(Rome, Paris, 24 juin 2022). La Suisse aurait importé trois tonnes d’or de Russie en dépit des interdictions et des sanctions : entre accusations et jeu de reproches, voici comment les lingots sont arrivés dans le pays et pourquoi ils sont importants pour la guerre de Poutine
Si, en théorie, les sanctions des pays occidentaux qui frappent la Russie incluent également la Suisse, qui aurait réduit (depuis des mois déjà) l’import-export de la plupart des produits avec Moscou, en pratique ce n’est pas le cas. La douane suisse a annoncé qu’au moins trois tonnes de lingots d’or russes d’une valeur de 200 millions de francs, en pratique 197 millions d’euros, ont été importées en mai. En revanche, l’Association industrielle des raffineries d’or suisses (Asfcmp) a déclaré que ses membres n’importeraient pas cet or de Russie, soulevant des doutes quant à l’identité des acheteurs, comme le rapporte Alessandro Ferro dans le quotidien italien «Il Giornale».
«Valeurs d’avant-guerre»
Le commentaire du journal financier américain Bloomberg était sans équivoque : « Ce sont des valeurs équivalentes à celles d’avant-guerre ». Un journal suisse, Blick, a rapporté le commentaire du secrétariat aux affaires économiques, selon lequel ces lingots étaient arrivés « en transit depuis le Royaume-Uni ». De son côté, l’Asfcmp précise qu’«après avoir contacté ses membres, elle confirme qu’aucun de ses membres n’est responsable de ces importations». Un passage est important : l’Association précise encore que même si « la législation et les sanctions suisses n’interdisent pas l’importation d’or russe en Suisse, l’Asfcmp tient à rappeler que l’or douteux n’a pas sa place en Suisse ».
«Violation des sanctions»
La dernière déclaration semble plutôt être une mise en exergue: une tentative faite pour ne pas contrarier les parties concernées, à savoir les deux pays impliqués qui sont les protagonistes de l’étrange affaire. « Puisqu’il est déjà raffiné, il y a de fortes chances que l’or provienne des caisses de la Banque centrale russe et, dans ce cas, nous serions confrontés à une violation manifeste des sanctions », a déclaré Mark Ummel de l’ONG non gouvernementale « Swissaid », selon qui le Secrétariat de l’Economie ne peut se laver les mains en affirmant l’arrivée des lingots de Londres. Selon M. Ummel, une enquête doit être ouverte. « Quand une fonderie ou une raffinerie ne respecte pas les recommandations de l’administration fédérale, il y a assez d’indices pour enquêter. Je pense que le Seco se trompe, c’est très surprenant. Dans le secteur de l’or, tout le monde est conscient qu’il y a un risque très important », explique-t-il jeudi dans La Matinale, cité par «RTS». Selon l’expert, ces trois tonnes d’or arrivées en Suisse soulèvent beaucoup de questions. « Il y a un risque que cet or participe directement ou indirectement au financement de la guerre en Ukraine. Il peut aussi s’agir d’un contournement des sanctions prises à l’égard de la Russie. Enfin, l’or pourrait également servir à un oligarque dans des cas de blanchiment d’argent. On demande que la lumière soit faite sur cette affaire ». Marc Ummel rappelle qu’il est interdit de traiter avec la Banque centrale russe actuellement. « Toute la question est de savoir quand cet or a été exporté de Russie et qui est derrière ce trafic. Si c’est la Banque centrale, il y a une violation claire des sanctions. Et ça pourrait être le cas: l’or arrivé en Suisse a déjà été raffiné, donc il y a de fortes chances qu’il se trouvait dans les coffres-forts de la banque ou qu’il a été produit dans une raffinerie russe », lit-on encore dans RTS.
Ce qui se cache derrière
Dans la pratique, le métal le plus précieux est traité dans certaines raffineries suisses, dont trois sont basées dans le canton du Tessin et qui, depuis le 27 février, ne traiteraient plus l’or russe après l’interdiction péremptoire du « London Bullion Market », l’autorité indépendante pour les métaux précieux, dont ils dépendent. La crainte est que Poutine finance ainsi la guerre, en fourniture de nouvelles armes et d’hommes pour gagner la guerre du Donbass. Mais comment est-il possible que, malgré les sanctions, ces lingots circulent si facilement ? Swissaid suppose que depuis Moscou, ils s’envolent vers Dubaï et que de là, ils sont commercialisés dans le reste du monde. Chiffres en main, la Russie est le deuxième pays au monde producteur d’or, la Suisse en est le principal carrefour. En combinant ces éléments, il n’est pas si étrange que tôt ou tard, une telle chose ne se soit produite.