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Poutine s’oppose aux généraux. Enigme à Moscou sur la phase trois de la guerre

(Paris, 06 juin 2022). La tenaille dans le Donbass, la cible d’Odessa, la contre-offensive ukrainienne et les troubles au sol, des deux côtés. Comment se passe la guerre pour Vladimir Poutine ? Pas si bien. Et à Moscou, les généraux ont d’autres idées. L’analyse de Lorenzo Riggi (Geopolitica.info)

Le déplacement du conflit en Ukraine des régions du nord vers le Donbass a été l’élément clé de cette deuxième phase de la guerre. Contrairement aux premières semaines du conflit, durant lesquelles les forces russes ont essuyé d’importants revers en raison d’une insuffisance générale de l’instrument militaire de Moscou, dans cette deuxième phase du conflit l’armée russe avance lentement mais sûrement dans le Donbass, faisant payer un lourd tribut aux Ukrainiens.

Selon l’analyse de Lorenzo Riggi dans le quotidien italien «Formiche», l’avancée des dernières semaines s’explique non seulement par le changement du contexte opérationnel plus large, de la guerre urbaine qui a caractérisé la première partie du conflit à une guerre menée dans les vastes zones du Donbass, mais aussi en vertu d’une gestion différente de l’instrument militaire russe.

En particulier, le premier élément nouveau par rapport aux premières semaines du conflit a été la nomination, comme commandant des opérations, du général Aleksander Dvornikov, qui, selon certaines rumeurs, aurait été remplacé ces derniers jours par le général Gennady Zhidko en vertu d’une rotation ordinaire des chefs des forces armées.

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La nomination de Dvornikov, a permis d’une part, la création d’un niveau de commandement de théâtre, intermédiaire entre les forces sur le terrain et le Kremlin, et de l’autre, elle a conduit à une gestion différente des opérations centrée sur trois éléments fondamentaux : l’utilisation généralisée des milices des républiques populaires autoproclamées de Donetsk et Lougansk, le recours à de vastes concentrations d’artillerie de campagne et automotrice, et le déploiement de forces spéciales et de mercenaires pour des opérations d’infiltration visant à faciliter la percée par des forces régulières. Ces facteurs ont permis à la Russie de progresser de manière significative dans le Donbass, occupant la quasi-totalité de l’oblast de Lougansk et se dirigeant systématiquement vers l’occupation de l’oblast de Donetsk, encore largement contestée par les forces ukrainiennes.

L’élément le plus notable dans cette phase du conflit a cependant été le changement du « centre de gravité » du conflit ; autrement dit, ce facteur qui, une fois acquis, pouvait conduire à une évolution favorable de la guerre pour Moscou. Alors que dans les premières semaines de la guerre, ce facteur concernait la prise de la capitale Kiev et le président Zelensky, dont la capture ou la fuite éventuelle aurait pu conduire à une victoire rapide de Moscou. Ces dernières semaines, le centre de gravité des opérations dans le Donbass est non seulement représenté dans la conquête de la région au sens strict, mais plutôt de la capture, de l’élimination ou de l’encerclement du dispositif militaire ukrainien engagé dans la région.

Si cela devait se produire, en effet, Kiev se retrouverait privée de ses meilleures unités, puisque les unités déployées dans le Donbass représentent les forces les plus importantes de l’armée régulière ukrainienne, avec des répercussions conséquentes sur le moral et l’efficacité du reste des forces armées.

Pour cette raison, la défense de Severodonesk, où les combats se poursuivent, et de Lysychansk, est cruciale pour Kiev, tandis que leur conquête est un objectif tactique fondamental pour Moscou. Par ailleurs, une fois cette ligne défensive tombée, la seule autre possibilité de résistance dans le Donbass pour les forces ukrainiennes est représentée par l’axe jans’k-Kramatorsk, qui risque de devenir le théâtre de violents combats dans les semaines à venir. Leur chute permettrait en effet aux forces russes de manœuvrer derrière les unités déployées le long de la ligne de contact d’avant-guerre et potentiellement de se diriger vers Dnipro ou Zaporižžja, sans lignes défensives intermédiaires.

Malgré les succès signalés jusqu’à présent par les forces russes, certaines limites importantes du dispositif militaire russe ne peuvent être ignorées. En particulier, l’élément le plus évident est le manque d’hommes sur le front. Si l’on remonte de la dimension locale au théâtre dans son ensemble, les forces de Moscou sont en effet insuffisantes pour soutenir une longue campagne d’usure, puisqu’il n’est pas possible à l’heure actuelle de garantir une rotation adéquate des hommes engagés dans le combat.

Précisément sur ce point, un premier élément de friction serait apparu entre (le général) Dvornikov et Vladimir Poutine, qui aurait voulu s’ouvrir il y a quelques semaines à la contractualisation des plus de 40 ans pour avoir plus de forces au front, contrairement au général qui aurait voulu attendre d’autres développements sur le terrain. Outre le manque d’hommes, la prudence est encore peu présente du côté des commandants de terrain, comme en témoigne la destruction d’un bataillon russe qui tentait de franchir le Seversky Donets, une barrière naturelle protégeant Severodonesk, il y a quelques semaines. A cette occasion, les unités russes ont été surprises par un bombardement à l’artillerie, coordonné par l’utilisation de drones de reconnaissance, subissant de lourdes pertes en raison d’un déploiement inadéquat, négligeant et imprudent.

Et Lorenzo Riggi de conclure : les deux parties se trouvent dans une phase complexe de leurs campagnes militaires respectives. Pour les forces armées de Kiev, tenir le Donbass est un objectif clé car s’il était entièrement occupé, les grandes villes du sud seraient indéfendables et les meilleures unités ukrainiennes seraient perdues.

Pour Moscou, la conquête complète des oblasts de Lougansk et de Donetsk serait un premier résultat significatif de l’«Opération militaire spéciale» à présenter à l’opinion publique nationale et internationale, ainsi qu’une opportunité de redorer, au moins en partie, l’image et le moral de leurs forces armées. Après les 100 premiers jours du conflit, il est désormais établi que la guerre est vouée à se poursuivre, à moins d’une reprise imprévisible des négociations au lendemain de la stabilisation du Donbass.

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