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Défense de l’UE, le piège est-il prêt pour l’Italie ?

(Rome, Paris, 09 novembre 2021). La marche vers une défense européenne commune s’achemine vers une première étape fondamentale. La Commission européenne est prête à présenter le plan de création d’une force d’intervention rapide. Et le haut représentant pour les affaires étrangères et la sécurité, Josep Borrell, est sur le point de montrer la « boussole stratégique » pour esquisser les actions de Bruxelles d’ici 2025.

Comme l’explique Lorenzo Vita dans son analyse dans le quotidien «Il Giornale/Inside Over», il s’agit potentiellement d’un tournant pour l’Europe. «potentiellement», dit-il, parce que trop souvent, les projets d’une défense européenne commune ont échoué bien avant leur élaboration définitive ou se sont révélés inefficaces. Le dernier dans l’ordre chronologique est le projet des EU «Battlegroups» (Groupement tactique de l’Union européenne, ndlr), des bataillons multinationaux nés précisément comme force d’intervention commune mais qui, en fait, sont restés ancrés dans quelques exemples très limités et sans utilisation effective.

Cette fois, cependant, les choses semblent avoir pris une tournure différente. Peut-être à cause du retrait traumatisant d’Afghanistan, ou peut-être, plus prosaïquement, à cause de l’affaire Aukus, cette alliance entre le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Australie qui a annulé un accord de plusieurs dizaines de milliards de dollars prêts à être encaissés par la France. En effet, sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, la Commission européenne semble enfin décidée à esquisser un projet de sécurité commune qui envisage notamment de se concentrer sur une force d’intervention rapide (5 mille hommes), la cyber-sécurité, le renseignement et les domaines d’intervention stratégiques.

Le problème est que, comme cela arrive souvent, derrière l’image d’un projet européen, se cache une substance construite par un pays qui tente de s’approprier l’intégration européenne. Le risque, toujours très élevé, est que lorsque nous parlons de l’Europe, nous sommes en réalité confrontés à un scénario qui sert à éluder les intérêts d’un seul membre qui exploite l’UE comme multiplicateur de force. Et en matière de défense et de sécurité communes, ce pays ne peut être que la France : toujours intéressée à prendre les rênes de la défense continentale et, plus encore, avec un Président Macron qui voudrait tout faire pour atteindre, avec ce résultat, les prochaines élections.

La question est particulièrement pertinente pour l’Italie. En effet, la capacité de déploiement (de l’UE, comme on appelle la force d’intervention rapide proposée à Bruxelles), cache en réalité des problèmes stratégiques d’envergure. Et ce que l’on craignait d’être le pire des scénarios (mais aussi le plus plausible) risque de devenir réalité.

Le quotidien italien «Corriere della Sera» rapporte notamment deux informations sur le projet qui circulent dans les couloirs bruxellois : il est question de l’Indo-Pacifique comme zone de référence stratégique et le Royaume-Uni n’est pas mentionné dans les partenariats bilatéraux. Les rumeurs ont également été confirmées par l’agence Nova, ayant eu accès au projet qui sera présenté mercredi.

Ces deux informations, une fois combinées, livrent une image qui est plus qu’un signal d’alarme pour l’Italie. Et cela permet de comprendre comment le fait d’intervenir maintenant, dans les phases d’introduction du projet, peut éviter à Rome de dangereux pièges stratégiques.

L’inclusion de l’Indo-Pacifique a un double objectif. D’une part, il s’agit d’un message clair de détente à l’égard des Etats-Unis, qui souhaitent depuis longtemps un engagement plus accru des partenaires européens de l’OTAN dans la région stratégique qui « endigue » la Chine. La stratégie Indo-Pacifique promue par l’Union européenne est jusqu’à présent extrêmement vague et fragile selon les analystes. Et réintroduire le concept dans le projet de défense européenne commune, c’est rassurer Washington sur les avancées dans les relations avec Pékin. En revanche, le rôle français ne doit pas être sous-estimé, puisque l’Indo-Pacifique, comme d’autres régions du monde, est définitivement au centre des stratégies transalpines. Paris est la seule puissance européenne à avoir une présence en permanence dans la zone. Et l’intérêt pour la région est également le résultat d’un agenda qui s’oriente de plus en plus vers l’Extrême-Orient.

Pour l’Italie, l’Indo-Pacifique est important, ajoute Lorenzo Vita dans son décryptage. Mais le point de vue stratégique de Rome, avant celui de cette région océanique, vise uniquement la Méditerranée élargie. C’est là que les gouvernements du pays ont centré leur boussole. Raison pour laquelle, tout en réitérant depuis quelque temps la nécessité d’une implication dans la zone de confrontation entre la Chine et les Etats-Unis, pour les stratèges italiens le point focal reste la sécurisation du front sud de l’Europe et des portes de la «Mare Nostrum». Du Sahel aux zones de la Corne de l’Afrique en passant par le problème de la Méditerranée orientale, en plus du nœud non résolu de la Libye, l’Italie préférerait une approche plus structurée de l’Union européenne dans les zones voisines et ne pas sortir d’une zone qui, actuellement, semble être davantage un jeu de grandes puissances que de l’UE. Et avec l’Indo-Pacifique en tête des priorités, Rome devra nécessairement accélérer ses partenariats locaux ainsi que sa présence éventuelle dans la zone.

Sur le front britannique, cependant, le problème n’est pas seulement stratégique, mais aussi industriel. Le projet ne prévoit pas une présence de Londres dans les partenariats sur le front de la défense, et les engagements, comme le souligne Nova, sont très vagues. Alors que la Norvège et le Canada parlent d’un renforcement de la coopération, en ce qui concerne l’ancien membre de l’UE, un tableau nettement plus incertain se dessine : « Nous restons ouverts à un engagement avec le Royaume-Uni en matière de sécurité et de défense ». Il ne s’agit pas exactement d’un message de prise de conscience du rôle de Londres en tant qu’interlocuteur dans le secteur de la sécurité.

Une lacune à corriger ? L’espoir pour Rome est le suivant : mais il faudra du travail pour bien définir le plan opérationnel. Car si la France a depuis longtemps fait savoir qu’elle est entrée dans une trajectoire de collision avec son homologue d’outre-Manche (de la pêche à Aukus), l’Italie et le Royaume-Uni ont des d’importants accords sur la table, comme en témoigne le fait que le pays est également mentionné dans l’agenda de Londres sur l’avenir stratégique, la désormais connue « Global Britain ». L’Italie n’est pas seulement importante pour le «duopole» momentané du G20, du G7 et de la Cop26, mais c’est aussi un partenaire clé pour le projet Tempest, la dernière génération d’avions de combat auquel Rome participe avec Londres et Stockholm. Pour l’Italie, la technologie de Leonardo et un investissement de deux milliards d’euros qui sont en jeu : éviter de mentionner dans des partenariats bilatéraux est donc un signe alarmant de détachement.

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