Liban: les promesses de «réformes» du premier ministre ne convainquent que ceux qui les croient. Elles se heurteront tôt ou tard aux intérêts du Hezbollah

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(Rome, Montréal, Paris, 25 septembre 2021). Najib Mikati, le nouveau premier ministre libanais, rencontre le président français Emmanuel Macron lors de sa première visite officielle en France depuis son entrée en fonction le 10 septembre.

Malgré la complexité de la tâche, dans un contexte régional et national particulièrement tendu, Mikati a effectué sa première visite officielle à l’étranger depuis sa prise de fonction le 10 septembre. Après sa rencontre avec le président Macron, il a exprimé sa « détermination à mettre en œuvre, dans les plus brefs délais, les réformes nécessaires pour redonner confiance et espoir aux Libanais et atténuer leurs souffrances ». Comme il est de  tradition, le premier ministre libanais effectue sa première visite officielle à l’étranger en Syrie ou en Arabie saoudite pour faire allégeance à l’une ou l’autre puissance en fonction des circonstances. Mais cette fois-ci, sa visite semble viser à « sauver » la face du président Macron dont l’initiative lancée au lendemain de l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, a lamentablement échoué.

En tout état de cause, l’engagement de Najib Mikati peut convaincre le Président Macron, mais peine à convaincre les Libanais. Ils sont en effet conscients que le Hezbollah a pris les devants et a verrouillé les postes stratégiques. Ils s’interrogent : comment M. Mikati peut-il réformer les douanes, contrôler le port, l’aéroport et les frontières, alors que le ministre des Transports en charge de ces infrastructures, M. Ali Hamyé, est membre du Hezbollah ? Comment réformer et assainir les finances alors que le ministre des Finances est membre du Mouvement Amal ? Comment enquêter sur le rôle de la Banque centrale dans la banqueroute du pays et sanctionner les fautifs au moment où le ministre des Finances, M. Youssef Khalil, n’est autre que l’ancien responsable des opérations de la Banque centrale ? Comment le gouvernement peut-il négocier avec les institutions financières internationales, le FMI et la Banque mondiale, alors que le négociateur libanais n’est autre que le vice-premier ministre Saadeh Al-Chami, membre du Parti national syrien social (PNSS), imposé par le Hezbollah pour éviter tout accord qui heurte les intérêts du Parti de Dieu ?

Malgré ces appréhensions, le Président Macron qui n’avait pas caché son impatience durant les 13 derniers mois de négociations pour la formation du gouvernement, a insisté sur la nécessité de mener des réformes qui devraient réduire la corruption, stabiliser le système bancaire et construire des infrastructures. Fondamentalement, il s’agit des mêmes thèmes qui reprennent largement ceux traités dans les conférences de Paris I (2001), Paris II (2002) et Paris III (2007) et la Conférence « Cèdre » (2018), et qui ont lié l’ensemble des aides économiques aux réformes. Les Libanais s’interrogent sur les capacités de Paris à convaincre les pays donateurs de desserrer les cordons de leurs bourses et de financer le Liban, alors que les monarchies du Golfe sont de plus en plus réticentes à financer un gouvernement contrôlé majoritairement par le Hezbollah et les hommes de la Syrie et de l’Iran ? Ils redoutent aussi la poursuite de la dégradation de la situation économique et sociale en attendant les premiers résultats des réformes, si celles-ci auront réellement lieu, et craignent leur blocage par le Hezbollah dont le sauvetage du Liban n’est pas inscrit à son ordre du jour. Bien au contraire, d’ores et déjà, le Parti de Dieu et ses alliés (Amal, CPL, Marada, Arslan, PNSS…) cherchent à empêcher les Libanais de la diaspora de voter aux prochaines législatives, car ils sont conscients que ce vote les sanctionnera lourdement, leur fera perdre la majorité parlementaire et les empêchera ainsi d’élire un Michel Aoun-Bis (ou pire), fin octobre 2022.

Dans le même objectif, des sources libanaises craignent la reproduction d’attentats semblables à celui de l’église Notre Dame de la Délivrance (1994) pour les attribuer aux souverainistes et les briser avant les législatives. Le Parti de Dieu et ses alliés s’acharnent également contre le juge d’instruction Tarek Bitar chargé de l’enquête sur l’explosion du port. Il risque d’être relevé et dessaisi comme ce fut le cas son prédécesseur Fadi Sawwane. Le Hezbollah veut continuer à terroriser le Liban et le monde en toute impunité et profite de la compromission de ses alliés libanais, de la complicité de ses alliés étrangers et de la faiblesse de ses adversaires. De même, le président de la Commission des Finances, a téléphoné personnellement à ses homologues européens, la semaine écoulée, pour les convaincre de rejeter les sanctions votées au Parlement européen, affirmant que les eurodéputés se sont basés sur des mensonges et des «fake news». Pis encore, l’eurodéputé qui a défendu et promu les sanctions sur les responsables libanais s’efforce depuis quelques jours à justifier le retournement de Macron et à convaincre ses interlocuteurs qu’il était judicieux d’accorder une chance à Mikati. Il cherche également à faire retomber la colère des Hirakistes libanais, particulièrement déçus par ce qu’ils qualifient de «trahison» de Macron.

En effet, dans ce contexte, les Libanais expriment leur amertume quant au retournement de veste du président français. Autant il a été apprécié lors de ses deux visites au Liban, autant il déçoit aujourd’hui par sa capacité à avaler les couleuvres et à se compromettre avec les dirigeants libanais corrompus. Comment peut-il leur confier le redressement du pays alors qu’ils sont responsables de sa destruction ? Ils craignent de faire les frais des arrangements entre la France et l’Iran d’une part, et de la réhabilitation en cours du régime syrien, de l’autre. A cet égard, le Hezbollah importe du pétrole iranien via la Syrie, en violation de l’embargo sur la République islamique et de la Loi César qui impose un strict embargo sur la Syrie, avec l’aval de Washington. Ils regrettent que le monde entier les a abandonnés et pensent que seule la résistance peut les sauver.

Sanaa T.