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Insécurité alimentaire: à l’ONU, Washington accuse Moscou et la guerre en Ukraine

Et s’il fallait trouver un responsable à l’aggravation de l’insécurité alimentaire dans le monde ? Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est penché sur la question, jeudi 19 mai, à l’initiative des États-Unis. Washington et Moscou se sont rejeté la responsabilité de la crise. Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a appelé la Russie à débloquer les ports pour permettre l’exportation des céréales ukrainiennes.

Alors que les prix des céréales grimpent partout dans le monde, vingt millions de tonnes sont enfermées dans des silos en Ukraine et ne peuvent quitter le pays : l’armée russe a bloqué les ports de la mer Noire, souligne la correspondante de Radio France Internationale à New York, Carrie Nooten.

Le patron de l’ONU, Antonio Guterres, a appelé à libérer les exportations : les Nations Unies paient déjà plus de deux fois plus cher l’aide alimentaire qu’elles apportent aux pays dans le besoin.

Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, a appelé la Russie à débloquer les ports : « L’approvisionnement alimentaire pour des millions d’Ukrainiens et des millions de personnes supplémentaires à travers le monde a quasi-littéralement été pris en otage par l’armée russe, a-t-il déclaré. Le gouvernement russe semble penser qu’utiliser la nourriture comme une arme va aider à accomplir ce que l’invasion n’a pas fait – briser le moral du peuple ukrainien. Mais la décision d’instrumentaliser la faim comme arme appartient à Moscou seulement, et à lui seule ».

La Russie a rejeté ces accusations et pointe du doigt les sanctions occidentales. Quatre cents millions de personnes dans le monde dépendent des céréales ukrainiennes, selon Kiev. Or, l’Ukraine envoie désormais cinq fois moins de blé qu’avant l’invasion.

Selon Alessandra Loiero du média «La Voce Di New York», la France, le Royaume-Uni, l’Irlande et l’Albanie, mais aussi le Canada, le Luxembourg, la Lituanie, le Japon, le Guatemala, la Suède et la Norvège se sont joints à l’accusation américaine. « La Russie est seule responsable », a insisté de son côté l’ambassadeur de France, Nicolas De Rivière. « L’Ukraine est l’une des boulangeries du monde et la Russie détruit sa capacité à fournir de la nourriture », a ajouté la ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly.

Mais l’homme de Vladimir Poutine à l’ONU ne le pense pas. S’exprimant lors de la réunion, l’ambassadeur a accusé les Ukrainiens de rembourser l’approvisionnement en armes de l’Occident avec des céréales. Comme toujours, pour Moscou, les politiciens et les médias occidentaux manipuleraient l’information. « Avant l’opération militaire spéciale, a expliqué le représentant du Kremlin Vassili Nebenzia, le maïs ukrainien était principalement fourni à l’Union européenne, qui achetait plus d’un tiers du stock total, plutôt qu’aux pays à risque d’insécurité alimentaire ». À l’appui de sa thèse, il raconte comment en février 1918, Kiev a négocié avec Berlin et Vienne « 37.000 wagons chargés de vivres » en échange de sa protection contre la Russie soviétique. S’en prenant alors à Blinken, Nebenzia a accusé les Etats-Unis de jouer à des « jeux géopolitiques absurdes et haineux » et de vouloir abandonner le multilatéralisme face aux coalitions d’intérêts. Une thèse qui pour Moscou, se confirme également avec la réunion ministérielle « Global Food Security-Call to Action » voulue par les USA la veille, et dont Moscou a été exclue.

Pour aider la Russie contre les attaques occidentales, la Biélorussie et le Venezuela s’en sont occupés. Ils ont décrit les sanctions « unilatérales » imposées au Kremlin comme une « guerre économique » qui viole les chaînes d’approvisionnement. Pour Minsk, en effet, la faute à l’insécurité alimentaire incombe aux pays développés qui la nourrissent avec « du gaspillage et des systèmes de distribution inefficaces ». Caracas, en revanche, a réaffirmé à quel point la tentative de l’Occident d’isoler la Russie est « inacceptable ». Mais même Theran, qui, comme Moscou, est victime des sanctions américaines, n’a pas manqué une occasion de pointer du doigt Washington, soulignant à quel point l’économie iranienne a été mise à rude épreuve en quatre décennies.

L’Inde, en revanche, tout en appelant la communauté internationale à prendre des mesures collectives pour résoudre la crise, a défendu la récente décision du gouvernement d’imposer des restrictions sur ses exportations de céréales, expliquant que la hausse soudaine des prix a mis en danger non seulement sa sécurité alimentaire, mais aussi celle de ses voisins. MoS Muraleedharan, le ministre des Affaires étrangères de New Delhi, a cependant assuré que ces mesures ne priveront pas les pays les plus vulnérables du besoin de céréales et a souligné que l’Inde aide déjà certains pays voisins, dont l’Afghanistan, le Myanmar, le Sri Lanka et plusieurs pays africains. Tandis que Pékin, par la voix de l’ambassadeur de Chine, Zhang Jun, a appelé au dialogue pour éviter « le début d’une nouvelle guerre froide ».

L’Italie est également intervenue au Conseil de sécurité avec la voix de l’ambassadeur Maurizio Massari qui, à la suite des propos du ministre des Affaires étrangères Luigi Di Maio et du Premier ministre Mario Draghi, a réitéré combien « la sécurité alimentaire reste une priorité fondamentale et un objectif clé de la politique étrangère italienne ». M. Massari a également rappelé l’annonce de Di Maio pour une nouvelle contribution financière à la FAO et aux initiatives de Rome pour la sécurité alimentaire. Et préoccupée quant aux matières premières actuellement bloquées en Ukraine, l’Italie a appelé à la création de « couloirs alimentaires ».

David Beasley, chef du Programme alimentaire mondial (PAM), et Qu Dongyu, directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), ont conjointement souligné l’importance cruciale de la sécurité alimentaire pour le maintien de la paix. Mais pour António Guterres, aucune solution n’est possible sans la Russie et l’Ukraine. Le secrétaire général de l’ONU a rassuré les Quinze sur ses « contacts intenses » avec la Russie, l’Ukraine, la Turquie, les Etats-Unis et l’UE.

Le ferme appel de Martin Griffiths, chef de l’aide humanitaire de l’ONU, conclut Alessandra Loiero, est venu également de Genève, qui a invité Kiev et Moscou à reprendre les négociations. « Nous avons besoin d’une solution urgente car en Ukraine, les silos sont remplis de la dernière récolte et la prochaine (récolte) approche », a-t-il ajouté. Dans l’intervalle, cependant, les navires restent immobiles dans les ports attaqués.

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