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Pourquoi nous ne devons pas oublier le Liban. Écrit Emanuela Del Re

(Rome, 30 mars 2021). Le Liban reste au centre de nos politiques comme il le mérite, en l’aidant à développer un véritable système de gouvernance, digne d’un pays central tel qu’il est. J’espère que des programmes intégrés seront créés pour aider la société civile à développer ses stratégies qui se sont déjà révélées extrêmement incisives dans la construction de la stabilité. Le commentaire d’Emanuela Del Re, ancienne vice-ministre des Affaires étrangères

Au milieu de la pandémie, le Liban se prépare à célébrer les fêtes de Pâques chrétienne et l’Aïd Al Fitr en avril. Le verrouillage (confinement) sera imposé comme une mesure pour lutter contre la propagation de Covid-19. Ce ne sera pas une période de vacances facile pour une population qui se remet encore des effets dévastateurs de l’explosion (du port) à Beyrouth et qui est toujours accablée par de graves problèmes économiques et sociaux.

La reconstruction est également lente car malgré l’aide internationale, l’économie est mise à genoux. La question de la non-attribution de la responsabilité de l’incident exaspère le climat social avec des accusations contre le gouvernement et la justice de manque de transparence. Je me suis rendu au Liban en ma qualité de vice-ministre à l’époque, pour apporter de l’aide quelques jours après l’explosion, et j’ai pu constater de mes propres yeux la dévastation, devenue hautement symbolique et objective dans une situation déjà complexe.

Symbolique parce que cela a accru le sentiment de perplexité des Libanais. S’adressant à de nombreux représentants de la société civile libanaise toujours dynamique, animée par un grand élan – dont certains que je connais depuis des années -, il est apparu que l’avenir et le présent des jeunes sont apparus comme une question récurrente. Le pays a vu 10 pour cent de sa population partir l’année dernière, et beaucoup d’autres partiront en raison de la paralysie politique et de l’effondrement de l’économie. Et pour ceux qui restent ? La situation est grave, disent ceux qui travaillent dans les communautés, car la crise corrode les valeurs de la société et détruit lentement les structures sociales. Ils demandent l’aide des pays amis pour l’éducation à la citoyenneté, pour la gouvernance.

Je suis convaincu, sur la base de mes observations dans le pays au fil des ans, que la société libanaise, qui a toujours été stigmatisée comme étant divisée sur la base d’appartenance religieuse, a effectivement réagi de manière saine, opérant des formes de réconciliation spontanée entre les peuples et les communautés. Mais la population ne ressent pas le confort de la compréhension et du soutien des élites et du gouvernement dont les décisions, et les actions stagnent, et cela ne permet pas d’achever le processus, encore bien nécessaire, de réconciliation entre toutes les parties au niveau national. L’exode est le symptôme d’un malaise qui ne peut passer inaperçu.

Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Ives Le Drian, lance des appels pour le Liban avec emphase. A la veille du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’UE du 22 mars dernier auquel le ministre Luigi Di Maio a participé, il a répété que l’Europe doit agir d’urgence car le Liban s’effondre. Le 4 février, Le Drian, avec Blinken, secrétaire d’État américain, a publié une déclaration commune six mois après l’explosion du port de Beyrouth. Dans la déclaration, il est fait référence aux mesures prises avec les Nations Unies, la société civile et les partenaires pour faire face à l’urgence. La France et les États-Unis demandent au système judiciaire libanais que les enquêtes sur les causes et les responsabilités de l’explosion aboutissent rapidement, de manière transparente et sans ingérence politique. Ils insistent sur la nécessité de réformes en phase avec les aspirations du peuple libanais.

Les États-Unis, comme l’a déclaré le Département d’État lui-même, sont un partenaire principal du Liban dans le domaine de la sécurité (ils ont fourni deux milliards de dollars américains depuis 2006 aux Forces armées libanaises). Toujours en termes d’aide humanitaire, les États-Unis ont soutenu le pays avec plus de deux milliards de dollars, notamment depuis le début de la crise syrienne qui a vu le pays devenir une destination pour les réfugiés qui sont aujourd’hui plus de 1,5 million. Le lien entre la France et le pays des cèdres est à la fois historique et économique, mais aussi culturel (il suffit de penser à l’importance de la diaspora libanaise en France, composée d’environ 210.000 personnes). Pour la France, le pays est stratégique au Moyen-Orient d’un point de vue politique car il a toujours été considéré comme un modèle de démocratie plurielle et stable dans la région avec une société multiethnique et multi-religieuse dont la représentation est garantie par un pouvoir-système de partage. Un système qui, cependant, s’est avéré imparfait. De nombreuses analyses montrent que cette forme de consociativisme politique (démocratie de concordance, ndlr) a fragilisé l’État, avec pour conséquence des formes de sectarisme, d’instabilité institutionnelle, de favoritisme et un mécontentement général de la population. Malgré ses faiblesses, le Liban reste le pays démocratique le plus stable du Moyen-Orient. Il y a une forte conscience de la nécessité d’aider le Liban.

Le Liban occupe le troisième rang mondial pour son ratio dette/PIB très élevé, avec des conséquences graves telles que l’obligation de payer des taux d’intérêt élevés. Les manifestations contre ce que le gouvernement -défini comme corrompu- se répètent depuis 2019. Aujourd’hui, les Libanais protestent également contre les nouvelles taxes, alors que des boulangeries ferment. Après l’explosion, un changement de gouvernement a eu lieu mais il doit s’accompagner d’un changement de rythme, à commencer par les réformes économiques, qui devraient se concentrer sur les finances publiques et la solidité du système financier. De nombreux analystes soutiennent que si la question financière n’est pas résolue, le pays peut ne pas renaître : il faut assurer la solvabilité financière, développer une nouvelle fiscalité, limiter les sorties de capitaux et en même temps attirer les investissements directs étrangers (IDE). A ne pas oublier l’importante question des entreprises publiques en perte constante et la nécessité de créer des filets de sécurité sociale. Le problème réside également dans la crédibilité des banques, car il est essentiel que les bailleurs de fonds puissent s’appuyer sur des structures fiables pour le décaissement des fonds.

Dans ce contexte, la bonne nouvelle est que le pays peut compter sur de bons amis, et pas seulement sur la France et les États-Unis. Lorsqu’Emmanuel Macron a organisé la conférence des donateurs au lendemain de l’explosion d’août 2020, les partenaires ont répondu en faisant un don de 250 millions d’euros. L’Italie, dont l’ambassade à Beyrouth est une représentation très active tant en termes d’aide que de notre rôle dans le pays, a insisté pour que l’aide bénéficie directement à la population libanaise. Outre les interventions fondamentales de la coopération au développement, les initiatives du ministère de la Défense et les initiatives de protection des sites culturels, les missions de sécurité des Forces de la FINUL – fondamentale pour la stabilité dans la région – et la collaboration avec les forces armées libanaises se poursuivent. Outre moi, immédiatement après l’explosion, le ministre de la Défense Lorenzo Guerini et le Premier ministre Giuseppe Conte se sont également rendus dans le pays.

La volonté est là, de la part de beaucoup, mais nous avons de sérieux obstacles, y compris le fait que le Hezbollah continue d’être un acteur difficile dans le paysage politique libanais, suscitant des attitudes différentes même parmi les États membres de l’UE.

Pâques et l’Aïd Al Fitr seront célébrés dans un contexte de tension sociale et politique, raison pour laquelle de nombreux représentants de la société civile m’ont demandé de l’aider à la formation des nouvelles générations de chefs religieux qui ont un rôle fondamental, au dialogue et à la tolérance.

Dans les conclusions du dernier Conseil des ministres des affaires étrangères de l’UE, tenu en mars, le Liban est mentionné avec la Turquie et la Jordanie, appelant la Commission à présenter une proposition au Conseil de continuer à fournir des fonds aux réfugiés syriens dans ces pays et dans d’autres parties de la région.

Il est évident qu’un plan articulé doit être élaboré pour apporter des réponses structurelles à la fragilité du pays. Certaines formes d’«urgence» deviennent un facteur constant et ne sont donc plus une urgence mais un problème intrinsèque. J’espère que des programmes intégrés seront créés pour aider la société civile libanaise à développer ses stratégies qui se sont déjà révélées extrêmement incisives dans la construction de la stabilité, et que le Liban restera au centre de nos politiques comme il le mérite, en l’aidant à développer un véritable système de gouvernance, digne d’un pays central comme le Liban.

Emanuela Del Re. (Formiche)

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