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L’énigme du ballon espion chinois, des doutes et des questions sans réponses

(Paris, Rome, 06.02.2023). Tant de doutes, tant de questions encore sans réponse et si peu de certitudes. S’il ne restait que des débris du prétendu ballon-espion chinois abattu au large de la Caroline du Sud, au-dessus des eaux de l’océan Atlantique, le sentiment demeure chez les initiés qu’ils ont affaire à un mystère encore à élucider.

Le Pentagone, apprenant la nouvelle qu’un étrange invité inattendu traversait le Montana, en direction du sud-est du pays, a immédiatement donné l’impression d’avoir la situation sous contrôle. Le ballon volant chinois, a déclaré le porte-parole du Pentagone Pat Ryder, était surveillé étape par étape, tandis que le gouvernement a agi rapidement pour se protéger de toute éventuelle collecte d’informations sensibles.

Les mots de Ryder prennent désormais encore plus d’importance, souligne Federico Giuliani dans le quotidien italien «Inside Over», surtout lorsqu’ils sont lus en relation avec les éventuels sites militaires traversés ou «caressés» par la menace potentielle. Il s’agit, pour ne citer que les principales, de la base aérienne de Malmstrom (qui abrite le 341st Missile Wing du Global Strike Command, Ndlr) dans le Montana, où se trouve l’un des trois champs de missiles nucléaires américains, de la base aérienne de Minot, dans le Dakota du Nord et de la base de Warren, dans le Wyoming. Dans le Dakota du Sud, en revanche, on trouve la base aérienne d’Ellsworth, d’où ont décollé les bombardiers B-1B Lancer du 34th «Expeditiory Bomb Squadron» le 1er février dernier à destination de l’Andersen Air Force à Guam, tandis que dans le Missouri se trouve la base aérienne de Whiteman, qui accueille des bombardiers stratégiques B-2.

Cela dit, que sait-on de la montgolfière qui a tenu en haleine l’opinion publique américaine pendant des jours ? Il existe deux versions, en attendant l’analyse par les autorités des débris qui ont fini au fond de la mer. Pour la Maison Blanche, l’objet du litige était un ballon espion prétendument envoyé par Pékin pour recueillir des renseignements stratégiques. Au contraire, la Chine a parlé d’un dirigeable civil utilisé pour des relevés météorologiques qui s’est accidentellement retrouvé sur le territoire américain.

En tout état de cause, le puzzle est bien plus complexe qu’on ne pourrait l’imaginer et dépasse le caractère pourtant fondamental du ballon/dirigeable. Il existe plusieurs zones d’ombre sur lesquelles il vaut la peine d’essayer de braquer les projecteurs.

L’objectif

Tout d’abord, compte tenu de l’admission de Pékin selon laquelle le ballon est bien chinois, on peut se demander pourquoi l’objet se trouvait au-dessus du sol américain. La Chine, comme mentionné, a parlé d’un accident causé par une «force majeure», coïncidant avec les vents qui auraient poussé le «petit» ballon (ayant la taille de trois autobus, selon l’état-major de l’USAF, Ndlr) vers les États-Unis.

Qu’il s’agisse ou non d’un acte d’espionnage délibéré, l’action elle-même a eu des répercussions à la fois politiques et militaires. Quant au premier, Joe Biden a été accusé par le front républicain de ne pas avoir géré le dossier de la meilleure des façons. En particulier, le président démocrate est blâmé de ne pas avoir abattu le ballon immédiatement, ce qui n’a eu lieu que plus tard. Probablement pour adoucir les allégations, l’administration Biden a publié des informations selon lesquelles la Chine aurait largué trois ballons similaires aux États-Unis pendant la présidence de Donald Trump.

Pendant ce temps, Marco Rubio, vice-président de la commission sénatoriale du renseignement, a émis l’hypothèse sur CNN que l’épisode aurait pu être un « effort effronté » de la Chine visant à embarrasser Biden lui-même avant son discours sur l’état de l’Union mardi. Si tel était effectivement le cas, il ne peut être exclu que l’événement ait pu se produire en raison de la volonté de Pékin de mesurer le degré de la fermeté du gouvernement américain. Il est vrai que, lorsqu’il s’agit de la Chine, après avoir déposé les déclarations incendiaires des républicains et des démocrates, ils ont montré à plusieurs reprises qu’ils agissent unis contre le Dragon.

Mais il est tout aussi vrai, comme l’a rappelé l’analyste Brandon Weichert, que le géant asiatique est le rival stratégique numéro un des États-Unis, à tel point que, selon diverses sources militaires américaines, les deux pays pourraient entrer en guerre d’ici quelques années. Il n’est donc pas surprenant que, dans un tel climat, des épisodes comme celui du prétendu ballon espion puissent se produire.

La réaction américaine

Ensuite, il y a l’autre grand volet à aborder : le volet militaro-stratégique. Sommes-nous face à un échec américain ou une telle affirmation est-elle exagérée ?, s’interroge encore le journal italien.

En regardant le parcours du ballon, étaient nombreux ceux qui se sont demandé pourquoi il n’avait pas été abattu alors qu’il passait les îles Aléoutiennes. Mais il y a d’autres grands points d’interrogation. Pourquoi, par exemple, si les États-Unis étaient au courant de l’existence du ballon avant qu’il n’entre dans l’espace aérien américain, a-t-il été autorisé à poursuivre son vol ? Et encore : le ballon qui a pénétré au cœur des États-Unis était peut-être équipé d’un simple matériel de surveillance, mais pouvait théoriquement aussi transporter des armes. Comme l’Emp, (une arme électromagnétique à vocation tactique a pour objectif de perturber, neutraliser ou détruire les composants électroniques des forces engagées sur le terrain. Autrement dit, de priver l’adversaire de tout ou partie de la technologie dont il dispose, Ndlr).

D’autres détails inquiétants ont émergé. L’incident, comme l’a souligné «Asia Times», n’est devenu public que parce qu’un objet volant étrange a été repéré par un passager d’un vol commercial. Le Pentagone aurait-il encore fait connaître la présence de l’invité indésirable si un civil n’avait pas rendu public l’une des plus graves incursions chinoises en territoire américain de ces dernières années ? L’administration Biden devra également fournir des réponses à ce sujet.

La décision de ne pas abattre le ballon n’est pas non plus convaincante car, selon les militaires, les débris de l’explosion auraient pu blesser des civils. D’autres ont souligné que la densité de population du Montana est de 2,79 personnes par kilomètre carré.

Washington a en outre expliqué que le ballon espion présumé ne donnerait à la Chine aucune capacité de surveillance supplémentaire au-delà de ce qu’elle possède déjà grâce aux satellites en orbite terrestre. En suivant cette interprétation, il est alors probable que Pékin n’ait pas voulu espionner mais plutôt vérifier le fonctionnement des défenses aériennes continentales américaines. Le seul système de défense aérienne que les États-Unis ont placé en Alaska, d’où le dirigeable est entré, est le Ground Based Interceptor (GBI), un intercepteur terrestre.

Le Pentagone a également déclaré qu’il suivait la menace potentielle au-dessus de l’Alaska, du Canada et du Montana. Mais quand et où le ballon a-t-il été aperçu pour la première fois ? Et pourquoi n’a-t-il pas été détruit avant d’entrer sur le territoire américain ou même pendant son transit au-dessus du Pacifique ? Des F-22 et des F-15 auraient potentiellement pu être utilisés pour l’intercepter, ainsi qu’un navire de guerre américain Aegis dans le Pacifique, équipé de missiles intercepteurs.

Ces considérations ont pu offrir à la Chine diverses pistes de réflexion. Pékin, par exemple, peut avoir émis l’hypothèse que le système GBI ne fonctionne pas contre les ballons à vol lent. Ce serait sans doute une découverte intéressante au vu d’éventuelles nouvelles futures tensions.

Enfin, un expert français nous a confié que les États-Unis auraient pu exiger de la Chine (qui aurait dû également proposer) qu’une expertise soit réalisée par des experts des deux pays au moment de son atterrissage, afin de vérifier et révéler le contenu de sa collecte d’informations lors de son vol dans l’espace aérien américain, dans le but de mettre Pékin devant le fait accompli et de confirmer ou infirmer ses propos, vu les déclarations chinoises qui affirmaient que l’aéronef civil était utilisé à des fins de recherches, principalement météorologiques. Ceci aurait évité toute tension et polémique entre Washington et Pékin.

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