavaşev» à la BBC Turkey, également des clients potentiels dans d’autres parties du monde, à commencer par le continent africain.

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