Le Liban doit préférer un mandat international à la tutelle iranienne

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(Rome, 04 aout 2021). Le 4 août 2020, une double explosion avait lieu sur le port de Beyrouth, révélant les fragilités intrinsèques du Liban. Selon le directeur de l’Observatoire des pays arabes, qui raconte l’histoire tourmentée du Liban, il faut désormais le protéger des puissances régionales

Dans sa configuration géographique actuelle, le Liban a survécu un siècle à un environnement pour le moins hostile, avant de tomber en ruine et de se déliter. Coincé entre deux voisins impitoyables : Israël et la Syrie, il n’a pas bénéficié d’une réelle protection internationale pour leur résister. Sa faiblesse intrinsèque est due à sa diversité : dix-huit « peuples » cohabitent sur 10.450 km² et tirent souvent leurs forces de leurs parrains respectifs. Au point que le Liban est resté le théâtre de confrontation privilégié entre ses parrains qui aspirent à exercer leur tutelle sur le pays du Cèdre et à le soumettre. La présence et la puissance de ces parrains successifs sont fonction de la fluctuation du rapport de force international.

Si la France mandataire avait proclamé le Grand Liban dans ses frontières actuelles, le 1er septembre 1920, et imprimé sa marque sur la vie institutionnelle, culturelle et sociale du pays, la deuxième guerre mondiale a réduit son influence au Levant. Après l’accès à l’indépendance des pays arabes, le Liban s’est inséré dans le concert régional et, très vite, a été rattrapé par des puissances émergentes qui avaient mobilisé à leur profit des communautés nationales au sein d’une «nation» libanaise peu soudée. Aux multiples ingérences syriennes, a succédé l’hégémonie de Nasser qui a cultivé l’illusion de l’unité arabe. Une mini-guerre avait alors germé en 1958 opposant les Libanais entre eux et leurs parrains respectifs. L’élection du chef de l’armée, Fouad Chehab, à la Présidence de la République avait permis un répit mais sa tentative de créer un État de droit et une méritocratie ne lui a pas survécu.

En effet, une succession de conflits a éclaté à partir de 1969 entre l’OLP d’Arafat et ses adversaires libanais. Tous les pays de la région y ont participé. Le tissu national libanais était largement déchiré au point que le Mufti de la République a décrété en 1976 que l’OLP était l’armée des musulmans libanais, insinuant que l’armée officielle multiconfessionnelle ne les représentait pas.

« L’invasion israélienne de 1982, soutenue par une partie des chrétiens qui souhaitaient démanteler l’État palestinien construit par Arafat au Liban, a permis à l’Etat hébreu de s’imposer à peine un an avant de céder la place au duo syro-iranien. »
Antoine Basbous

L’OLP n’était pas la seule force qui piétinait la souveraineté du Liban. Outre le rôle central d’Israël et de la Syrie, l’Irak, L’Égypte, l’Arabie, la Libye de Kadhafi tiraient les ficelles ou intervenaient directement dans ce conflit qui n’est toujours pas clos. L’invasion israélienne de 1982, soutenue par une partie des chrétiens qui souhaitaient démanteler l’État palestinien construit par Arafat au Liban, a permis à Tel-Aviv de s’imposer à peine un an avant de céder la place au duo syro-iranien.

Ayant tant investi dans la déstabilisation de son voisin et disposant d’une armée au Liban, la Syrie d’Assad prit alors le relais, en association avec la Révolution islamique d’Iran qui venait de triompher en 1979 et rêvait d’exporter sa révolution. L’ayatollah Khomeyni a embrigadé les chiites en les structurant idéologiquement, socialement et militairement. Depuis près d’un demi-siècle, les présidents et les gouvernements libanais successifs étaient imposés par Damas, puis par Téhéran.

L’occupation syrienne directe s’est exercée jusqu’à l’assassinat de Rafic Hariri en février 2005, avant d’être contrainte de se retirer par la communauté internationale sous l’impulsion de Jacques Chirac, un ami du Premier ministre assassiné. Après le départ de l’armée syrienne et la création du Tribunal pénal international pour le Liban, c’est l’Iran qui a pris le relais de la Syrie, trouvant une application concrète à sa vision messianique. Le Hezbollah, qui avait été créé par décret signé de la main de l’ayatollah Khomeyni à Téhéran, a bénéficié d’un immense investissement idéologique et sécuritaire au point de devenir une force armée redoutable en Méditerranée, plus puissante que l’armée du Liban et qui est craint par Israël.

Cette nouvelle version de la colonisation est très sournoise parce qu’elle est hybride et s’appuie sur une faction locale qui a développé une puissance militaire, sécuritaire et politique dont la vocation est de couvrir et légitimer l’ingérence étrangère. Ce nouveau mode d’action s’avère implacable puisqu’il a vidé le pays de ses forces vives, détruit son modèle social et ses spécificités au Levant : il était un pionnier dans l’enseignement, la santé, la culture, les arts. Et c’est le modèle social iranien qui a été imposé à la communauté chiite en accordant la primauté au clergé formaté par la République islamique.

Le secret de cette déchéance se trouve dans la médiocrité d’une classe politique mafieuse soigneusement sélectionnée par le Hezbollah parce qu’elle lui a prêté allégeance.
Antoine Basbous

La force du Hezbollah aujourd’hui tient à sa réussite à créer une coalition transcommunautaire qui lui permet de masquer sa nature intrinsèque d’une organisation militaire aux ordres de l’Iran et en se présentant comme une force de « résistance nationale ». En réalité, le Hezbollah contrôle l’État, ses institutions, ses finances, ses frontières et toute la contrebande des produits subventionnés qui a asséché les devises de ce pays déjà en faillite. Il est le seul décideur de la paix et de la guerre. La devise du Hezbollah est simple : il autorise tous ses obligés à piller le pays – à condition de partager les recettes – et de lui laisser les décisions dans tous les domaines stratégiques.

Avec cette triste réalité, nous comprenons pourquoi et au profit de qui les 2750 tonnes de nitrates d’ammonium ont été acheminées et stockées impunément sur le port de Beyrouth, pourquoi l’enquête des juges d’instruction a été entravée sur l’explosion du port, pourquoi aussi dans ce pays le courant, l’essence, le médicament, une place à l’hôpital, à l’université sont devenus si rares… Le secret de cette déchéance se trouve dans la médiocrité d’une classe politique mafieuse soigneusement sélectionnée par le Hezbollah parce qu’elle lui a prêté allégeance. Le pyromane attend l’heure de la grande chute pour se présenter en pompier et proposer un nouveau régime, taillé sur mesure par les ayatollahs de Téhéran.

C’est pourquoi, tout sauvetage du système de gouvernance actuel du Liban ne peut qu’être synonyme d’une consécration de la mainmise iranienne sur le pays du Cèdre. Pour sauver du naufrage un Liban intrinsèquement fragile, il faudra le soustraire aux appétits de ses voisins proches ou lointains et confier un mandat international, pendant un temps, à un représentant spécial du secrétaire général de l’ONU, épaulé par les experts du FMI et de la BM pour faire renaître le pays de ses cendres. Ils pourront s’appuyer sur les nombreuses compétences intègres que compte ce pays. Il est urgent d’y rétablir les services publics élémentaires alors que la classe politique n’a fait que piller ses ressources.

Sortir du régime prédateur des tutelles successives est la seule issue qui redonnera de l’espoir aux Libanais qui rêvent de stopper leur descente aux enfers. Ils ont besoin d’une vision rayonnante de leur avenir alors que l’Iran et son bras armé ne promettent que du sang et des larmes. Il y va non seulement de la paix dans ce pays mais aussi de la stabilité en Méditerranée.

Par Antoine Basbous. (Le Figaro)