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L’île aux Serpents évacuée par les Russes: une percée sur le front de la Mer Noire

(Paris, 30 juin 2022). L’annonce du ministère russe de la Défense signale un changement très important dans l’échiquier de la mer Noire. En effet, sur la chaîne Telegram de la Défense de Moscou, il est indiqué que « le 30 juin, en signe de bonne volonté, les forces armées russes ont achevé d’effectuer les tâches fixées sur l’Ile aux Serpents et ont retiré la garnison qui s’y trouvait ». Et le même communiqué a été relancé par le porte-parole du ministère, Igor Konashenkov.

La nouvelle a également été confirmée par le commandement opérationnel du sud de l’Ukraine, qui dans une note, a rapporté que « pendant la nuit, suite à une opération militaire réussie par nos unités de missiles et d’artillerie sur l’île aux Serpents, l’ennemi a évacué à la hâte les restes de la garnison sur deux hors-bords et a probablement quitté l’île ». Les lectures sont clairement opposées, mais la conclusion est la même : les Russes, du moins pour le moment, se retirent de l’île stratégique de la mer Noire. L’un des principaux objectifs de Moscou depuis le début de la guerre et le théâtre de nombreux affrontements qui ont marqué la conduite de la soi-disant « opération militaire spéciale », comme le rapporte Lorenzo Vita du quotidien italien «Il Giornale/Inside Over».

Il est maintenant important de comprendre les conséquences de ce retrait russe. Et dans ce cas, les deux récits opposés de Kiev et de Moscou peuvent aider. Ces derniers jours, la porte-parole des Forces armées du sud de l’Ukraine, Natalia Humeniuk, a indiqué lors d’un point de presse que les attaques de missiles menées sur l’île avaient touché un Pantsir-S1. Cette attaque n’était que la dernière d’une série de raids contre la garnison russe sur l’île et, selon l’armée ukrainienne, il ne restait que deux navires équipés de 16 missiles de croisière pour protéger la garnison. La bataille pour l’île, d’ailleurs, faisait rage depuis quelque temps. Et l’hypothèse est que la Russie n’était plus en mesure de défendre l’avant-poste situé à l’ouest de la mer Noire en raison à la fois de l’arrivée de missiles anti-navires fournis aux forces ukrainiennes, et de la capacité des drones à identifier et à frapper les navires susceptibles de renforcer la garnison. Le naufrage de plusieurs unités dans cette zone a amplement démontré que les risques pour toute opération sur l’île avaient considérablement augmenté. Et Kiev avait fait savoir à plusieurs reprises qu’il n’avait pas l’intention d’abandonner Zmiinyi (l’île aux Serpents).

A lire : l’attaque de l’île aux Serpents (du 25 février 2022)

Si la lecture par la Russie de la « bonne volonté » manifestée par le retrait peut apparaître comme une manière flagrante de masquer une défaite tactique, il faut en revanche souligner l’ouverture (précisément à travers ce communiqué) sur la question du déblocage des ports ukrainiens. En fait, la déclaration publique indique que « la Fédération de Russie a démontré à la communauté internationale l’absence d’entraves aux efforts des Nations Unies pour établir un couloir humanitaire pour le transport des produits agricoles en provenance d’Ukraine ». En outre, selon le gouvernement, « cette solution empêchera Kiev de spéculer sur une crise alimentaire imminente en invoquant l’impossibilité d’exporter du blé en raison du contrôle total de la partie nord-ouest de la mer Noire par la Russie. Maintenant, c’est à la partie ukrainienne qui ne dégage toujours pas la côte de la mer Noire, y compris les eaux portuaires ». Cette version est totalement démentie par le chef de l’administration présidentielle ukrainienne, Andriy Yermak, qui a déclaré que « la Russie continue de provoquer une crise alimentaire et d’affabuler. Ils bloquent toujours nos ports et détruisent le grain ».

Le signal est donc double. Si d’une part Kiev peut évidemment marquer une victoire tactique, à savoir la fin de l’occupation russe de l’île, de l’autre, il faudra comprendre si ce retrait peut être considéré comme le signe d’une négociation beaucoup plus approfondie sur un retournement du conflit. Il est clair que l’absence de forces russes dans la région faciliterait le flux de marchandises depuis les ports ukrainiens, du moins sur le papier. Toutefois, il ne faut pas sous-estimer l’importance du déminage portuaire et le danger des mines en mer Noire, au sujet duquel toutes les parties intéressées par cette étendue d’eau tirent la sonnette d’alarme depuis un certain temps. A cet égard, il avait été question d’une mission internationale chargée précisément d’aider à la détection des munitions et surtout d’escorter les navires chargés de céréales et d’engrais à travers le Bosphore. Mais même dans ce cas, il ne faut pas oublier qu’il existe des difficultés techniques et juridiques (le contrôle turc du Bosphore, par exemple) qui suggèrent qu’il ne s’agit pas d’une mission à exécution rapide.

La décision de la Russie peut donc être interceptée comme une défaite (car elle suggère qu’il n’y a aucune possibilité pour Moscou de contrôler le nord de la mer Noire à l’heure actuelle) mais aussi comme un signal selon lequel la crise alimentaire est le point à partir duquel une véritable négociation sur la paralysie de « l’opération militaire spéciale » peut commencer. Du moins dans ses effets les plus globaux.

A lire aussi : Vladimir Poutine: la Russie est ouverte au dialogue sur la stabilité et le désarmement

Le fait que cette annonce soit intervenue en conjonction avec le sommet de l’OTAN et immédiatement après la réunion du G7, peut être interprétée comme un choix diplomatique précis. Mais il n’en demeure pas moins que l’Ukraine ait confirmé avoir affaibli la présence russe dans cette zone. Seul l’avenir nous dira si cette décision était un véritable signe de bonne volonté russe ou une défaite tactique.

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