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Chine, Russie, Turquie et Pakistan: le nouveau «Grand Jeu» est en marche

(Rome, 16 août 2021). La chute de Kaboul ouvre des scénarios sur qui prendra la place laissée vide par le retrait américain. Peut-être aucun. Peut-être tous, en partageant le pays. Ou peut-être y aura-t-il une puissance capable de prévaloir sur une autre. Impossible à l’heure actuelle de faire des pronostics. Mais ce qui est certain, c’est que la diplomatie des autres puissances régionales œuvre depuis un certain temps pour enrayer une catastrophe largement prévisible, comme le décrit Lorenzo Vita dans son analyse dans le quotidien italien «Il Giornale».

Après avoir sécurisé le personnel, les chancelleries travaillent maintenant à la gestion de ce qui semble être définitivement un nouveau régime : l’Émirat islamique d’Afghanistan. L’envoyé du Kremlin en Afghanistan, Zamir Kaboulov, a confirmé que l’ambassadeur à Kaboul rencontrerait les talibans mardi. Sur Radio Echo Moskvj, M. Kaboulov a rapporté que la rencontre n’est cependant pas la même qu’un accord pré-écrit : « La reconnaissance ou non dépendra de ce que fera le nouveau régime ». Le représentant russe à Kaboul, l’ambassadeur Dmitry Zhirnov, a expliqué à « Russia 24 » que les talibans ont garanti leur engagement pour « un Afghanistan exempt de terrorisme et de trafic de drogue, où les droits de l’homme seront respectés. Un pays qui aura de bonnes relations avec le monde entier ». Mais l’ambassadeur lui-même a fait preuve de prudence. L’ordre qui est venu de Moscou semble faire l’objet d’une attention particulière : les talibans sont, après tout, très bien connus dans les plus hautes hiérarchies militaires et politiques russes. Et c’est pourquoi de nombreuses variables vont peser sur la reconnaissance de l’Emirat : à commencer par la question du terrorisme, très chère au Kremlin. La Russie ne semble pas particulièrement satisfaite de ce qui se passe en Asie centrale, et c’est l’une des raisons pour lesquelles elle a mobilisé des troupes pour des exercices qui ressemblent à un avertissement.

La reconnaissance du gouvernement taliban interroge également Pékin. La Chine n’a jamais nié avoir tissé un réseau de relations avec les « étudiants coraniques », comme en témoigne la rencontre à Tianjin en juillet entre le ministre Wang Yi et une délégation talibane conduite par le mollah Abdoul Ghani Baradar. Ainsi, au lendemain de la chute de Kaboul, le gouvernement de la République populaire a pris les premières dispositions. Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Hua Chunying, a déclaré que son pays avait l’intention d’avoir « une coopération amicale et de bon voisinage » avec l’Afghanistan, en assumant « un rôle constructif dans la paix et la reconstruction ». L’objectif est de pouvoir articuler le pays dans le projet stratégique de la « One Belt One Road ». Toutefois, comme le rapporte l’agence AGI, les liens entre le nouvel émirat et les fondamentalistes islamiques qui inquiètent également la Chine ne doivent pas être oubliés. Cela a été expliqué par l’ancien ambassadeur en Iran, Hua Linming, s’adressant au South China Morning Post. « Le groupe a des liens si profonds et complexes avec des groupes extrémistes et terroristes », a déclaré le diplomate chinois, « qu’il est trop tôt pour dire à quel point la Chine devrait être concernée ». Des ouvertures donc, mais sans doses excessives d’optimisme. Le chaos et l’insurrection islamiste sont des éléments qui font réfléchir, même le Politburo chinois (Le Bureau politique du Comité central du Parti communiste chinois, ndlr). Et il est clair qu’il sera important de comprendre non seulement comment la Chine se comportera, mais aussi ce que fera le rival stratégique qui pourrait s’insérer dans le jeu centrasiatique : l’Inde.

La Turquie, le seul pays de l’OTAN qui semble s’intéresser à l’Afghanistan également pour des intérêts stratégiques purement nationaux, observe également avec attention ce qui se passe à Kaboul. Recep Tayyip Erdogan, qui avait proposé de prendre en charge l’aéroport de la capitale afghane après le retrait des forces occidentales, redoute désormais une vague de réfugiés prêts à franchir la frontière turque après avoir traversé l’Iran. Comme le rapporte l’agence de presse Anadolu, ajoute Lorenzo Vita, le président turc s’est exprimé depuis Istanbul avec son homologue pakistanais, Arif Alvi, pour rappeler l’engagement conjoint d’Ankara et d’Islamabad en faveur de la sécurité en Afghanistan. Un élément à prendre en compte, étant donné que les relations entre les deux pays se sont également renforcées d’un point de vue militaire. Ce n’est pas un hasard si les deux dirigeants se sont rencontrés à Istanbul pour le lancement d’un navire construit dans les arsenaux turcs. Erdogan a également téléphoné au Premier ministre pakistanais, Imran Khan, pour décider des prochaines étapes. Un axe intéressant qui parle aussi chinois, étant donné que le Pakistan a depuis quelque temps renforcé ses liens stratégiques avec Pékin et la Turquie, oscillant constamment entre l’Ouest et l’Est, n’a jamais nié avoir une forte attirance envers les sirènes de l’Est.

Les propos de l’envoyé russe pour l’Afghanistan pèsent également sur la Turquie. Kaboulov, dans une interview à Echo Moskvj, a pointé du doigt précisément les fonds du golfe Persique. Et force est de constater que si la délégation des talibans se trouvait à Doha, au Qatar, la connexion avec les Turcs risque d’être trop facile. L’alliance entre le leader turc et le Qatar est bien connue. Et ces mots sur les talibans « soutenus par certains fonds islamiques, qui sont principalement basés dans la région du golfe Persique » risquent d’être un message russe à toutes les forces impliquées dans la région. Y compris Ankara.

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