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La dérive anti-française en Afrique, Paris risque de perdre le Sahel

(Rome, 03 février 2022). Ces derniers jours, le ministre français des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian n’a pas mâché ses mots en parlant de la junte militaire qui gouverne le Mali depuis mai dernier. Selon le diplomate transalpin, l’actuel gouvernement malien est « illégitime » et prend des « mesures irresponsables ». Pour Assimi Goita, le général en charge du gouvernement depuis le dernier (d’une longue série) coup d’État en mai dernier, M. Le Drian s’est immiscé dans les affaires intérieures du Mali. Il décide ainsi d’expulser l’ambassadeur de France Joël Meyer, ouvrant ainsi une crise diplomatique sans précédent. Cependant, l’épisode a des origines encore plus lointaines. Et cela ne concerne non seulement le Mali, mais toute la zone du Sahel, selon l’analyse de Mauro Indelicato dans le journal «Il Giornale/Inside Over».

D’où vient le sentiment anti-français ?

Le Mali, dans la zone francophone du Sahel, a toujours été un pays plutôt « rebelle » par rapport à Paris. En 1962, Bamako avait même décidé d’imprimer sa propre monnaie à la place du franc CFA, celui actuellement en vigueur dans la plupart des anciennes colonies françaises d’Afrique de l’Ouest. Le pays a rejoint le groupe en 1984, mais encore aujourd’hui, le débat sur la monnaie est source d’âpres controverses. Même l’un des imams les plus en vue de Bamako, le très populaire Mahmoud Dicko, a soulevé les foules ces dernières années en qualifiant le Franc CFA d’outil colonial. Mais c’est dans tous les pays d’Afrique sub-saharienne que ces questions trouvent beaucoup d’espace. Lors des élections sénégalaises de 2019, certains candidats ont proposé la sortie de Dakar de la monnaie unique de la zone francophone. Au Burkina Faso à partir de 2014, après le coup d’État qui a renversé Compaoré, les effigies de Thomas Sankara sont réapparues et, avec elles, les accusations contre la France d’avoir orchestré l’assassinat du «Che Guevara noir» en 1987.

Au sud du Sahara, se trouve une volonté de regarder vers d’autres horizons. A Bamako, comme dans d’autres capitales de la région, les jeunes disposent de smartphones et sont inscrits sur les réseaux sociaux. Ils peuvent donc voir ce qui se passe à l’extérieur et critiquer sévèrement ce qui se passe à l’intérieur de leur pays. Le sentiment d’insécurité lié à la propagation de la pression djihadiste et la crise économique exacerbée par le coronavirus font ensuite le reste. Ainsi, un sentiment d’intolérance a été alimenté envers les classes dirigeantes actuelles et, par extension, envers la France, accusée d’apprivoiser des politiciens et des présidents corrompus pour ses propres intérêts. Les versions africaines de l’anti-politique ont ainsi produit des sentiments anti-Paris et ont favorisé la « contagion » putschiste des deux dernières années. Entre tentatives et succès, on dénombre au moins sept coups d’État dans six pays différents du Sahel à partir de 2020 (dont deux pour le seul Mali). Les militaires sont soutenus par une grande partie de la population car ils sont considérés soit comme de véritables libérateurs, soit comme un moindre mal. Au Mali, comme au Niger, au Burkina Faso, au Tchad et dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, pour de nombreux citoyens, il est préférable de traiter avec un militaire qu’avec un politicien lié à la France.

La Russie et la Turquie se rapprochent

C’est dans ce cadre que s’inscrit la décision du général Goita d’expulser l’ambassadeur de France. Pas tant un test de force, ni de caractère. Il s’agissait plutôt d’un signal politique clair. Bamako veut s’affranchir de Paris. Et les militaires, de leur côté, soufflent sur la vague anti-française qui s’est propagée dans tout le Sahel. Comme pour montrer que, désormais, depuis l’Elysée, les paroles adressées à la junte militaire doivent être mesurées. Aussi parce que Goita essaie de regarder ailleurs. La main de la Turquie est aussi en partie sous le feu des protestations au Mali. La popularité de l’imam Dicko montre à quel point les instances islamiques suscitent les faveurs de l’opinion publique. Dans une phase où les signes d’une volonté de changement se multiplient, le poids des institutions religieuses locales ne cessent en effet de croître. Et ce n’est pas un mystère que là où il y a une forte poussée de l’Islam politique forte, la faveur et la ferveur d’Ankara sont derrière. Mais la véritable nouveauté du cadre politique à Bamako est représentée par le rapprochement avec la Russie.

Au cours de l’été, la junte de Goita a signé un accord avec la société contractante Wagner, étroitement liée au Kremlin. Des images de médias russes en action à Bamako sont récemment apparues dans les médias français, à l’image de ce qui se passe en Centrafrique, autre pays francophone dont le gouvernement a choisi d’accueillir des hommes et du matériel Wagner sur son territoire. Moscou, qui depuis la dernière décennie fait un retour en force sur le devant de la scène en Méditerranée, élargit désormais son champ d’action également au Sahel et en Afrique subsaharienne. Une inconnue non seulement pour la France, mais pour l’ensemble de l’Occident. La mission Takuba au Mali, à laquelle participent 200 soldats italiens, est en cours. L’opération, dont la tâche est de lutter contre des groupes djihadistes bien implantés dans le nord du pays, voit la présence de plusieurs contingents européens, dont le contingent Danois, qui, le 25 janvier dernier, a été considéré « indésirable » par le gouvernement de Bamako. Ce choix a ensuite conduit aux déclarations de M. Le Drian et la crise diplomatique entre le Mali et la France. Que va advenir la mission maintenant ? L’UE, par la bouche du haut représentant pour la politique étrangère Josep Borrell, souhaite la maintenir « mais pas à tout prix ». La Suède retirera peut-être ses soldats. Mais Goita, a souligné le diplomate français Nicolas Normand dans les médias français, n’a jamais demandé leur retrait.

Le choix de Macron

Le président français Emmanuel Macron se tient entre deux fours. D’une part, les opérations au Mali n’ont jamais suscité de popularité. De l’autre, à quelques mois du scrutin, même se retirer totalement du pays (et, par extension, d’une grande partie du Sahel) ne profiterait pas à sa réputation. L’Elysée, aussi pour cette raison, prend son temps. Il y a deux éléments qui rassurent la diplomatie française sur le long terme. D’un côté, la conviction que ni la Russie ni la Turquie n’ont intérêt à prendre la place de Paris ; Entrer furtivement dans la zone c’est une chose, et gouverner le véritable bourbier économique et politique dans lequel est tombé le Sahel, en est une autre. En revanche, conclut Mauro Indelicato, les observateurs parient sur l’incapacité des nouvelles juntes militaires, tant au Mali que dans d’autres pays. Aucun des généraux arrivés au pouvoir, selon le raisonnement de l’Elysée, n’est capable à terme de répondre aux demandes de changements formulées par les populations de la région. Enfin, le Mali notamment, ne peut se passer des relations avec la France, et l’absence de demande de mettre fin à l’opération Takuba en est la preuve. Sous la couverture d’un bras de fer politique, il y a un dialogue qu’il est impossible d’interrompre complètement.

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