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Le modèle du régime iranien: Assad plutôt que le chah

(Rome, 28 décembre 2022). La République islamique ne peut envisager de tomber sous la pression de la rue. Les mollahs iront jusqu’au bout pour conserver leur pouvoir, analyse Antoine Basbous.

Depuis  sa création en 1979, la République islamique d’Iran survit dans la confrontation.

Elle a forgé son identité dans l’hostilité à l’impérialisme américain et au sionisme, a mobilisé les communautés chiites au sein du monde arabe pour satelliser son «croissant chiite» (Irak, Syrie, Liban) et a investi le Yémen ainsi que la cause palestinienne, que les gouvernements arabes ont négligée de guerre lasse.

Soumis à un millefeuille de sanctions depuis la prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran, le régime a été privé d’un accès libre aux technologies et a consacré la majeure partie de ses ressources au développement de son réseau de «proxies» dans la région, ainsi qu’à l’armement low cost qui lui a permis de compenser avantageusement l’absence d’aviation  militaire. Il s’est aussi lancé dans un coûteux programme nucléaire afin de sanctuariser son territoire et de se faire respecter de ses voisins et de ses adversaires.

Dans le même temps, l’idéologie de la République islamique a jeté une chape de plomb sur la société, sacrifiée au profit de deux castes : les mollahs et les pasdarans, l’armée idéologique du régime, qui  monopolisent le pouvoir et les richesses en réservant au peuple les larmes, le sang et l’absence de tout espoir d’une vie meilleure. Les maux qui frappent le peuple sont multiples : inflation, pauvreté, manque flagrant d’infrastructures, déclassement régional  par rapport aux pays du Golfe, manque  de libertés … Pour faire accepter ces sacrifices, le régime a entretenu une tension permanente et détourné l’attention  de l’opinion.

Les premières grandes contestations, intervenues lors de l’élection présidentielle de 2009, étaient de nature politique, provoquées par l’intervention du guide, qui avait tranché avant la fin du dépouillement en faveur du candidat ultraconservateur Ahmadinejad, au détriment de «réformateurs» qui furent Premier ministre et président du Parlement sous Khomeiny. La brutalité (80 morts) a mis un terme à la contestation. La seconde vague est intervenue en 2019 et avait pour origine la cherté de la vie. Les Pasdarans et leurs milices supplétives avaient coupé internet pour réprimer à huis clos, sans les vidéos qui peuvent amplifier la colère et la relayer à l’international. L’ordre avait été rétabli en quelques jours, au prix de 208 morts.

Les mollahs et les pasdarans vendront chèrement leur peau, car ils ne veulent pas connaître le sort du chah et de son régime.

La contestation en cours est bien plus grave que les précédentes : elle agglomère des citadins, des provinciaux, des Perses, des Baloutches, des Azéris et des Kurdes, des riches et des pauvres … En face, seuls les mollahs et les Pasdarans s’accrochent à leurs privilèges. Ils vendront chèrement leur peau, car ils ne veulent pas connaître le sort du chah et de son régime après la chute du pouvoir impérial.

Après quarante-trois années de répression totale, la République islamique ne peut envisager de quitter le pouvoir sous la pression de la rue. Loin de céder comme le fit le chah, elle prendra le chemin qu’elle a suivi en Syrie en soutenant, dès 2011, le régime de Bachar Al Assad, causant plus de 500.000 morts et déracinant la moitié de la population entre  déplacements intérieurs et exils. Les mollahs  se battront jusqu’au bout, quitte à confier le pouvoir aux Pasdarans pour donner l’illusion d’un changement. Le régime conservera  son essence dictatoriale en privilégiant un visage nationaliste.

Si les contestataires scandent le slogan «Femme, vie, liberté» en réaction à la mort violente  de Mahsa Amini, ils n’ont pas pour seul objectif l’abolition de la police des mœurs. C’est la République islamique et ses valeurs qu’ils contestent. Mais quelle que soit la force de cette vague, il lui sera très difficile d’abattre le régime. Pour y parvenir, il faudrait que deux conditions soient réunies : des divisions internes et une grève générale qui paralyserait les bazars et l’industrie pétrolière. Pour l’heure cependant, tout laisse à penser que le régime reste vigoureux et déterminé à alterner violence et ruse pour se pérenniser.

Par Antoine Basbous. (Les Echos)

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