(Rome, 26 avril 2021). La diffusion d’un document audio dans lequel le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif, critique les Gardiens de la Révolution et le général Qassem Soleimani, suscite de nombreuses discussions en Iran et risque d’avoir des conséquences importantes tant au niveau nationale qu’international. L’enregistrement a en effet été divulgué à un moment particulièrement délicat pour l’avenir de l’accord nucléaire et les propos de Zarif risquent d’affaiblir la position iranienne dans les pourparlers actuellement en cours à Vienne.
Le contenu de l’audio
L’enregistrement diffusé par le site d’information en persan, Iran International, basé à Londres, fait partie d’un projet de l’économiste Saeed Leylaz visant à documenter le travail du gouvernement dirigé par Hassan Rohani, dont est membre Zarif lui-même. L’enregistrement, comme souvent indiqué lors de l’interview du ministre, aurait dû rester secret jusqu’aux élections de juin pour éviter de porter atteinte à l’exécutif actuel et au front modéré.
Dans l’interview, Zarif se plaint du peu de liberté dont il jouit dans l’exercice de ses fonctions de ministre des Affaires étrangères, devant constamment se soumettre non seulement aux directives de l’ayatollah Ali Khamenei, mais aussi à celles des gardiens de la révolution. Mais ce qui est plus frappant, ce sont les critiques que Zarif fait à l’encontre de Qassem Soleimani, le général en charge des brigades d’Al-Qods décédé en Irak à la suite d’une attaque de drone ordonnée par le président américain de l’époque Donald Trump en janvier 2020. Le général est une figure particulièrement respectée en Iran, surtout depuis sa mort, et personne n’avait auparavant osé critiquer ses actions.
Plus précisément, Zarif a accusé Soleimani de nuire à l’Iran et d’agir dans son dos, sapant ses efforts pour parvenir à un accord nucléaire avec les États-Unis. Selon le ministre des Affaires étrangères, le général aurait tenté d’exploiter le mécontentement de la Russie pour entraver les négociations et ainsi anéantir un projet toujours détesté par la composante la plus conservatrice de l’Iran. Mais pour Zarif, Soleimani aurait également agi de manière imprudente en Syrie, ayant permis à Moscou d’utiliser l’espace aérien iranien pour mener des raids sur le territoire syrien et ayant utilisé la compagnie aérienne Iran Air pour envoyer des armes et des hommes en Syrie sans en informer au préalable le gouvernement.
Les effets des paroles de Zarif
Après la diffusion de l’audio, nombreux sont ceux qui ont appelé à la démission de Zarif. Des condamnations sont venues non seulement des conservateurs, mais aussi de certains alliés du ministre, qui craignent que ses déclarations n’affaiblissent le front des modérés lors des prochaines élections. Les révélations de Zarif sur une marge de manœuvre limitée accordée aux ministres par l’armée et l’ayatollah, risquent également d’augmenter l’apathie des électeurs, de plus en plus mécontents de la politique.
Mais l’impact le plus redouté est celui de l’international. Affirmant qu’il doit constamment se soumettre aux directives du Pasdaran et de l’Ayatollah, Zarif se présente comme une figure peu pertinente et un interlocuteur peu fiable, certainement incapable de prendre des décisions en toute indépendance. Il semble donc inévitable que ces révélations aient des conséquences sur les pourparlers actuellement en cours à Vienne, fortement souhaités par Zarif et Rohani pour ramener l’Iran et les Etats-Unis à la table des négociations sur le dossier du nucléaire. Le président et le ministre ont dépensé de gros efforts ces dernières années pour parvenir à un accord avec Washington et la sortie de Donald Trump du JCPOA avait miné son prestige dans son pays. Le contenu de l’audio réduit cependant le poids de la délégation iranienne actuellement engagée dans les pourparlers et profite aux détracteurs de l’accord et au retour aux négociations.
L’interview, entre autres, a été divulguée peu de temps après l’annonce par le négociateur en chef iranien Abbas Araghchi de la conclusion d’un accord initial avec les États-Unis pour l’annulation de certaines sanctions. Un timing intéressant qui conduit inévitablement à s’interroger sur l’origine de la fuite réalisée via un site généralement considéré comme proche de l’Arabie saoudite. Une hypothèse est que les conservateurs ont transmis l’audio à la presse dans le double objectif d’affaiblir le front modéré et de saper les discussions en cours sur l’énergie nucléaire. Mais l’échec des négociations feraient également le jeu d’autres acteurs de la région, notamment Israël et l’Arabie saoudite: le fait que l’audio ait été diffusé par un portail considéré comme proche des Saoudiens devient alors un détail pertinent pour identifier la source de la fuite. Une dernière hypothèse rapportée par le «Guardian» voit Zarif lui-même derrière la diffusion de son interview: le ministre aurait passé son propre audio à «Iran International» afin de rendre les autres responsables de l’éventuel échec des négociations.
Au-delà de l’origine de la fuite, il sera important d’examiner quels seront les effets concrets des propos de Zarif sur le plan intérieur et dans quelle mesure ils affecteront le succès des pourparlers en cours à Vienne.
Futura D’Aprile. (Inside Over)