L'actualité du Proche et Moyen-Orient et Afrique du Nord

Pour quelles raisons le sous-marin russe Belgorod aurait pris la mer ?

(Paris, 04 octobre 2022). La presse internationale s’est montrée particulièrement alarmée par la mise à la mer du sous-marin spécial russe K-329 « Belgorod ».

L’inquiétude était motivée par la possibilité, que le navire puisse lancer la super torpille à charge nucléaire 2M39 Poseidon (anciennement connue sous le nom de Status-6 ou Kanyon, code OTAN). Beaucoup d’encre a coulé sur cette arme sous-marine particulière, et très souvent des informations erronées ont été fournies uniquement sur la base des premières affirmations russes qui avaient tendance à exagérer ses performances. La torpille Poséidon est une arme stratégique conçue pour mener des attaques de représailles : cela signifie que son lancement n’est effectué qu’après une première attaque nucléaire ennemie (ou première frappe dans le jargon technique). Ses caractéristiques en font un instrument de guerre particulièrement redoutable puisque sa propulsion atomique le rend pratiquement capable de toucher des cibles n’importe où sur le globe – donc avec une portée illimitée – tandis que la charge de guerre, constituée d’une ogive thermonucléaire (Mt) de 2 ou 5 Mégatonnes, est suffisante, une fois la détonation survenue, pour contaminer une grande surface. Les premières informations donnaient la charge atomique de Poséidon égale à environ 50 Mt, mais les analyses ultérieures ont revu à la baisse sa puissance, qui pourrait toutefois être ajustable, donc encore plus faible. Sa vitesse, comme le rapportent certains experts, n’est pas de 100 nœuds : pour réaliser de telles performances en immersion, une torpille – comme la supercavitation russe Shkval (un moyen de réduire les frottements de l’eau en enveloppant l’objet immergé d’une bulle de gaz de faible densité) – doit être équipée d’une propulsion fusée, et le Poséidon, d’après des photographies diffusées, n’en est pas équipé, ayant un ensemble d’hélices de queue avec gouvernails directionnels normaux, comme rapporté par Paolo Mauri dans les colonnes du quotidien «Inside Over». On pense que le réacteur nucléaire embarqué sur la torpille peut développer des vitesses de pointe de 70 nœuds, et lui permettrait de se déplacer à des profondeurs d’environ mille mètres, facteurs qui en font, en fait, une arme presque impossible à intercepter avec les instruments anti-sous-marins actuels. L’arme est toutefois susceptible d’être détectée, puisque, en plus des unités de surface et sous-marines équipées de sonar, l’OTAN et les États-Unis peuvent disposer du système fixe «SOSUS» (acronyme de Sound Surveillance System, un système américain de surveillance hydroacoustique sous-marine fixe), afin de surveiller les profondeurs de la mer.

La « super torpille » détonante n’est donc pas en mesure de générer un tsunami apocalyptique, avec des vagues « de dizaines de mètres », comme cela a souvent été rapporté à tort par la presse non spécialisée, et surtout elle n’est pas encore opérationnelle, puisque son intégration sur le sous-marin « Belgorod », à ce jour le seul navire capable de le porter dans la marine russe (Vmf – Voenno-Morskoj Flot), vient de commencer.

A lire : Voici le sous-marin nucléaire russe Belgorod capable de provoquer un tsunami radioactif

Le K-329 mérite une discussion séparée. Le navire est officiellement entré en service en juillet 2022, après une longue gestation (le projet remonte à 2010) et plusieurs mois d’essais en mer : il a été lancé le 23 avril 2019 et c’est un sous-marin dérivé de ceux de la classe Oscar II. (Projet 949A Antey en Russie) mais largement modifié. L’unité, en fait, diffère grandement de celles appartenant à cette classe de SSGN (lanceurs de missiles de croisière). Tout d’abord, la coque est plus grande : ses dimensions sont de 178 mètres de long (contre 154 dans les Oscars II, donc plus long que l’ancienne classe Typhoon) pour une largeur maximale de 15 mètres (inférieur de trois mètres), ce qui portent le déplacement total, en immersion, à 24.000 tonnes standard (30.000 à pleine charge) au lieu de, respectivement, 16.400 et 24.000 des autres unités. On estime que sa vitesse maximale est inférieure à 32 nœuds et que sa profondeur opérationnelle est la même que celle du SSGN dont il dérive, soit environ 500/520 mètres. L’équipage estime-t-on, est plus important que celui des Oscars II : 110 hommes au lieu de 94.

Les modifications les plus importantes concernaient la suppression du compartiment avec les tubes de lancement des missiles de croisière pour faire place à un nouveau secteur, d’environ 18 mètres de long, capable d’accueillir des sous-marins d’opérations spéciales tels que le Losharik ou le Paltus. C’est probablement la caractéristique la plus intéressante – et la plus troublante – du Belgorod. L’unité est créée, comme mentionné, pour des opérations spéciales à grande profondeur, et en fait, bien qu’elle fasse partie de la Vmf (le nom de la marine militaire de l’Union soviétique de 1937 à 1991), elle opère pour le compte de Gugi, la Direction principale de la recherche dans les eaux profondes, faisant partie du «gru» (Glavnoe razvedyvatel’ noe upravlenie) le service des Renseignements des forces armées russes. Ces missions sont couvertes par le secret le plus élevé et se déroulent également en temps de paix : il s’agit de placer des réseaux de capteurs dans les fonds marins et de fixer des instruments d’interception sur des câbles sous-marins qui parcourent des millions de kilomètres dans ces fonds marins. Le Belgorod est donc avant tout un «sous-marin mère» abritant une série de vaisseaux plus petits, certains avec équipage comme les susmentionnés Paltus et Losharik, d’autres entièrement automatiques.

A lire : Le bluff de Poutine sur l’utilisation «d’outils dont personne d’autre ne peut se vanter de disposer»

Le sous-marin peut transporter, par exemple, un véhicule sous-marin autonome (Auv) de type Klavesin-2R-PM (Клавесин-2Р-ПМ), un complexe robotique conçu pour les travaux sous-marins tels que la maintenance des plates-formes de forage, les études de battement d’eau, la surveillance des lignes de communication sous-marines et des études de sol, qui est également censé avoir des applications militaires.

Le Belgorod, avec la deuxième unité de mission spéciale, le sous-marin Bs-64 « Podmoskovye » (classe Dolphin), peuvent également transporter des sous-marins de sauvetage de type Dsrv (Deep Submergence Rescue Vessel/ navire de sauvetage en immersion profonde).

La particularité du K-329, cependant, est certainement l’utilisation des Poséidon, qui a nécessité d’importants travaux de modification de la coque du navire. En effet, à la proue de la fausse coque – celle-ci trop longue qu’un navire normal d’une classe Oscar II – se trouve un nouveau compartiment (38 mètres de long jusqu’à la proue extrême) qui sert à faire fonctionner les nouvelles torpilles atomiques : le Belgorod semble disposer de six tubes lance-torpilles rotatifs – comme dans un pistolet « revolver » – capables de les accueillir. Izvestia, l’un des grands journaux russes de référence, avait rapporté, en février 2021, que le Belgorod se préparait à effectuer des essais avec le Poséidon, mais plus tard vint le démenti des Russes. Par ailleurs, le quotidien italien La Repubblica a fait état, le 2 octobre, d’un rapport de l’OTAN selon lequel le Belgorod aurait quitté la base de Severodvinsk, probablement pour des essais en mer Blanche. Selon la Repubblica citée par «Zone Militaire», « l’alerte vient d’un rapport de renseignement envoyé par l’Otan aux commandements alliés les plus importants ces derniers jours. Il concerne les mouvements du sous-marin nucléaire Belgorod, devenu opérationnel en juillet. Actuellement, il serait déployé dans le grand Nord et il est à craindre que sa mission soit de tester pour la première fois la super-torpille Poséidon ». Ce qui n’est pas impossible puisque le Belgorod n’a, a priori, pas encore effectué de déploiement de longue durée afin de vérifier ses capacités militaires.
Toutefois, il ne pourrait s’agir d’une simple désinformation, car des images satellites commerciales du port de Severodvinsk, datant du 10 février de la même année montraient le navire avec les portes du tube lance-torpilles ouvertes, et on pense que, compte tenu de la taille, ce sont celles abritant la super torpille. Les images satellite montraient effectivement deux grandes ouvertures dans la proue chacune d’environ six mètres de large, soit trois fois le diamètre des ouvertures pour les torpilles normales de 533 mm. En effet, le Poséidon est environ 20 à 30 fois plus gros qu’une torpille lourde traditionnelle.

Par conséquent, la récente mise à l’eau du Belgorod à la mer n’avait pas pour but d’effectuer une première mission de patrouille mais probablement pour tester les modifications de la coque, et éventuellement pour lancer un premier simulacre inerte du Poséidon sous l’eau. Rappelons encore une fois que l’activité la plus inquiétante – dans cette phase de développement du système d’arme – est celle relative à l’espionnage/sabotage des lignes sous-marines : le K-329 pourrait en effet lâcher ses robots sous-marins ou de plus petits bateaux avec équipage, pour placer des outils permettant d’espionner les câbles sous-marins ou de les sectionner.

A lire aussi :

Par ailleurs, l’attaque récente de trois des quatre lignes des gazoducs Nord Stream, et la coupure du câble à fibre optique reliant le Svalbard à la Norvège au début de cette année, ont démontré la fragilité de ces infrastructures et la gravité de la menace que représentent de tels outils de guerre sous-marine comme ceux-ci.

A lire aussi : Des navires russes aperçus près des gazoducs Nord Stream peu de temps avant les explosions

Recevez notre newsletter et les alertes de Mena News


À lire sur le même thème