(Rome, 16 décembre 2021). La livre libanaise continue de perdre toute valeur… Elle a encore dégringolé hier face au dollar, battant son plus bas historique. Selon la banque mondiale, le Liban vit l’une des trois plus graves crises financières recensées dans le monde depuis le XIX° siècle.
Un dollar valait 1.900 livres (1.509, ndlr), il y a deux ans. 10.000 au printemps dernier. 20.000 à l’été. 29.000 hier. Dans quinze jours, on devrait atteindre les 30.000. Un chiffre rond pour le réveillon.
Dans beaucoup de familles, il n’y aura rien d’autre au réveillon. Les trois quarts des Libanais ont basculé sous le seuil de pauvreté.
Dis comme cela, cela reste abstrait. C’est normal. Il vous manque cent euro, c’est la gêne. Un milliard, c’est une statistique. Il manque mille milliards dans les banques du Liban.
Le retour au réel, c’est la réaction spontanée, la colère des Beyourthins qui ont bloqué la circulation hier à Beyrouth. Ils ont mis la ville à l’arrêt. Demain, ce sera grève générale des transports. Ces gesticulations ont encore un côté « déjà vu ».
Ce qui s’est passé à Bednayel est révélateur et nouveau.
C’est un village chiite sur la route de Baalbek. Moins de 400 électeurs. Un retraité de l’armée s’est rendu sur la place du village. Il s’est immolé par le feu. Mohsen Sleiman est le cousin lointain du Tunisien Mohamed Bouazizi, dont le suicide il y a dix ans pile a déclenché une révolution, la chute de Ben Ali et l’éphémère printemps arabe.
Les enquêteurs libanais parlent de « stress psychologique provoqué par la crise économique et sociale ». Plus simplement, le vieux soldat était désespéré. Son drame révèle l’état de la dernière institution encore debout.
L’armée est la colonne vertébrale du pays a dit le chef d’état-major.
C’est le général Aoun qui n’a rien à voir avec l’autre général Aoun qui vit. Celui-ci s’appelle Joseph Aoun et tente de sauver le pays du naufrage. L’autre, Michel, vit dans son palais de Baabda comme s’il était déjà à bord d’un canot de sauvetage.
Les militaires au Liban sont les seuls hommes en armes qui ne vivent pas sur le dos des civils. L’armée est le contraire des milices, on y trouve toutes les communautés. Pendant la guerre, elle n’a pas éclaté. Il y a eu des défections, il y a eu aussi quelques faits d’armes. L’institution a assuré la permanence de l’Etat, ménagé l’avenir, préservé l’essentiel.
Et c’est encore le cas. Il fallait voir à la Toussaint, les militaires prendre le contrôle des stations-service pour faire eux même le travail des pompistes qui auraient préféré garder leurs stocks en attendant que les cours de l’essence s’envolent. Au risque de déclencher des émeutes.
L’armée libanaise jouit d’une autorité sans égal. Les gens savent bien que le Hezbollah a plus d’hommes, qu’ils sont plus aguerris et infiniment mieux armés. Mais c’est l’armée aujourd’hui qui fait le Liban. Et surtout pas les banquiers ou les politiciens.
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C’est une armée de va nu pieds.
Il y a six mois, la France a organisé une sorte de téléthon kaki, auprès du groupe de soutien international au Liban. Pas pour fournir des armes ou des munitions. Juste des rations de survie. Des pièces détachées pour les véhicules. Des médicaments.
Un officier gagnait l’équivalent de 4.000 dollars, un soldat 800. Désormais, il reste à l’un 260 dollars et à l’autre 50. Alors ils font un autre métier, à côté. N’importe quoi. Et parfois un troisième emploi, la nuit. Toute la troupe se clochardise. Quand le vétéran dans son bled n’a plus de quoi se nourrir, il tire un baroud d’honneur. Le soldat Sleiman s’asperge d’essence et c’est le Liban qui brûle. Récit-Vincent Hervouët (Europe1)
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