Téhéran-Riyad: l’accord entre les anciens ennemis trouble Netanyahu et renforce le rôle chinois au Moyen-Orient au détriment des États-Unis

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(Paris, Rome, 14.03.2023). L’accord Iran-Arabie saoudite négocié par Pékin prive le dirigeant israélien de son ennemi n°1, au moment même où il se débat le plus sur le front intérieur. Les États-Unis encaissent une réduction de leur rôle, mais l’accord entre l’Occident et Téhéran sur le nucléaire pourrait paradoxalement en bénéficier

Ils ne l’ont pas vu venir, comme le dit une expression populaire en Italie. Ni le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu ni le président américain Joe Biden n’avaient reçu de signaux indiquant que deux ennemis acharnés comme Téhéran et Riyad avaient décidé – avec la garantie de la Chine – de rétablir leurs relations diplomatiques après 7 ans de guerres par procuration sanglantes comme au Yémen. La surprise de Netanyahu, en visite à Rome plus pour un anniversaire de mariage que pour une proposition diplomatique décente, a été visible lorsque son conseiller à la sécurité nationale lui a chuchoté la nouvelle à l’oreille. Le rêve d’Israël de former une alliance arabe contre l’Iran a ainsi été brisé vendredi dernier avec la nouvelle selon laquelle l’Iran et l’Arabie saoudite s’étaient mis d’accord pour rétablir les relations diplomatiques dans les deux mois. Il est certain que l’annonce est lourde de sens et redessinera la carte du Moyen-Orient en redéfinissant les amis et les ennemis, et qu’elle aura des répercussions au niveau mondiale. L’accord confère à l’Iran une légitimité indispensable dans le monde arabe et pourrait conduire à d’autres accords avec des États arabes tels que l’Égypte après ceux conclus avec le Koweït et Abou Dhabi, ouvrir la voie à la fin de la guerre au Yémen, offrir une solution viable à la crise au Liban et même conduire à une reprise des négociations pour sauver l’accord nucléaire avec l’Occident (JCPOA), explique Fabio Scuto, dans le quotidien italien «Il Fatto Quotidiano».

Le Wall Street Journal a rapporté la semaine dernière que l’Arabie saoudite avait demandé des garanties de sécurité et l’aide des États-Unis pour construire son programme nucléaire civil comme condition de normalisation des liens entre le royaume arabe et Israël. Mais le Congrès américain a bloqué une telle aide. Il semble donc que l’Arabie saoudite ait rapidement trouvé «la» solution en Chine, avec laquelle elle a signé un mémorandum pour la construction d’un réacteur nucléaire en 2017. Dans tous les cas, les Saoudiens ont posé un sérieux dilemme aux États-Unis : aider l’Arabie saoudite avec son programme nucléaire civil et potentiellement gagner son soutien à un accord avec Israël ou laisser la Chine récolter les fruits économiques et politiques.

S’attribuant le mérite d’avoir conclu un accord de paix au Moyen-Orient, le président chinois Xi profite du déclin de l’influence américaine dans la région et présente le leadership chinois comme une alternative à un ordre dirigé par Washington qui, selon lui, conduit le monde vers une nouvelle « guerre froide ». La vision de Xi est d’arracher le pouvoir à Washington en faveur du multilatéralisme et de la soi-disant non-ingérence, un mot que la Chine utilise pour affirmer que les nations ne devraient pas se mêler des affaires intérieures des autres, critiquant les violations, par exemple, des droits de l’homme. La Chine est également intéressée par la stabilité de la région. Pékin reçoit plus de 40 % de ses importations de pétrole brut de la région. En outre, le Golfe est devenu un nœud clé le long des routes commerciales de l’initiative « la Ceinture et la Route », ainsi qu’un marché important pour la technologie et les biens de consommation chinois. Le géant chinois des télécommunications Huawei fournit des réseaux 5G en Arabie saoudite, au Qatar, au Koweït et aux Émirats arabes unis.

Pékin a également cherché à mettre l’accent sur un plan appelé « Global Security Initiative », présenté pour la première fois par Xi il y a un an, qu’il décrit comme un effort visant à appliquer « la sagesse et les solutions chinoises » aux plus grands défis de sécurité du monde. L’initiative, qui fait écho au langage de l’ère Mao sur la promotion de la « coexistence pacifique », appelle à un nouveau paradigme dans lequel le pouvoir mondial est réparti plus équitablement et le monde rejette « l’unilatéralisme, la confrontation entre les blocs et l’hégémonisme », une référence claire aux États-Unis et aux alliances militaires telles que l’OTAN. La Chine est devenue un allié stratégique important de l’Iran, avec lequel elle a signé un accord de coopération économique de 400 millions de dollars sur 25 ans.

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Mais tant la Chine que l’Iran savent que la réalisation du potentiel de leur alliance dépend de la signature d’un nouvel accord nucléaire. La Chine est entrée en scène en tant que médiateur entre l’Iran et l’Arabie saoudite pour construire une alliance qui serve les intérêts des trois pays sans avoir besoin des services ou des garanties des États-Unis. Plus important encore, la Chine prend la place des États-Unis en tant que puissance économique et stratégique dans la région. Une puissance sur laquelle Israël a décidément peu d’influence. Benjamin Netanyahu, qui a fondé toute sa politique ces dernières années sur l’agitation du spectre de l’Iran pour obtenir des armes des États-Unis, qui en 2012/2013, encore en tant que Premier ministre, était à un pas de bombarder les sites nucléaires iraniens, se trouve soudain sans ennemi, avec un pays en révolte contre les lois « putschistes » qu’il veut imposer avec ses alliés de l’ultra-droite et une Cisjordanie en feu à cause des opérations militaires continues contre les nouveaux groupes armés palestiniens. Le magicien, comme l’appellent ses admirateurs, cette fois-ci, pour le sortir de son chapeau, ne trouvera peut-être plus le lapin.