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«Les yeux et les oreilles de la Turquie». Le navire espion d’Erdogan est prêt

(Rome, Paris, 18 janvier 2022). La marine turque dispose désormais d’un navire espion. Il s’appelle Oufok, «horizon», et le président Recep Tayyip Erdogan l’a appelé « les yeux et les oreilles de la Turquie en mer ». L’unité est née du projet Milgem, ce programme fortement souhaité par le dirigeant turc qui vise à construire les fleurons de ses forces armées, en faisant appel uniquement à l’industrie et à la construction navale nationales, comme le souligne l’analyse de Lorenzo Vita dans le quotidien «Inside Over». Le problème d’Ankara, qui remonte à l’époque de l’Empire ottoman, a toujours été celui de pouvoir combler le fossé technologique avec les puissances occidentales afin de construire sa propre flotte et ses propres moyens sans avoir à dépendre de l’étranger. Et l’objectif du sultan est précisément de réduire de plus en plus cet écart, en essayant de se rendre progressivement plus indépendant par rapport des géants des États tiers, qui sont souvent réticents à faire des affaires avec la Turquie pour le moment.

Bien sûr, tout le monde est conscient, même les plus farouches partisans d’Erdogan, que ce programme ambitieux nécessitera du temps, de l’argent et surtout des phases intermédiaires au cours desquelles il faudra continuer à entretenir d’excellentes relations avec les fournisseurs occidentaux : mais pour le moment, le signal est lancé. Et surtout en ce qui concerne la flotte, Milgem commence aussi à porter ses premiers fruits à travers des unités complètement « indigènes ».

Comme mentionné, Oufok relève de ce régime. Comme l’a dit Erdogan lui-même, cité par l’agence Nova, le navire est « entièrement développé et produit par des entreprises et des ressources nationales », et ce n’est pas un hasard si le leader de l’AKP en personne a souligné que la Turquie est « parmi les dix nations du monde capables de concevoir et construire leurs propres navires de guerre ». Lancé en février 2019 mais opérationnel seulement à partir de 2022, son système électronique est développé par le géant turc de la défense Aselsan. Le navire est conçu pour naviguer sans escale pendant environ 45 jours, et parmi les différentes caractéristiques du bateau, figure un pont pour hélicoptères.

La volonté d’Erdogan de se doter d’une marine de plus en plus efficace s’inscrit parfaitement dans le plan turc de s’affirmer comme une puissance navale au sein de l’échiquier méditerranéen. La Turquie a souvent été caractérisée par une politique néo-ottomane, telle que définie par les observateurs, qui notent une adhésion précise des frontières de l’ancien empire à la zone d’influence (ou de volonté de puissance) actuelle d’Ankara. Cependant, la mer, surtout ces dernières années, a pris un rôle essentiel. Cela est particulièrement visible dans la confrontation avec la Grèce pour le contrôle de la mer Egée, de la Méditerranée orientale et le recours de plus en plus marqué à une politique de « canonnière » dans diverses zones de la «Mare Nostrum», y compris en Libye.

Oufok, poursuit Lorenzo Vita, représente donc à l’heure actuelle, d’une part, un avertissement précis de la Turquie en général sur le front maritime. En revanche, la principale caractéristique de cette unité, qui est précisément celle de son utilisation pour des opérations de guerre électronique et de renseignement, ne doit évidemment pas être sous-estimée. Dans une zone de plus en plus conflictuelle comme celle de la Méditerranée orientale et à une époque de tensions croissantes également en mer Noire, autre étendue d’eau dans laquelle une partie du destin de la Turquie est en jeu, la possession d’un navire capable d’effectuer ce type de mission, revêt un rôle très important. La guerre du renseignement, notamment en mer, prend de plus en plus d’importance. Et quand Erdogan parle des « oreilles et des yeux » d’Ankara en mer, il ne parle pas seulement de la surveillance ennemie, mais aussi des opérations « Sigint » (un signal envoyé à un processus pour l’interrompre, ndlr). Le gouvernement turc lui-même continue de réitérer son intention de préparer la flotte aux scénarios de guerre du futur. Et ce programme semble se poursuivre et se renforcer même face à une crise financière qui fragilise l’économie turque et un leadership qui risque difficilement d’atteindre 2023.

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