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France: pour le Général Pierre de Villiers, «à Nice, ce n’est pas un simple assassinat mais un acte de guerre»

(Rome 30 octobre 2020). Dans un entretien fleuve à « L’Express », l’ancien chef d’état-major des armées livre sa vision et ses critiques sur la gestion des crises que nous traversons, quelques heures après l’attentat de Nice.

Il a connu les opérations extérieures d’un pays en guerre, les crises, et le sommet de l’Etat. Après quarante-trois années de carrière militaire, l’ancien chef d’état-major des armées parcourt désormais la France pour la promotion de ses livres. Nous l’avons rencontré ce jeudi 29 octobre 2020, dans un café du XVe arrondissement de Paris. Quelques heures après l’annonce d’un attentat à Nice qui a coûté la vie à trois personnes, à l’intérieur et aux alentours de la basilique Notre-Dame de l’Assomption. Pendant plus d’une heure, le chef d’état-major des armées est revenu avec calme et franchise sur les différentes crises que traverse le pays, sécuritaire bien sûr, mais aussi sanitaire et sociale. « Aujourd’hui, l’Etat montre ses limites. On court après le virus depuis le mois de février. On court après l’islam radical depuis les attentats de 2015 », regrette-t-il. A 64 ans, l’auteur de L’équilibre est un courage. Réparer la France (Fayard, 2020) livre à L’Express un regard inquiet sur son pays, et critique sur sa gouvernance.

L’Express : Nous avons appris il y a quelques heures l’existence d’un nouvel attentat, à Nice ce jeudi matin. Une attaque à l’arme blanche à la basilique Notre-Dame, faisant trois morts et plusieurs blessés. Quelle est votre réaction ?

Général Pierre de Villiers : Trop c’est trop, ça suffit. On ne peut pas dire qu’on ne savait pas. Je l’ai notamment écrit dans chacun de mes livres depuis trois ans. La menace terroriste islamiste ne s’arrêtera pas. Cette idéologie vise à transformer nos sociétés occidentales en imposant un nouveau modèle fondé sur la charia. Elle érige la barbarie non pas comme un moyen, mais comme une fin. J’ai connu en opérations extérieures ces modes d’actions : décapitations, viols, pendaisons, égorgements. Ce sont leurs méthodes. On nous a dit : ils ne passeront pas. Mais ils sont déjà sur notre sol ! Il est temps de passer des paroles à l’action.

Concrètement, que faut-il faire ?

Il faut d’abord cesser le politiquement correct, cette forme d’omerta et de naïveté, où l’on confond l’humanité et la fermeté. Il faut revenir à un équilibre. Concernant la fermeté, sachant que notre seul véritable ennemi sur notre sol est l’islam radical, il faut que l’Etat de droit soit adapté à la guerre que nous vivons. Le droit est un moyen, pas une fin. Le droit est un serviteur, pas un maître. Le premier devoir de l’Etat de droit, c’est de protéger les citoyens, d’assurer leur sécurité et les conditions de leur bonheur. Ce n’est pas un exercice de style. L’Etat est au service de la Nation et non l’inverse.

Vous insistez sur la nécessité de réconcilier une France fragmentée. Vous citez deux ingrédients : le retour de l’ordre et l’amour de l’autre. En un mois, la France vient de connaître trois attaques terroristes. N’est-ce pas trop tard pour réconcilier le pays ?

C’est encore possible, mais il y a urgence. Je l’ai dit après la décapitation de Samuel Paty, je le redis aujourd’hui après ces événements atroces. Cette attaque contre notre Nation est préméditée. C’est une attaque contre notre civilisation, dans une église, contre des innocents venus prier. Arrêtons de nous cacher derrière notre petit doigt : quand on repousse l’échéance de la force, la violence triomphe généralement. L’ancien militaire que je suis l’a vécu dans sa chair à plusieurs reprises.

Élisabeth Badinter confiait à L’Express, après la décapitation de Samuel Paty, qu’il fallait conduire « une guerre » contre le terrorisme, que les choses ne pouvaient plus se régler dans le pacifisme. Vous êtes l’ancien chef d’état-major des armées. Devons-nous mener « la guerre » ?

Bien sûr. La période que nous vivons est un tournant. Beaucoup de gens croyaient au pacifisme, à l’angélisme, que nous étions dans un « nouveau monde ». Nous sommes en guerre contre l’islamisme radical. Ces gens-là ne s’arrêteront pas. Notre action doit être forte, résolue dans la durée et pas seulement symbolique.

« Je ne comprends pas qu’on reste dans la déclaration et qu’on ne passe pas à l’action »

Je ne comprends pas qu’on puisse confiner un peuple entier face à un virus et qu’on ne soit pas capable de fermer une mosquée radicale! Je ne comprends pas qu’on restreigne la liberté de nos citoyens pour faire face à la crise sanitaire et qu’on ne soit pas capable d’expulser un imam qui prêche tous les vendredis, depuis des années, la haine de la France! Je ne comprends pas qu’on ne puisse pas mieux organiser l’islam, et notamment la formation des imams! Je ne comprends pas que notre politique étrangère ne soit pas mise en cohérence avec ce que nous vivons aujourd’hui. L’islamisme se développe dans le monde entier! Par exemple, la Turquie est toujours membre de l’Otan et les négociations pour son entrée dans l’Europe ne sont toujours pas arrêtées. Je ne comprends pas qu’on ne régule pas ces flux migratoires, alors qu’on sait qu’ils ne vont cesser d’augmenter par simple effet de mécanique démographique! Nous ne sommes pas capables d’accueillir toute la misère du monde : c’est l’honneur de la France d’accueillir des réfugiés politiques, mais c’est aussi l’honneur de notre pays d’intégrer dignement des personnes qui arrivent chez nous. Je ne comprends pas qu’on fasse une confiance aveugle à l’Europe pour contrôler les frontières extérieures. Bref, je ne comprends pas qu’on reste dans la déclaration et qu’on ne passe pas à l’action. C’est simplement du bon sens. L’art de gouverner, c’est anticiper.

En tant que catholique, cette attaque vous touche-t-elle dans votre foi ?

Bien sûr. Une décapitation dans une église, un égorgement, c’est une étape supplémentaire après ce qui s’est passé avec le père Hamel à Saint-Étienne-du-Rouvray en 2016. On attaque le catholicisme, le ciment de notre civilisation. En l’espace de quinze jours, deux institutions sont visées : l’éducation nationale avec Samuel Paty et l’Eglise catholique. On veut détruire les fondements de notre pays. Ce ne sont pas de simples assassinats mais de véritables actes de guerre.

Dans votre livre, vous mettez aussi en garde contre le danger de tout mélanger. Est-ce raisonnable de lier le débat sur le terrorisme au débat sur l’immigration ?

La majorité des terroristes qui nous frappent, comme la majorité des fichés S, ont le même profil. Arrêtons de nous voiler la face. Quand je vais dans les cités, je passe mes journées avec des jeunes issus des minorités visibles, qui pour l’essentiel sont Français et nés en France. Je pense qu’on ne s’en occupe pas assez d’eux, qu’on manque parfois d’humanité à leur égard. Mais je sais aussi que depuis les attentats de 2015, ceux qui nous frappent sont pour majorité des étrangers qui viennent chez nous, décidés à haïr la France. Ça suffit.

Le conseil constitutionnel est-il devenu un organe d’une autre époque ? Autrement dit, les circonstances exceptionnelles, sanitaires et terroristes, justifient-elles qu’on s’affranchisse du droit ? 

J’ai été dix ans au cœur de l’Etat français. Je pense que notre Etat de droit aujourd’hui n’est plus adapté à la période que nous vivons. Nous devons être beaucoup plus réactifs.

Percevez-vous le danger d’un tel raisonnement ? Est-ce bien raisonnable d’affaiblir l’Etat de droit rationnel, celui des droits de l’Homme et des Lumières ?

Nous ne sommes plus en paix. Nous sommes en guerre contre ces gens qui nous décapitent. Il faut en prendre conscience. C’est précisément parce que nous avons conservé une forme de naïveté face à ceux qui ne s’arrêteront pas que nous sommes en train de perdre cette guerre. Si l’Etat n’est pas capable de faire face à cette situation, ce sont les citoyens français qui le feront à sa place, comme cela se produit à chaque période de l’Histoire, quand ils se font justice eux-mêmes. C’est ça le plus grand risque.

« Je ne vois pas de stratégie, ni dans la lutte contre le virus, ni dans celle contre le terrorisme. »

Quelle est à vos yeux la responsabilité d’Emmanuel Macron dans cette situation ?

Je pense que nous sommes dans un processus de dégradation du rôle de l’Etat depuis les années 70. Ces dernières années, nous manquons de capacité d’anticipation. Premièrement, la confiance s’est érodée. Je ne vois pas de stratégie, ni dans la lutte contre le virus, ni dans celle contre le terrorisme. Or, la confiance est le carburant de l’autorité, qui elle aussi s’est dégradée. Enfin, nous manquons d’espérance. Les méthodes de communication du gouvernement aujourd’hui sont très anxiogènes. La confiance est pourtant primordiale : plus la crise est grave et plus on doit rester calme, serein, déterminé. Un chef, c’est celui qui absorbe les inquiétudes et diffuse la confiance.

Vous étiez à Matignon pendant le virus de la grippe H1N1, en Afrique pendant Ebola… Hier soir, Emmanuel Macron a annoncé un second confinement pour limiter le nombre de nouvelles contaminations au Covid 19. Est-ce un échec ?

Il s’agit clairement d’un échec. Le 14 juillet dernier, le président de la République avait annoncé qu’il n’y aurait pas de deuxième confinement et que nous serions prêts pour la deuxième vague. Il y a neuf jours, le couvre-feu était annoncé : il devait produire ses effets au bout de deux semaines, nous ne les avons même pas vus. Quand on mène une guerre, il faut un raisonnement tactique. Que voulez-vous que je vous dise, il y a une erreur de calcul ! Je suis quelqu’un de discipliné, mais ma confiance a été singulièrement entamée par l’affaire des masques, des tests…

Dans votre livre, vous écrivez : « Un chef stratège doit toujours avoir un coup d’avance ». Quel serait le coup d’avance à jouer contre l’épidémie du Covid 19 aujourd’hui ?

Il faut anticiper la sortie de crise sanitaire. Nous finirons par en sortir, probablement quand il y aura un vaccin. Comment peut-on encourager les Français ? Que ferons-nous pour relancer l’économie, gérer la crise sociale ? Nous avons besoin de cette lumière au bout du tunnel. Aujourd’hui, l’Etat montre ses limites. On n’a plus de capacité d’anticipation, plus de vision. On court après le virus depuis le mois de février dernier. Comme on court après l’islam radical depuis les attentats de 2015.

Vous parlez d’espérance dans votre livre. C’est peut-être plus facile pour un catholique, mais comment fait-on pour y croire encore, qui plus est quand on n’a pas la foi ?

Je pense que la France est un grand pays et je crois au génie français. Notre pays est capable de se relever. Dans mes rencontres, dans tous les milieux, je vois des pépites d’espérance. Nos entreprises tiennent avec malgré plus de 50% de prélèvements obligatoires ! Le système de santé tient par la qualité des hommes et des femmes qui travaillent sans relâche depuis neuf mois ! J’ai rencontré des héros français dans l’armée. Et dans les cités, il y a également des associations, des animateurs culturels, qui à leurs manières sont des héros ! Maintenant, il faut arrêter de parler à l’intelligence : il faut parler au cœur, aux tripes.

Vous ne trouvez pas ça dangereux dans une démocratie, de parler au cœur plutôt qu’au cerveau ? A la passion plutôt qu’à la raison ?

La passion doit être contrôlée, mais trop d’intelligence nuit à l’intelligence. La passion, l’enthousiasme, font de grandes choses ! Il faut un équilibre entre les deux.

En conclusion de votre livre, vous écrivez au sujet d’une hypothétique ambition politique, voire présidentielle : « Toutes celles ou tous ceux qui voudraient me prêter une quelconque intention cachée se trompent. » Pourtant, votre livre pourrait tout à fait être une ébauche de programme présidentiel. Vous en êtes conscient ?

C’est un livre politique au sens de l’organisation de la cité, mais ce n’est pas un livre programmatique. Je trace les grandes lignes de réparation de la France. Ce n’est pas un marchepied. Je cherche à être utile à mon pays, à le servir autrement et à inspirer tous ceux qui ont une charge. En période de crise, on écoute davantage ceux qui ne l’étaient pas auparavant. On cherche à revenir aux fondamentaux. Mauriac disait : « Ecrire, c’est déjà agir ».

Par (L’Express)

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