(Rome, Paris, 05 janvier 2022). Un partenaire commercial, mais surtout une pièce maîtresse de l’Asie centrale. Les émeutes au Kazakhstan inquiètent l’Italie. Le sous-secrétaire Di Stefano: « Un pays décisif pour la stabilité de la région ». Des visées russes à l’ombre de Kaboul, Rome et Bruxelles craignent l’effet domino
L’Italie suit le chaos qui règne au Kazakhstan avec appréhension, selon les journalistes Francesco Bechis e Gabriele Carrer du quotidien italien «Formiche». L’un des pays satellites les plus proches de la Russie de Vladimir Poutine est en pleine tourmente. D’Almaty à Noursoultan, les grandes villes kazakhes sont submergées par des manifestations de rue à grande échelle. Le casus belli est l’augmentation des prix du carburant. Mais l’émeute s’est rapidement transformée en un défi pour le régime de Nour sultan Nazarbayev, l’ancien président qui est encore aujourd’hui l’homme de l’ombre du pouvoir kazakh.
Un premier compte a déjà été présenté : plus de 200 arrestations, Internet censuré, des policiers déployés en tenue anti-émeute et un gouvernement fantoche contraint à une démission massive par le président Kassym-Jomart Tokayev. Un deuxième compte, plus salé, pourrait arriver dans les quinze prochains jours, tant que l’état d’urgence durera.
L’Europe s’inquiète des bouleversements dans cet ancien pays soviétique, le plus grand d’Asie centrale. L’Italie et le gouvernement de Mario Draghi ne font pas exception. « Le Kazakhstan est un pays de référence pour la stabilité de l’Asie centrale, ainsi qu’un partenaire commercial important de l’Italie », a déclaré le sous-secrétaire aux Affaires étrangères Manlio Di Stefano, qui suit le dossier pour la Farnesina (Ministère italien des AE, ndlr), en contact avec l’ambassadeur d’Italie à Noursoultan, Marco Alberti. « En plus d’être un partenaire commercial important pour l’Italie, le Kazakhstan est une colonne vertébrale du format 5+1 (Italie plus Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Turkménistan, Ouzbékistan, ndlr) », ajoute-t-il. Derrière son sang-froid diplomatique, se cache la préoccupation de la Farnesina pour la déstabilisation d’une zone sur laquelle l’Italie a récemment beaucoup misé, non seulement sur le plan économique.
Prenons un peu de recul. Cinq mois se sont écoulés depuis que les talibans ont repris le pouvoir en Afghanistan à la mi-août. Au lendemain de la chute de Kaboul, le gouvernement italien, dirigeant du G20 spécial à Rome, a joué un rôle de premier plan dans la définition d’une stratégie européenne en Asie centrale, avec un accent particulier sur les flux migratoires.
Le bilan, partagé par les États membres au Conseil Justice et Affaires intérieures du 31 août, peut se résumer ainsi : aider les Afghans « près de chez eux ». Autrement dit, soutenir financièrement et logistiquement les pays d’Asie centrale afin de créer une «zone tampon» sécuritaire autour des frontières afghanes et de gérer l’exode massif du nouvel émirat, ainsi que d’éventuelles infiltrations de terroristes. Précisément le Kazakhstan. Et puis le Kirghizistan, le Tadjikistan, avec le Pakistan et l’Iran. Un tremblement de terre à NourSoultan – et un éventuel effet domino dans la région – menace de faire sauter ce périmètre de sécurité.
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Confirmant que la présence en Asie centrale était et reste une nécessité tactique non seulement pour l’Italie, mais aussi pour l’Union européenne. Le ministre des Affaires étrangères Luigi Di Maio s’était rendu en Ouzbékistan, au Tadjikistan, au Qatar et au Pakistan. En décembre, cependant, avec Di Stefano, il s’est rendu à Tachkent, en Ouzbékistan, pour s’entretenir avec ses homologues du Kazakhstan, du Kirghizistan, du Tadjikistan, du Turkménistan, de l’Ouzbékistan et avec le représentant spécial de l’Union européenne pour l’Asie centrale, l’ambassadeur Terhi Hakala.
Une fois de plus avec un pays de marque : l’Afghanistan, et le risque d’un effet domino parmi les pays voisins, déjà harcelés par la pandémie, ainsi que par d’autres troubles internes. Au Kazakhstan, par exemple, les autorités craignent de plus en plus la radicalisation des jeunes. Un phénomène qui peut être alimenté par les conditions sociales et économiques des couches de la population les plus défavorisés mais aussi par des infiltrations en provenance des républiques d’Asie centrale voisines et du Xinjiang, une région chinoise habitée par des Ouïghours, une population musulmane et turcophone.
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La Russie de Poutine, nous expliquent Francesco Bechis et Gabriele Carrer, qui a un allié historique en la personne du « père de la nation » Nazarbayev, suit de près la situation dans le pays. Les manifestations pourraient servir de prétexte pour cimenter les relations avec le président Tokayev, qui a limogé le gouvernement et imposé un couvre-feu, reproduisant ce qui s’est déjà passé avec Aljaksandr Lukašėnka en Biélorussie. Les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale font partie de la chaîne de valeur russe, mais aussi l’objet de l’intérêt de la Chine pour la route de la soie, de la Turquie, qui veut construire un « bloc » stratégique unique en Asie centrale, et de l’Iran, qui cherche à exercer dans la région une influence en tant que débouché des restrictions de terrain au Moyen-Orient.
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