Les espoirs d’un dénouement de la crise sans fin au Liban ont encore une fois été douchés lundi, le Premier ministre désigné Saad Hariri et le président Michel Aoun ont échoué à se mettre d’accord sur la formation d’un nouveau gouvernement après des mois de blocage dans un pays en proie à un effondrement économique. Dépréciation de la livre libanaise, explosion de la pauvreté et du chômage: tous les indicateurs ont viré au rouge vif dans un Liban où l’érosion du pouvoir d’achat et la précarisation ne cessent d’alimenter la colère de la population, avec des manifestations et des blocages sporadiques de routes.
Sous le regard affligé de la communauté internationale, la classe politique, accusée de corruption et d’avoir laissé couler le pays, semble toujours imperméable à l’urgence et déconnectée de la réalité, poussant le chef de la diplomatie française Jean-Yves le Drian à réclamer des « leviers » à l’Union européenne afin de « faire pression » sur les responsables libanais.
La réunion lundi entre M. Hariri et M. Aoun a également viré aux accusations acerbes et publiques entre les deux hommes, faisant craindre une impasse totale. Aucune nouvelle date de réunion n’a été annoncée.
Dans une allocution télévisée enflammée depuis le palais présidentiel, M. Hariri a ainsi violemment pris à parti M. Aoun à l’issue d’une brève rencontre avec lui, lui reprochant d’entraver la formation du gouvernement en insistant sur une « minorité de blocage » au sein de la prochaine équipe ministérielle et en cherchant à imposer une répartition « confessionnelle et partisane » des portefeuilles.
« Le travail du Premier ministre désigné n’est pas de remplir des papiers (…) et ce n’est pas au président de la République de former un gouvernement », a lancé frontalement M. Hariri lors d’une conférence de presse.
Le qualifiant d’«unique et dernière chance pour le pays», il a réitéré son attachement à un gouvernement de technocrates, réclamé à l’international « chargé de lancer des réformes et de stopper l’effondrement » et de débloquer une aide étrangère substantielle.
La mine grave, le ton saccadé, M. Hariri a assuré avoir soumis au président Aoun une « ébauche » de gouvernement « depuis 100 jours », avant de la dévoiler à la presse, les noms de ministres à l’appui.
La présidence de la République a aussitôt démenti dans un communiqué toute velléité de « minorité de blocage » et exprimé son « étonnement » quant aux « propos » et au ton de M. Hariri.
Trois fois Premier ministre, Saad Hariri, a été chargé fin octobre –un an après sa chute sous la pression de la rue –de former un nouveau gouvernement.
Mais cinq mois plus tard, les partis restent absorbés par leurs habituels marchandages dans un pays multiconfessionnel mis en coupes réglées par les barons des diverses communautés.
« Aucun espoir »
Le gouvernement actuel, chargé des affaires courantes, a démissionné en août après l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth (plus de 200 morts, des milliers de blessés), un coup de grâce pour une population déjà mise à genoux.
Si M. Hariri reste intraitable au sujet d’un gouvernement de spécialistes, auquel Paris est favorable, c’est notamment pour relancer les négociations avec le Fonds monétaire international, et « restaurer la confiance de la communauté internationale ».
Mais le chef de l’influent mouvement chiite du Hezbollah, Hassan Nasrallah, allié du président Aoun, l’a appelé jeudi à revoir sa formule.
« Un gouvernement de technocrates qui ne serait pas protégé par les forces politiques ne pourra ni sauver le pays ni prendre des décisions » majeures, a plaidé M. Nasrallah.
« Faire pression »
Le Premier ministre désigné avait déjà rencontré M. Aoun jeudi après une énième poussée de fièvre. Le président lui a lancé un ultimatum, l’enjoignant de former « immédiatement » un gouvernement ou de rendre son tablier.
La crise économique s’accompagne d’une forte dépréciation sur le marché noir de la monnaie nationale — ayant atteint la semaine dernière un nouveau pic historique à 15.000 livres pour un dollar avant de baisser.
Le taux officiel reste de 1.507 livres pour un dollar.
Les injonctions de la communauté internationale n’ont pas réussi à sortir de sa torpeur une classe politique qui a déjà survécu à l’automne 2019 à un soulèvement populaire inédit fustigeant la « corruption » et l’«incompétence» des dirigeants.
Revenant lundi à la charge, le chef de la diplomatie française a appelé depuis Bruxelles ses homologues de l’UE à actionner « les leviers qui nous permettraient de faire pression auprès des autorités libanaises, pour qu’elles bougent ».
Une source diplomatique française avait récemment estimé qu’Européens et Américains devaient accroître les « pressions », brandissant même la menace de « sanctions ». (Le Point)