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Ebrahim Raïssi en Chine. Plus de propagande (anti-occidentale) que d’alliance

(Rome, Paris, 15.02.2023). Le voyage du Président iranien en Chine a une haute valeur symbolique, notamment pour l’Iran. Car c’est de là, que sortira la coordination du récit anti-occidental. Téhéran et Pékin trouveront les moyens de renforcer leurs liens, notamment sur le plan économique, mais en fait, le jeu est entièrement entre les mains de Xi Jinping, qui pourra choisir jusqu’où propulser la coopération.

Le président iranien, Ebrahim Raïssi, est en Chine, en tant qu’invité de son homologue Xi Jinping. Un voyage de deux jours qui permet d’approfondir la coopération et pousser le récit contre l’ordre mondial pro-occidental. C’est l’objectif – créer, ou plutôt faire l’hypothèse d’un nouveau système de gouvernance des affaires mondiales – qui combine la pensée stratégique de Xi avec les visions historiques de la République islamique, selon le décryptage d’Emanuele Rossi dans le journal «Formiche».

Selon l’agence de presse iranienne Irna, lors des réunions, les délégations respectives signeront des documents de coopération, essentiellement de nature économique. Cependant, sa cohérence n’est pas évidente. En juillet 2020, un partenariat de 25 ans entre Pékin et Téhéran a été annoncé, puis concrétisé en 2021. Il avait été vanté avec de nombreux chiffres légendaires, 400 milliards de dollars de valeur pour un accord d’un quart de siècle (selon Nova News, l’accord pourrait mobiliser jusqu’à 500 milliards de dollars d’investissements sur une période de 25 ans, Ndlr). Mais en fait, il n’a pas été mis en œuvre.

La publication iranienne Farhikhtegan note ces jours-ci que le volume des échanges entre l’Iran et la Chine est en fait passé de 772 millions de dollars en 2001 à 27,3 milliards de dollars en 2022. Toutefois, les données les plus récentes publiées par l’Administration générale des douanes de la République populaire de Chine pour le mois de décembre 2022, montrent que la baisse des importations chinoises en provenance d’Iran se poursuit, les échanges non pétroliers ayant chuté à 311 millions de dollars au cours du mois, soit le chiffre le plus bas depuis 2004.

En outre, comme le souligne Bourse & Bazar, « bien qu’elle ait doublé pour atteindre 12 millions de dollars, la valeur des importations chinoises déclarées de pétrole iranien est restée négligeable [même en décembre]. Dans le même temps, les importations chinoises de pétrole brut en provenance des Émirats arabes unis et de Malaisie ont continué de croître, atteignant un niveau record sur 24 mois de 4,14 milliards de dollars et 4,27 milliards de dollars en décembre, respectivement. Il convient de mentionner que ces dernières années, la Chine a utilisé les Émirats arabes unis et la Malaisie comme intermédiaires pour importer du pétrole iranien non déclaré.

C’est le président iranien lui-même qui a souligné, lors d’une conférence de presse avant d’embarquer dans l’avion qui le conduisait à Pékin, que malgré les bonnes relations, les « capacités des deux pays » n’étaient pas utilisées « dans la mesure souhaitée », notamment dans les questions économiques et commerciales. « Malheureusement, je dois dire que nous avons pris un sérieux retard dans ces relations », a-t-il déclaré. « Nous devons suivre et compenser le retard existant dans les relations avec la Chine », a-t-il ajouté, et « l’expansion de ces relations doit être poursuivie sérieusement ». Des mots qui marquent la frustration.

La visite de Raïssi – la première « visite officielle » d’un président iranien depuis 20 ans, devrait approfondir les liens en trouvant comme ciment l’opposition à la domination occidentale des affaires internationales dirigée par les États-Unis. Les deux dirigeants se sont déjà rencontrés en septembre dernier à Samarcande, en Ouzbékistan, lorsque Xi a souligné le soutien de la Chine à l’entrée de l’Iran dans l’Organisation de coopération de Shanghai, l’OCS, le système multilatéral eurasien dirigé par Pékin pour lequel Téhéran a achevé le processus juridique d’adhésion. En décembre, lors d’une rencontre avec le vice-Premier ministre chinois Hu Chunhua à Téhéran, Raïssi a promis d’approfondir le partenariat stratégique.

Les deux pays ont eu des relations tendues avec les États-Unis et ont tenté de se positionner comme un contrepoids à la puissance américaine aux côtés de la Russie. Récemment, au-delà des litiges en cours au Moyen-Orient, les États-Unis ont accusé l’Iran d’avoir vendu des centaines de drones d’attaque à la Russie pour sa guerre en Ukraine et ont infligé des sanctions aux dirigeants d’un fabricant iranien aérospatial. Avec la Chine, en revanche, il existe de profondes divisions liées à la concurrence entre les puissances.

Il est dans l’intérêt de l’Iran d’accroître sa coopération avec Pékin, non seulement pour suivre la stratégie «Regardez vers l’Est» lancée par la République islamique, mais aussi parce que la Chine est la grande puissance de référence compte tenu de la phase d’isolement que subit Téhéran vis-à-vis de l’Occident. Toutefois, la Chine ralentit ses investissements, probablement en raison de la situation délicate de stabilité de la République islamique. Le poids des tensions sociales internes a explosé ces derniers mois et – malgré le fait que le régime se soit révélé être une structure stable et toujours capable de réprimer les protestations – il s’est avéré être un problème pour ceux qui ont l’intention d’investir.

Dans le même temps, la réponse sévère des États-Unis et de l’UE à la répression et à l’aide que l’Iran a apportée à l’invasion russe a produit de nouvelles sanctions et a compliqué à l’extrême le climat déjà tendue autour des tentatives de recomposition du JCPOA, l’accord de gel du Programme nucléaire iranien, dont la Chine est cosignataire en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. « La priorité de Raïssi cette fois, sera de développer le partenariat stratégique global Chine-Iran et de promouvoir l’accord de coopération de 25 ans », explique Tang Zhichao, analyste chinois à l’Académie chinoise des sciences sociales, dans l’un de ces articles dans lesquels le Global Times utilise des personnes tierces comme mégaphone du Parti/État.

« Il est prévisible qu’après cette réunion, les relations sino-iraniennes entreront dans une nouvelle phase plus élevée », explique le Global Times. Une phase qui pourrait passer de la coopération au sein de l’OCS, où il y a plus de place à l’activité et où la Chine aurait moins de poids politique en collaborant avec Téhéran, considéré comme un État paria après les répressions et pour son soutien à la Russie. Selon le journal gouvernemental chinois, la stratégie orientale de l’Iran permettra au pays de concrétiser – par le biais d’alliances avec des pays de même sensibilité – les visions historiques du non-alignement.

Les sensibilités en jeu sont racontées par l’affaire de Tiandy Technologies Co, une entreprise de Tianjin que les États-Unis pourraient placer sous sanctions parce qu’elle  a doublé les ventes de systèmes de surveillance aux Pasdaran et au Bassij en 2022. Ces systèmes sont utilisés pour la répression, et après avoir été mis sur liste noire par le département du Commerce en décembre dernier, les sanctions créeraient désormais des problèmes opérationnels majeurs pour Tiandy sur le marché occidental. Mais la Chine doit également équilibrer ce dialogue iranien avec les intérêts des pays du Moyen-Orient qui considèrent la République islamique comme un ennemi, tels que l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis ou Israël. Nul ne doute que Pékin privilégie les activités avec ce dernier plutôt qu’avec Téhéran.

Certes, dans deux jours, le voyage de Raïssi et sa rencontre avec Xi seront certainement considérés comme un succès, du moins parce que du point de vue stratégique, les deux hommes ont intérêt à adopter cette ligne. Cependant, la Chine sera – comme toujours dans ces occasions : voir les relations avec la Russie – beaucoup plus avisée dans l’usage des termes sensationnels. Surtout, il est très probable que Pékin exploitera l’Iran pour ses propres intérêts, le considérant comme un partenaire mineur.

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