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Mouvements de troupes et de chars du nord au sud d’Alep: le front syrien évolue le jour du sommet de Téhéran

(Paris, 19 juillet 2022). La Syrie est revenue au centre de l’intérêt international. En témoignent les derniers mouvements de troupes enregistrés dans le pays. Des sources diplomatiques et des ONG ont notamment annoncé le renforcement des contingents par les acteurs nationaux et internationaux impliqués sur le terrain. Des troupes de Damas, aidées par Moscou, ont convergé dans les dernières heures au nord d’Alep et dans la région proche de Raqqa.

En revanche, les militaires d’Ankara se sont renforcés dans des secteurs, comme celui d’Idlib, où les Turcs semblent plus ramifiés depuis des années. Autant de signes qui montrent comment la situation militaire pourrait à nouveau évoluer dans les prochaines heures. Les signaux, rapporte Mauro Indelicato dans le quotidien italien «Inside Over», sont arrivés en même temps que les chefs d’État de la Russie, de la Turquie et de l’Iran se réunissaient à Téhéran pour discuter de la Syrie.

Mouvements au nord d’Alep et à l’est

Mais comment se fait-il que ce soit la Russie, la Turquie et l’Iran qui se réunissent pour déterminer le futur équilibre syrien ? La rencontre du 19 juillet à Téhéran n’est pas la première du genre. Les trois gouvernements respectifs discutent ensemble de la Syrie depuis 2016. Depuis le lendemain du coup d’État manqué à Ankara. A cette époque, Erdogan a renoué avec Moscou (le premier soutien avec l’Iran, du gouvernement du président syrien Bashar Hafez Al Assad). Le président turc, sans abandonner son hostilité originelle à l’égard de Damas et confirmant même son soutien au défilé des milices de l’opposition dite syrienne (formée en grande partie par des mouvements islamistes), a néanmoins décidé de s’accorder avec la Russie sur les principaux équilibres concernant le conflit dans ce pays arabe. Erdogan a notamment obtenu un feu vert tacite pour mener ses propres opérations anti-kurdes le long de la frontière turco-syrienne, en échange de la fin de l’hostilité totale envers Assad.

La Russie est le premier allié de Damas puisque la flotte moscovite en Méditerranée est basée à Tartous. Comme mentionné, le gouvernement iranien est un autre allié d’Assad principalement en raison du positionnement pro-chiite de Damas, et enfin la Turquie est toujours engagée à soutenir les forces hostiles à Assad, mais a tout intérêt à maintenir des positions qui ne sont pas en mesure d’agacer la Russie. Les trois acteurs ont donc leurs propres forces sur le terrain. L’armée russe depuis 2015, soutient activement les soldats syriens, l’armée iranienne et les forces spéciales de Téhéran surveillent certains endroits stratégiques dans les zones aux mains du gouvernement de Damas, de son côté Ankara fait appel à la fois à ses propres soldats stationnés dans le nord de la Syrie, dans les zones d’Idlib contrôlé par des acronymes islamistes, et par des groupes financés par le gouvernement turc.

Les mouvements enregistrés au cours de ces dernières heures semblent aller dans le sens d’un renforcement des positions tenues sur le terrain par l’ensemble des protagonistes. Les Russes et les Syriens envoient des hommes et des véhicules dans les régions au nord d’Alep. Ce sont de zones délicates, car frontalières avec la Turquie et où, depuis au moins trois ans, il n’y a pas toujours eu de coexistence pacifique avec les forces des FDS, c’est-à-dire les milices à majorité kurde arrivées dans ces régions à l’été 2016, lors de la lutte contre Daesh.

En particulier, des hélicoptères, des chars et des armements de l’armée syrienne ont été observés dans la ville de Manbij, au nord-est d’Alep. Un peu plus au nord, Syriens et Russes se seraient également positionnés à Kobané, ville qui symbolise la résistance kurde contre le califat islamique. Dans l’est, cependant, dans la province de Raqqa, des véhicules syriens et russes ont été signalés dans le quadrant d’Ain Issa.

De leur côté, les Turcs consolident leurs positions dans la province d’Idlib, où ils sont impliqués depuis des années dans le soutien aux milices anti-Assad. Cela a été rapporté par l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), selon lequel des soldats d’Ankara ont été repérés le long de l’autoroute M4, l’artère qui relie Saraqéb à Lattaquié et qui depuis 2020, l’année des accords de Sotchi entre la Russie et la Turquie, sert de frontière entre les zones contrôlées par le gouvernement et celles aux mains des groupes islamistes.

« Faire revivre les accords d’Astana »

A en juger par les mouvements, la Russie et la Turquie semblent avoir la ferme intention de consolider le statu quo actuel. Autrement dit, réaffirmer ce que sont leurs zones d’influence respectives en Syrie, et ce n’est évidemment pas un hasard si cela a eu lieu le jour de la réunion de Téhéran. Moscou et Damas, dans les heures précédant le sommet dans la capitale iranienne, ont voulu tracer une ligne infranchissable : les régions au nord d’Alep, c’est-à-dire même celles aux mains des FDS, ne peuvent pas tomber dans le viseur d’Ankara.

Ces dernières semaines, le président turc Erdogan avait évoqué l’organisation, désormais en phase finale, d’une nouvelle opération anti-kurde à mener en pénétrant sur le territoire syrien depuis Manbij. La présence de nouvelles troupes de Damas et de nouveaux renforts russes atteste la réticence du Kremlin à donner le feu vert à la Turquie pour de nouvelles manœuvres militaires. Un concept réaffirmé personnellement à Erdogan par le guide spirituel Ali Khamenei aujourd’hui à Téhéran : « Ce serait une erreur – lit-on dans une déclaration faite après sa rencontre avec le président turc – d’attaquer en Syrie ».

Pour sa part, Erdogan n’a cependant pas semblé désemparé. Dans le jeu syrien, il a également de nombreux atouts dans sa manche et l’objectif principal d’Ankara est d’éviter les offensives syriennes à Idlib, où les soldats turcs sont présents. Il y a donc eu un compromis : pas d’attaque turque contre les Kurdes et pas d’attaque syrienne contre Idlib. D’un point de vue politique, c’est Erdogan lui-même qui a réitéré l’importance de « relancer les accords d’Astana », comme il l’a répété lors d’une conférence de presse. Autrement dit, relancer ces accords signés entre 2016 et 2018, qui étaient le fruit du dialogue constant sur la Syrie entre la Turquie, la Russie et l’Iran.

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