Cité du Vatican: le bilan perspicace et réjouissant d’Élisabeth Beton-Delègue

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(Rome, 31 décembre 2021). L’ambassadrice de France près le Saint-Siège, Élisabeth Beton-Delègue, achèvera sa mission au début du mois de janvier, après deux ans et demi passés à Rome. Elle nous confie avoir fait de magnifiques rencontres au Vatican, en particulier avec des femmes.

Première femme nommée à la Villa Bonaparte, le plus ancien poste de la diplomatie française, c’est dans la ville éternelle, proche du cœur battant de l’Église, que se refermera la riche carrière diplomatique d’Élisabeth Beton-Delègue, ambassadrice de France près le Saint-Siège depuis avril 2019.

Durant quelque quarante années, cette diplomate française a été envoyée dans de nombreux pays, souvent situés aux périphéries géographiques et existentielles, notamment en Haïti, au Mexique et au Chili où elle a été ambassadrice, mais aussi en Irak, en Éthiopie, en Turquie et à Madagascar.

Elle revient, au micro d’Hélène Destombes sur son ultime fonction, exercée en temps de pandémie de Covid 19, sur la richesse des rencontres au Vatican et sur l’état actuel des relations entre la France et le Saint Siège, alors que cette année 2021 marque le 100e anniversaire de la reprise des relations diplomatiques entre Paris et le Vatican.

Comment définiriez-vous l’état actuel des relations entre la France et le Saint-Siège ?

La célébration du centenaire de la reprise des relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège a mis à la fois en lumière un regard rétrospectif et a témoigné de la vitalité de notre relation. Et la pandémie a plutôt contribué à resserrer notre relation sur le plan politique. C’est ainsi que je l’ai ressenti, notamment pour avoir accompagné le Premier ministre, mais aussi le chef de l’État. Ce sont des relations de plain-pied sur le plan de l’analyse, de l’échange. Nous ne sommes pas du tout dans le formalisme. C’est aussi, me semble-t-il, parce qu’il y a un besoin d’échanger sur ces crises qui aujourd’hui s’étendent un peu partout, sur ce multilatéralisme en morceaux ou sur la fragilisation des démocraties. Ce sont des sujets que l’Église universelle prend en considération et sur lesquels les échanges sont nécessaires.

Durant les deux ans et demi passés à la Villa Bonaparte, de nombreux sujets ont été abordés, et notamment un thème très douloureux et délicat, les abus sexuels au sein de l’Église. La France s’est emparée de ce sujet. Il y a eu notamment la publication du rapport Sauvé. Comment avez-vous appréhendé cette très grave question ?

Le rapport de la commission Sauvé a donné un éclairage, a nommé des choses, a mis en perspective et je trouve que la démarche des évêques de France est tout à fait courageuse. Leur démarche fera date dans les grandes étapes de l’assainissement des pratiques d’une institution qui a failli. Elle n’est pas la seule, nous sommes bien d’accord, et elle est pionnière. Je crois que cet aspect, le fait d’être pionnière, est important et doit être mis en avant. Il y a une commission sur l’inceste mise en place par l’État français qui s’inspire de la méthodologie Sauvé.

Vous êtes la première femme à avoir été nommée à la Villa Bonaparte. C’est aussi votre dernier poste au terme d’une carrière qui vous a menée au Mexique, en Irak, à Madagascar, au Chili, mais aussi en Haïti. En quoi cette mission diffère-t-elle des précédentes ?

Elle diffère des précédentes parce que nous pratiquons ici une diplomatie essentiellement de contacts et d’influence. C’est sans doute le plus beau poste dont on puisse rêver pour boucler la boucle d’une carrière diplomatique. 40 ans quand même ! C’est du chemin dans des espaces géographiques très différents, dans beaucoup de pays en voie de développement, et, pour certains, on se demande s’ils ne sont pas enfoncés dans le sous-développement.

Donc, c’est aussi un moment pour tenter de faire une synthèse. Et ici, où il y a une vision panoramique et basée sur une analyse, me semble-t-il, extrêmement lucide du monde. Je trouve que la vision que propose le Pape François est plus qu’inspirante. La pandémie démontre bien que même si les résistances de nos sociétés sont très fortes le changement est indispensable. Et il y a là non seulement une grille de lecture qui est posée par le Pape François mais aussi une feuille de route et une boussole. Ce fut une expérience unique de vivre cela ici, dans ce lieu où l’espace et le temps sont rendus à leur juste dimension, qui n’est pas celle de l’urgence, de l’effervescence médiatique, de la reddition de comptes à courte échéance et de la pression.

Nommé en avril 2019, vous avez rencontré de nombreux acteurs du Vatican, certains occupant des rôles de premier plan, d’autres beaucoup plus discrets. Qu’avez-vous appris de ces rencontres ?

J’ai appris tout d’abord qu’il y avait ici beaucoup d’intelligence, beaucoup de réflexion, une très grande diversité et une très grande richesse humaine. Cela a été une découverte quasiment au quotidien de personnalités. Il y a bien sûr les responsables, la Curie reste quand même un lieu où la parole est assez gardée, à quelques exceptions près. Le monde qui pour moi a été le plus intéressant, parce qu’il ouvre sa porte, est celui des femmes, religieuses et laïcs. C’est une richesse et les femmes sont vraiment un facteur de changement dans l’Église. Et je pense que si l’Église ne parvenait pas à trouver les voies pour intégrer les femmes, elle les perdrait progressivement et s’appauvrirait.

La place des femmes au Vatican est un sujet qui s’est très vite imposé à vous. Pour quelle raison ?

Les femmes sont un peu l’armée des ombres. Et par conséquent, il est important, d’une part, qu’il y ait plus de femmes qui soient à des postes de responsabilité. Mais d’ores et déjà, il faut que les femmes qui travaillent à la Curie soient à leur juste poste en fonction de leur expérience et de leurs compétences. Je ne suis pas certaine que ce soit toujours le cas. Il est par ailleurs important que de nouveaux postes s’ouvrent pour elles. Le Pape François a procédé à un certain nombre de nominations. C’est important, il faut toujours des pionnières, mais ceci ne remplace pas une vraie politique des ressources humaines. Mais cette dimension, peut-être, pèche en général à la Curie, et pas uniquement vis à vis des femmes.

Quel bilan dresseriez-vous, d’un point de vue plus personnel, de cette expérience romaine ?

J’ai presque envie de dire que c’est une expérience qui commence, plutôt que d’être une expérience qui s’achève. Cette mission a été pour moi une succession de portes qui se sont ouvertes, et qui me donnaient envie d’aller plus loin. Je pense que je ne pourrais plus quitter Rome et qu’il y aura comme un aimant qui me ramènera ici. J’ai percé un peu le fonctionnement du Vatican. J’ai eu un certain nombre d’entrées. Aujourd’hui, j’observe le Vatican avec un regard empli de beaucoup de respect.

J’ai compris, ici, ce qu’est une Église qui a vocation à être universelle, et la manière dont elle se décline dans différents langages. J’ai compris qu’elle est bien plus qu’une seule institution, qui parfois peut-être pesante et peut-être un frein. Sa pérennité est quelque chose d’extraordinaire tout comme cette réflexion sur un avenir qui n’est pas écrit. Il représente d’autant plus un défi qu’il repose sur une institution dont on voit bien les limites. Cela tient donc du mystère de la foi, du mystère de la transcendance. Et à un moment où l’on est plutôt dans un monde un peu suspendu ou liquide, il y a une recherche de cette transcendance. Elle existe, elle va resurgir et il y a évidemment des lieux de rencontres. Je dirais donc, qu’il s’agit pour moi du début d’une expérience.

Entretien réalisé par Hélène Destombes. (Vatican News)