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Le défi du gaz et la bande de Gaza

(Rome, 20 mai 2021). Le gaz a changé la géopolitique de la Méditerranée orientale. Et dans la guerre entre Israël et la bande de Gaza, cet élément s’est récemment ajouté, ce qui peut changer la perception du conflit à l’échelle régionale. Les attaques entreprises par le Hamas contre les plates-formes israéliennes du champ de Tamar ont envoyé un message clair : le gaz figure également sur la liste des objectifs stratégiques des miliciens palestiniens. Ce n’est pas un hasard si la marine israélienne équipe depuis quelque temps ses corvettes de «dôme de fer» afin de protéger l’espace aérien à proximité des plates-formes offshore évitant le risque d’attaques dévastatrices depuis le large de Gaza. Mais la menace de missiles sur les structures des champs israéliens représente aussi le symptôme d’un problème qui a été très souvent sous-estimé dans la crise entre Israël et Gaza et qui risque au contraire de devenir une interprétation de plus en plus importante.

La confirmation vient de l’invité de marque de cette escalade militaire : la Turquie. Accusée d’être la véritable main derrière ce conflit renouvelé en Terre Sainte, la Turquie, avec Recep Tayyip Erdogan, est devenue le seul défenseur moyen-oriental de la cause palestinienne aux côtés des Iraniens. Un cas aussi curieux d’un point de vue ethnique : les deux seuls Etats à soutenir pleinement les actions palestiniennes ne sont pas les Arabes, mais précisément les Turcs et les Iraniens. En tout cas, ce qui est intéressant à ce stade, c’est un article publié par les médias turcs qui suggère qu’Ankara envisage de proposer un accord sur la division des ZEE à l’Autorité palestinienne sur le modèle de l’accord Turquie-Libye. Un accord désavoué par tous, en particulier la Grèce, mais qui a néanmoins servi à Erdoğan pour «blinder» sa position dans la Méditerranée centrale.

Le problème semble maintenant se répéter avec Gaza. Cihat Yaycı, ancien contre-amiral de la marine turque et l’un des créateurs de « Mavi Vatan/Patrie bleue » avec Cem Gurdeniz, soutient cette initiative. L’amiral, qui est désormais professeur et directeur du Centre des stratégies maritimes et mondiales à l’Université de Bahçeşehir, a déclaré au média « Daily Sabah » que cet accord serait particulièrement bénéfique pour les deux parties et «qu’en signant un tel accord, le peuple palestinien obtiendrait le contrôle d’une superficie de 10.200 kilomètres carrés qui ouvrirait la voie à l’utilisation de l’ensemble des ressources de la mer». Yaycı a ensuite ajouté que la motivation de la Turquie est de «prendre soin des opprimés», donc des Palestiniens. Mais il est clair que ce texte révèle un sens beaucoup plus pragmatique que l’hypothétique défense du faible. Le partage des ZEE est un élément essentiel de la doctrine de la « Patrie Bleue » et, surtout concernant le Levant, un tel accord serait une épine dans le pied pour Israël et Chypre dans le rêve de construire EastMed, le gazoduc qui reliera les champs de l’Etat hébreu à l’Europe en passant par la Grèce.

La confirmation de la vision beaucoup plus pragmatique de Yaycı que la vision «néo-ottomane» redoutée avec la Palestine vient précisément d’un texte du même contre-amiral du Centre Moshe Dayan pour les études moyen-orientales et africaines, dans lequel il était question d’un accord pour la délimitation des ZEE entre Israël et la Turquie. Dans le document de 2020, l’amiral et Zeynep Ceyhan évoquent la possibilité que les deux pays deviennent voisins de la Méditerranée grâce à un accord sur la délimitation des zones économiques exclusives. C’est un signe que la Turquie était déjà largement intéressée par un pacte avec Israël et qu’il confirmait la vision laïque de « Mavi Vatan » de soutenir les causes arabes ou islamiques dont Erdogan est plus proche. Les choses ont changé en Turquie : les arrestations d’anciens amiraux laïques et critiques de certains des choix d’Erdogan ont marqué un tournant dans de nombreuses lignes stratégiques en n’oubliant pas qu’il existe désormais une volonté mal dissimulée d’Ankara de revenir à des relations positives avec l’Egypte. Il est clair que pour avoir des relations positives avec les autres forces de la Méditerranée orientale, ainsi qu’une nouvelle politique moins affirmée, le nœud reste le gaz : ce n’est pas par hasard que la France a présenté une proposition de paix avec l’Égypte et la Jordanie. Le gaz du Levant est tentant mais surtout les relations qui s’établissent grâce à ces nouvelles sources d’énergie sont tentantes. L’exclusion de la Turquie de ce «grand jeu» du gaz levantin a été le véritable interrupteur de la tension de longue date entre Ankara, Athènes et Nicosie. Avec Israël soutenant le bloc pro-hellénique avec les Emirats. Le tout peut être décidé par le gaz.

Lorenzo Vita. (Inside Over)

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