(Rome, Paris, 15 avril 2022). Un soutien inconditionnel de Damas à la Russie et une délocalisation des armes russes pouvant frapper l’Europe
La Russie a attaqué l’Ukraine il y a près de deux mois. L’hypothèse d’une guerre-éclair, espérée par le président russe Vladimir Poutine, s’est évanouie, et la possibilité d’une « victoire stratégique » attendue par le Kremlin s’éloigne de plus en plus. Au contraire, un scénario de conflit de longue durée se dessine, avec une succession de différentes phases qui nécessiteront un engagement militaire intense et prolongé de la part de Moscou.
À la lumière des développements issus d’un théâtre de guerre qui a coûté jusqu’à présent au Kremlin beaucoup plus d’hommes que Poutine lui-même ne pouvait l’imaginer et dont les chiffres et les estimations font l’objet de débats et de propagande sur les deux fronts, il est intéressant de se demander si et comment l’engagement militaire russe en Syrie va évoluer, s’interroge Giuseppe Didonna dans son décryptage sur les colonnes de l’agence italienne «AGI».
L’entrée en scène des troupes moscovites fut en effet le véritable élément décisif qui a bouleversé le cours d’un conflit qui semblait déjà scellé. Lorsque les Russes sont arrivés en Syrie en 2015, le président Bachar el-Assad contrôlait à peine un Damas entouré de milices et de groupes d’opposition et isolé de la partie de la côte méditerranéenne du pays, qui lui était fidèle.
Cinq ans plus tard, Poutine, à l’aide de l’artillerie lourde et des bombardements aériens, a rendu Alep et le reste du pays, à l’exclusion de la zone frontalière avec la Turquie, (et une partie de l’Est, ndlr) entre les mains du président syrien, procédant à des attaques ciblées qui ont rendu la nation au régime de Damas, pièce par pièce.
Il est inévitable qu’Assad apporte un soutien total à Poutine dans la guerre contre l’Ukraine. Non seulement un soutien diplomatique : Damas a en effet annoncé l’envoi d’hommes. Bien qu’il n’y ait aucune nouvelle de ces derniers sur front, quelques jours avant l’invasion, le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, était déjà parti pour Damas afin de discuter de « la coopération militaro-technique dans la lutte commune contre le terrorisme ».
Le représentant du Kremlin a assisté à un exercice militaire, a visité l’aéroport militaire de Hmeimim, la base navale de Tartous, la seule base navale de Moscou en Méditerranée, et a préparé le terrain pour la livraison et le déploiement d’avions de combat avec des missiles hypersoniques et de lanceurs de fusées à ogives nucléaires.
Une relocalisation d’armements capables de frapper jusqu’en Europe, une démarche qui vise évidemment à tenir les ennemis à distance en cas d’escalade du conflit, en élargissant considérablement le front d’attaque grâce à la Syrie. Ces mouvements qui révèlent une stratégie qui ne présuppose aucun désengagement russe au Moyen-Orient, mais qui inclut effectivement la Syrie dans le front de la guerre, comme si pour Moscou il s’agissait d’un front uni, tandis qu’Assad ne manque jamais une occasion de défiler aux côtés du drapeau russe et que les groupes rebelles syriens apparaissent de plus en plus aux côtés du drapeau ukrainien.
Moscou n’a donc ni l’intention ni l’intérêt à céder, ne serait-ce qu’un millimètre de son mandat et de son pouvoir acquis en Syrie. En effet, depuis les années de son intervention, la Fédération a protégé le régime de Damas non seulement à l’intérieur même de la Syrie, mais aussi à l’ONU grâce à son droit de veto au Conseil de sécurité. De 2015 jusqu’à aujourd’hui, la collaboration entre Poutine et Assad a donné lieu à des accords économiques, militaires, énergétiques, de construction et culturels, tandis que l’aéroport militaire de Hmeimim et la base navale de Tartous restent fondamentaux pour le front sud-est sur lequel agit Poutine, à tel point qu’ils sont protégés par les systèmes de défense antimissile S-300 et S-400 que Moscou a placés plus au sud.
Un seul point d’interrogation subsiste sur l’avenir de l’engagement russe en Syrie et il concerne le couloir naval que Moscou avait établi entre les bases navales de la mer Noire et de Tartous, un corridor par lequel la Russie a depuis 2015 envoyé des hommes, des navires de guerre et des sous-marins en Syrie, et a affirmé son poids en Méditerranée. Avant le début du conflit en Ukraine, Moscou avait rassemblé ses navires dans les ports de la mer Noire en prévision non seulement de l’attaque, mais aussi de la probable décision de la Turquie de fermer les détroits des Dardanelles et du Bosphore aux navires de guerre, conformément à la Convention de Montreux.
Et Giuseppe Didonna de souligner qu’une décision d’Ankara est intervenue seulement quelques jours après le début de l’invasion et qui n’est pas destinée à affecter le sort de la guerre en Ukraine, mais qui empêche Moscou d’utiliser ce corridor naval pour de futurs approvisionnements de Tartous, de ses propres contingents et de l’allié Assad en Syrie.