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Liban: 4 août 2020, assassinat de Beyrouth, ville cosmopolite

(Rome, Paris, 04 août 2022). Deux ans après l’une des plus grandes explosions non atomiques jamais survenues au monde, qui a rendu inhabitables des quartiers entiers de la capitale du Liban, faisant 214 morts et plus de 7.000 blessés graves, qu’est-ce qui a changé ?

4 août 2020. Une quantité stupéfiante de nitrate d’ammonium, une grande partie d’une cargaison initiale de 2.750 tonnes, provoque l’une des plus grandes explosions non atomiques jamais survenues au monde. 214 morts, plus de 7 mille blessés graves. Des quartiers entiers de la ville de Beyrouth sont déclarés inhabitables, notamment les quartiers chrétiens de Mar Mikhael et de Gemmaïze, le port de commerce de la capitale libanaise pulvérisé, comme le souligne dans son article Riccardo Cristiano dans les colonnes du journal italien «Formiche».

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Le 5 août 2020, le président de la République s’oppose à une enquête internationale précisant que le but de cette requête semble cacher la vérité, mais « la justice différée n’est pas seulement une justice juste, qui doit être immédiate, mais obtenue sans précipitation ». Deux ans plus tard, le Liban peut faire le bilan : le premier juge d’instruction a été démis de ses fonctions à la demande de certains hommes politiques mis en examen, et le second, après avoir tenté pendant des mois de faire de même, a été entraîné dans une paralysie substantielle.

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La première personnalité à se souvenir du Liban et de cet anniversaire tragique a été (Le Pape) François, qui hier, lors de l’audience de mercredi, a déclaré en rappelant ce qui s’est passé à Beyrouth : « Mes pensées vont aux familles des victimes de cet événement désastreux et au cher peuple libanais. Je prie pour que chacun puisse être consolé par la foi et réconforté par la justice et la vérité, qui ne peuvent jamais être cachées. J’espère que le Liban, avec l’aide de la communauté internationale, continuera à marcher sur le chemin de la renaissance, restant fidèle à sa vocation d’être une terre de paix et de pluralisme, où les communautés de différentes religions peuvent vivre en fraternité ». Cacher la vérité semble être la principale préoccupation des autorités politiques libanaises.

Tout aussi évidente, est l’absence d’action de la justice internationale. L’appel lancé le 4 juillet par l’ONG Human Rights Watch (HRW) pour une enquête internationale sur l’explosion du port est resté sans réponse. Un article publié dans Le Monde, confirmé par la chercheuse de «Human Rights Watch Liban» Aya Majzoub et la directrice de HRW Paris Bénédicte Jeannerod, met en lumière l’inaction du président français Emmanuel Macron. Ce dernier a été accusé de « connivence avec la classe politique libanaise pour éviter toute internationalisation de l’enquête », comme l’a déclaré Aya Majzoub dans une interview à Ici Beyrouth, l’un des portails d’information indépendants libanais les plus réputés.

La preuve à ce jour semble la suivante : le nitrate d’ammonium est arrivé à Beyrouth lors de la première phase de la guerre de Syrie et a été stocké dans le port de commerce de la capitale, réputé contrôlé par le Hezbollah, comme l’aéroport.

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Que cette montagne de nitrate d’ammonium ait pu être utilisée en partie pour les actions militaires du Hezbollah en Syrie en soutien au régime d’Assad est l’une des déductions logiques qui ne peuvent être confirmées. Ainsi, deux ans après cet événement, il est difficile de ne pas se souvenir que les chroniques de 2005 rapportaient que lorsque le Premier ministre libanais Rafiq Hariri, avant d’être assassiné par 4 miliciens du Hezbollah condamnés par le tribunal international pour le Liban, s’était rendu à Damas, pour parler à Assad, ce dernier lui aurait dit « je te briserai le Liban sur la tête ».

Mais comme l’enquête n’est pas seulement locale, des nouvelles intéressantes ont émergé. Qui avait acheté cette énorme cargaison de nitrate d’ammonium ? Une société britannique, Savaro Ltd, en Géorgie, pour le livrer à une usine d’explosifs au Mozambique.

Reuters a écrit que Savaro Ltd est enregistrée en tant que société de négoce de produits chimiques au Royaume-Uni, mais est définie comme une société écran. L’année dernière, elle a tenté de se désinscrire du registre (de commerce) de Londres, mais une action rapide de l’Association du barreau libanais l’en a empêché. Désormais, la justice lui a ordonné de divulguer les noms des derniers bénéficiaires de ses recettes, qui sont aussi secrets, ainsi que ceux des actionnaires.

La société américano-norvégienne de services géophysiques TGS, propriétaire de la société britannique Spectrum Geo, qui avait affrété il y a dix ans le navire Rhosus, battant pavillon moldave, pour transporter les 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium, s’est retrouvée dans le collimateur des enquêteurs américains, à l’initiative de certains proches des victimes de l’explosion résident aux Etats-Unis. Selon le portail Ici Beyrouth précité, le parquet affirme que TGS a conclu une série de contrats importants qualifiés de suspects avec le ministère libanais de l’Énergie pour le transport d’équipements sismiques du Liban vers la Jordanie par le biais du Rhosus.

Le Liban, encore brièvement sous la présidence du leader politique le plus défait lors des récentes élections politiques, Michel Aoun, s’oppose toujours à toute enquête internationale. Mais le Conseil des droits de l’homme (organe intergouvernemental des Nations unies) aurait la possibilité de lancer des missions internationales d’enquête, à la demande d’un Etat ou d’un groupe d’Etats. En effet, si un groupe de pays membres soumet la demande de vote au Conseil des droits de l’homme, le vote aura lieu même si l’Etat concerné n’y est pas favorable. La résolution doit être approuvée à la majorité. Mais sont peu nombreux qui l’espèrent. Le Liban a déjà connu un Tribunal international pour l’assassinat de Rafiq Hariri et des 22 personnes qui voyageaient avec lui sur le front de mer de Beyrouth, à deux pas du Parlement.

Mais alors le comportement du président français de l’époque Jacques Chirac, a été très différent et la résolution a immédiatement été votée par le Conseil de sécurité de l’ONU. Les obstacles qui ont entravé le travail des enquêteurs pendant des années ont été importants, tout comme le refus des autorités syriennes de les laisser entrer dans leur pays. Il a fallu 15 ans pour obtenir la première condamnation contre les membres du Hezbollah responsables de l’attaque. Le tribunal international avait annoncé son verdict quelques jours seulement après le dramatique 4 août 2020.

L’histoire du Liban contemporain ne semble pas pouvoir s’affranchir du fantôme de Rafiq Hariri et de cet entretien au palais présidentiel de Damas, d’où le premier ministre libanais est sorti un bras attaché autour du cou.

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