L’Algérie vers un vote avec le spectre de l’avancée islamiste

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(Rome, 10 juin 2021). En Algérie, il est temps de revenir au vote. Cela se fait environ 18 mois, lorsque les électeurs ont choisi Abdelmadjid Tebboune comme nouveau président après l’ère Bouteflika. Désormais, les Algériens sont appelés à choisir les membres du nouveau parlement. Le point commun avec les derniers votes, est le fait que le pays n’a jamais cessé de vivre au milieu des manifestations coordonnées par le mouvement Hirak. Ce sont les mouvements de protestation qui ont surgi en février 2019 contre l’hypothèse de la re-candidature de Bouteflika et qui se poursuivent encore aujourd’hui, notamment parmi les jeunes sections de la société civile. Les élections législatives du 13 juin apparaissent donc très délicates, tant pour le présent que pour l’avenir du pays d’Afrique du Nord.

La possible avancée islamiste

Les prochaines consultations seront caractérisées par au moins deux nouveautés importantes. Tout d’abord, c’est la première fois qu’il y a un vote depuis l’introduction d’une nouvelle constitution, approuvée en novembre dernier. Selon la nouvelle charte fondamentale, le chef du gouvernement doit être choisi parmi les représentants du parti ayant remporté le plus de sièges. Auparavant, c’était le président qui choisissait le nom du premier ministre. Deuxièmement, c’est la première fois que le vote se fait avec le nouveau système électoral approuvé le 11 mars dernier, qui a introduit le mécanisme des listes ouvertes par lequel l’électeur peut exprimer un vote préférentiel pour un candidat spécifique. Les changements introduits lors de ce tour électoral étaient fortement soutenus par le mouvement Hirak, qui réclame depuis plus de deux ans des réformes plus démocratiques. Paradoxalement, cependant, les nouvelles règles constitutionnelles et électorales pourraient isoler ces mêmes manifestants et favoriser d’autres factions, à commencer par les proches des Frères musulmans.

Les regards sont surtout braqués sur le Mouvement de la Société pour la Paix (MSP), principale formation islamiste du pays. C’est un parti à fort ancrage territorial, notamment dans les provinces les plus pauvres, qui peut tirer parti du système de préférences. Pas de véritables sondages, le seul véritable indicateur pour comprendre l’orientation de l’électorat est donné par le nombre de signatures recueillies par les différents partis pour présenter des listes. Le MSP a réussi à en collecter 64.000, contre les 57.200 obtenus par le parti centriste RND (Rassemblement national démocratique) et les 52.400 collectés par le FLN, parti au pouvoir depuis l’indépendance. Ce dernier a été dépassé par El-Binaa, autre parti islamiste capable d’obtenir 55.000 signatures : « Les premiers indicateurs affirment que notre parti est dans la meilleure position pour ces élections », a déclaré le leader du MSP dans un récent entretien à l’«Agence Nova», Abderrezzak Makri. Après le vote, sont nombreux qui s’attendent à un retournement électoral historique : pour la première fois depuis la guerre civile des années 1990, en Algérie il pourrait y avoir une forte progression des partis islamistes.

Hypothèse de gouvernement d’union nationale

L’hypothèse d’une victoire islamiste n’est pas si éloignée que cela, comme le confirment les déclarations du président Tebboune à Al-Jazeera. Ce dernier a parlé d’un islamisme algérien radicalement différent de celui propagé dans les pays voisins : « L’Algérie, lit-on dans ses déclarations, s’est désormais libérée de l’islam politique et idéologique ». Des affirmations qui ont le goût d’une ouverture vers le MSP et d’autres formations proches des Frères musulmans, leur reconnaissant une prétendue diversité d’approche par rapport aux mouvements répandus dans les années 1990 en Algérie et à ceux qui se développent actuellement dans l’ensemble de la région du Moyen-Orient. Une ouverture qui n’a donc pas échappé à beaucoup d’observateurs et peut-être même pas au leader du MSP : « Dans notre vision politique, a dit Makri à «Nova» en fait, nous appelons à la formation d’un gouvernement d’union nationale, quels qu’en soient les résultats, même si nous recueillons 80 pour cent des voix. Nous n’avons pas l’intention de faire cavalier seuls car la situation économique est très dangereuse : un large consensus politique et social est nécessaire pour soutenir le gouvernement ».

Après le vote, quoi qu’il arrive, les islamistes pourraient faire partie du nouveau gouvernement. Un tournant historique trente ans exactement après les élections de 1991, au cours desquelles la victoire électorale des groupes religieux a déclenché la mèche d’un conflit interne sanglant qui a duré plus d’une décennie. Pour Tebboune la menace n’est probablement plus représentée par la vision politique de l’islam, mais par le mouvement Hirak. Et donc l’ouverture vers le MSP doit s’inscrire dans cette perspective.

Mauro Indelicato. (Inside Over)