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Ce que signifie la «guerre totale» que la Russie est prête à claironner en Ukraine

(Paris, 06 mai 2022). Le président russe Vladimir Poutine pourrait officiellement déclarer la guerre à l’Ukraine le 9 mai prochain, coïncidant avec les célébrations de la victoire de la Seconde Guerre mondiale. Cette décision ne fait pas planer le spectre d’un conflit nucléaire entre la Russie et l’OTAN, mais c’est une démarche qui permettrait à Moscou de procéder à la pleine mobilisation de ses forces armées avec la perspective de pouvoir conclure rapidement le conflit, compte tenu des difficultés évidentes rencontrées par l’armée russe au cours de ces plus de deux mois de combats, comme le rapporte Paolo Mauri dans son décryptage, dans le quotidien italien «Inside Over».

Jusqu’à il y a quelques jours, on pensait que le président Poutine pourrait utiliser ce jour particulier à des fins de propagande, annonçant la fin de « l’opération militaire spéciale », mais récemment, le récit du Kremlin a changé, allant jusqu’à parler de « guerre totale », autrement dit, l’officialisation du conflit contre l’Ukraine.

Une déclaration de guerre officielle pourrait potentiellement renforcer le soutien de l’opinion publique à l’invasion et la préparer à un conflit qui pourrait être de longue durée, car Moscou sait que le soutien militaire occidental à Kiev donne du fil à retordre aux groupements tactiques de bataillons (BTG) et de son armée de l’air.

En outre, selon la loi russe, cette solution permettrait également d’enrôler de nouveaux conscrits, qui étofferaient l’arrière du dispositif logistique et surtout prendraient le contrôle des territoires occupés, libérant ainsi les unités de pointe, composé de professionnels, de cette lourde tâche.

Les pertes russes, selon les rapports des services de renseignement occidentaux, seraient comprises entre 10 et 15 mille hommes : un nombre pas exorbitant mais si l’on considère un ratio morts/blessés d’environ 1 à 3, cela signifie qu’entre 30 et 45 mille hommes sont « hors de combat » représentant ainsi près de la moitié (mais certainement un tiers) des troupes employées en première ligne.

D’autres options pour le 9 mai, qui vont au-delà de la « guerre totale » du Kremlin, incluent l’annexion des territoires séparatistes de Lougansk et de Donetsk dans l’est de l’Ukraine, ainsi que la tentative de lancer une offensive massive vers Odessa (toujours considérée comme l’un des objectifs russes). Ou déclarer un contrôle total sur la ville portuaire de Marioupol qui permettrait de certifier la possession de la bande côtière qui va de la Crimée à la Fédération, c’est à dire le premier objectif stratégique de Moscou dans ce conflit.

De ce point de vue, les États-Unis disposent de rapports de renseignement « hautement crédibles » selon lesquels la Russie cherchera à annexer Louhansk et Donetsk à la mi-mai, comme l’a déclaré lundi l’ambassadeur américain auprès de l’OSCE Michael Carpenter, et l’on pense que la Russie envisage également de déclarer (et d’annexer) une « république populaire » dans la ville de Kherson qui, comme nous l’avons déjà vu, constitue un point de jonction crucial dans l’occupation russe de l’Ukraine.

La « guerre totale » russe, assortie d’une déclaration officielle, servirait également à disposer d’un cadre juridique formel sur la scène internationale et à avoir ainsi la légitimité, en cas de victoire écrasante, d’exiger de Kiev une « capitulation sans condition », d’où la fin de l’État ukrainien tel que nous le connaissons.

Ce que l’on peut dire avec certitude, explique Paolo Mauri, c’est que cette décision, au-delà des intentions du Kremlin, signifiera une prolongation temporelle du conflit car elle se traduira par un engagement plus important de l’Occident à soutenir les forces armées ukrainiennes. La guerre, par conséquent, comme déjà prévu par les services de renseignement américains, pourrait durer jusqu’à la fin de 2023. Mais il est plausible qu’elle se transforme progressivement en un conflit de faible intensité en raison de l’hémorragie conséquente des ressources militaires et économiques de la Russie, qui, malgré la mobilisation générale, que nous tenons presque pour acquise, aurait de sérieuses difficultés à maintenir un haut niveau d’opérations de guerre compte tenu des sanctions internationales de plus en plus coercitives auxquelles elle est soumise.

Selon plusieurs observateurs, la déclaration de guerre a pour seule fonction d’augmenter encore le niveau de la propagande de Moscou visant à détourner l’opinion publique nationale des questions tactiques et stratégiques sur le champ de bataille. Là aussi il y a un grain de vérité étant donné le récit des médias russes sur l’éventualité d’un conflit atomique, mais très probablement, d’un seul geste, le Kremlin tentera d’atteindre tous (ou presque) les objectifs énumérés jusqu’ici, avec comme seule incertitude forte concernant l’annexion des républiques séparatistes du Donbass.

D’autres experts pensent aussi que l’officialisation du conflit permet à Moscou de demander le soutien direct de ses alliés dans le conflit : nous pensons que cette possibilité est lointaine (mais pas impossible), car même les pays déjà soumis à des sanctions, comme la Biélorussie ou l’Iran, se garderaient bien d’envoyer des troupes officiellement pour éviter un nouveau régime de sanctions encore plus «castrateur».

Le Kremlin a récemment nié la possibilité d’une déclaration de guerre formelle conduisant à une nouvelle escalade du conflit. Le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, a en effet répondu aux accusations occidentales en déclarant qu’il n’y a pas une once de vérité dans cette affaire. Ce que nous voudrions souligner, cependant, c’est que Peskov a peut-être une fois de plus fourni des informations erronées, conscient de ce que Moscou affirmait dans les jours précédant le conflit. Après tout, seule une amélioration soudaine des opérations de guerre en Ukraine pourrait lever l’hypothèse d’une mobilisation de masse, et d’après ce que nous voyons, la situation ne semble pas trouver d’issue décisive en ce sens. Cependant, il faut aussi envisager la possibilité que la menace de « guerre totale » de la part de la Russie n’ait été qu’un moyen de tester la réaction occidentale et celle de Kiev : la non-élévation du niveau de mobilisation de l’OTAN pourrait, paradoxalement, pousser Moscou à un engagement plus massif de ses forces armées pour tenter de mettre fin au conflit dans les plus brefs délais.

De même, le spectre du conflit atomique, susmentionné, n’a rien à voir avec la « guerre totale ». D’abord parce que le niveau de préparation des forces nucléaires stratégiques n’a pas changé depuis le début du conflit, comme en témoigne la reconnaissance par satellite, qui lors d’un de ses derniers passages au-dessus de la base navale de Mourmansk, où se trouvent les sous-marins lanceurs de missiles balistiques de la flotte russe, a observé que la plupart des navires sont régulièrement à quai. Deuxièmement, parce que le passage à l’usage du nucléaire, même tactique selon la nouvelle doctrine russe d’emploi, est une option qui n’aurait ni gagnants ni perdants (vu l’escalade qui s’ensuivrait), et que Poutine et son entourage n’ont certainement pas l’intention d’entrer dans l’histoire comme ceux qui ont causé l’anéantissement de la civilisation dans l’hémisphère nord de la Terre.

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