Pêcheurs kidnappés en Libye: «voilà pourquoi l’Italie ne peut pas intervenir»

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(Rome 13 décembre 2020). L’Italie a 18 marins détenus en Libye depuis 100 jours. Dans les prisons de Cyrénaïque, dans les mains du général Khalifa Haftar et de son armée, les pêcheurs des bateaux «l’Antarctique et la Médinée» attendent de connaître leur sort, ainsi que leurs familles qui espèrent passer un Noël avec leurs proches, détenus officiellement pour pêche illégale par les forces de Benghazi.

Le temps est cependant, inexorablement court. Et pour l’instant, après cent jours de détention, le tournant ne semble pas proche. Ces derniers jours, nous avons assisté à une libération rapide comme l’éclair d’un cargo battant pavillon jamaïcain, mais lié à la Turquie, saisi à Derna par les milices du général libyen. En cinq jours, le navire a repris la mer avec la libération des sept marins turcs capturés à bord du navire «Mabouka». Le discours de Recep Tayyip Erdogan, qui a également menacé de représailles de nature militaire contre la Cyrénaïque, a certainement fait la différence. De même que les canaux diplomatiques activés avec Moscou, ont été témoins de la libération simultanée de deux de ses hommes prisonniers à Tripoli. Un échange qui a évidemment servi les deux puissances impliquées dans la tourmente libyenne.

La fin rapide de la saisie de la cargaison turque a relancé le débat également pour les pêcheurs italiens. Est-il possible que si Erdogan prend cinq jours, le gouvernement italien soit incapable de libérer les siens après plus de trois mois ? Une question qui commence à circuler avec insistance non seulement dans la marine de Mazara del Vallo (la ville italienne de la province de Trapani en Sicile, dont les marins sont originaires, ndlr), aussi dans l’opinion publique italienne et en particulier jusqu’aux centres de commandement. L’impression est qu’il faut faire quelque chose: parce que ce qui se passe à Benghazi risque d’être un précédent retentissant pour notre diplomatie en Méditerranée. Et l’Italie ne peut certainement pas rester inerte.

Le problème, cependant, est de comprendre à quel niveau intervenir. L’appel sincère de l’évêque de Mazara del Vallo, Monseigneur Domenico Mogavero, a ravivé les projecteurs sur la possibilité d’appeler les forces spéciales. Un véritable raid pour libérer les pêcheurs, sur lequel Mario Arpino est également revenu, qui dans les colonnes de «La Nazione» a expliqué comment l’Italie serait parfaitement capable de libérer les prisonniers grâce à l’utilisation de ses propres hommes des forces choisies. Intervention qui de toute façon, selon lui, ne serait pas souhaitable en raison de la situation juridique délicate dans laquelle se trouvent les marins de Mazara. Un sujet d’une importance fondamentale, bien sûr, mais qui ne traite pas d’une réalité qui pourrait aussi être beaucoup plus compliquée qu’on pourrait le croire.

Une source de haut niveau, qui a préféré garder l’anonymat, a déclaré à «InsideOver» que l’idée d’une action en Libye pour libérer les détenus serait très compliquée à la fois d’un point de vue politique et, en particulier, d’un point de vue militaire. Du premier point de vue, notre source a tenu à rappeler qu’en Italie, il y a une absence totale de volonté politique d’autoriser une telle intervention, car il n’a jamais été à nous de mener de telles actions. Il y a donc d’abord un problème de décision. Deuxièmement, il y a un profil technique, de la mise en œuvre des opérations, sur lequel l’Italie – explique la source – ne peut être définie comme complètement préparée. Bien qu’il existe clairement des départements nés et préparés à cet effet, à commencer par les «Goi» (Groupe opérationnel Incursori, spécialement formés, appartenant généralement aux Forces spéciales, ndlr).

«Pour mener à bien une opération de ce type, il faut non seulement des hommes, mais aussi des véhicules, et en particulier des hélicoptères. Un important déploiement aéro-naval est nécessaire pour soutenir cette incursion en territoire ennemi », rappelle la source, qui explique ensuite ce qui se passe dans ces situations : « Pour libérer les otages, il faut tout d’abord isoler et sécuriser une très grande zone dans laquelle on suppose que les prisonniers doivent être libérées ». «Une fois la zone identifiée, poursuit-il, trois types d’hélicoptères sont nécessaires avec des tâches très distinctes. Des hélicoptères de combat sont nécessaires pour «nettoyer» la zone, en particulier pour toucher des cibles lourdes. Puis des hélicoptères pour «sniper» avec des tireurs d’élite capables de frapper le bâtiment où les gens sont retenus. Enfin, d’autres types d’hélicoptères de transport sont nécessaires pour amener les unités des forces spéciales chargées d’entrer dans la «forteresse» ». En bref, une opération très complexe.

L’Italie aurait-elle les capacités ? «En partie, explique la source à « InsideOver », mais il y a très peu d’hommes avec la formation appropriée à cet effet. Le Goi de la Marine, serait le plus approprié, avec le « Nono Col Moschin » (Régiment d’assaut des parachutistes, ndlr) mais les moyens et surtout, comme déjà mentionné, la volonté politique font défaut ». Quel est à ce stade le vrai problème à résoudre : le gouvernement n’approuverait pas les opérations des forces spéciales, comme ce fut le cas au paravent.

Il semble difficile pour l’Italie de pouvoir se permettre une telle action en toute liberté, car il s’agit d’un territoire étranger mais avec lequel on n’est pas en guerre. Les pêcheurs sont des prisonniers, bien sûr, mais ils ne sont pas les otages d’une organisation terroriste. Ils sont entre les mains de Haftar, qui, il faut le rappeler, a été reçu avec tous les honneurs au Palazzo Chigi (le siège de la présidence du Conseil des ministres) jusqu’à il y a quelques mois et était considéré comme un interlocuteur de haut niveau pour la stabilisation de la Libye. Et d’un point de vue diplomatique, l’Italie a pour le moment très peu d’armes pour riposter contre l’homme fort de Benghazi, car personne n’est trop intéressé à aider le gouvernement dans cette négociation.

On pourrait frapper aux portes de Moscou qui représente l’assurance-vie du maréchal libyen. Mais ce que le Kremlin pourrait exiger en retour n’est pas clair. On l’a vu avec le navire turc: la libération a eu lieu, et en même temps deux hommes présumés proches du groupe Wagner arrêtés à Tripoli ont été libérés. Il y aurait Ankara, avec laquelle l’Italie «partage» la Tripolitaine, mais son implication dans une opération de ce type doit être exclue. Les autres puissances ne semblent pas si intéressées, pour le moment, par le scénario libyen.

Tout cela ne fait que geler l’action du gouvernement déjà pas très dynamique. Et il ne reste plus qu’à négocier. Et ce que veut Haftar : négocier un échange des prétendus « footballeurs » arrêtés par les forces de police italiennes, qu’ils soient de retour en Cyrénaïque. Dans les prochains jours, le (probable) procès des pêcheurs devant le tribunal militaire de Benghazi pourrait être un tournant décisif.

Lorenzo Vita. (Inside Over)