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Contrôlé par le Hezbollah, le Liban accélère la normalisation avec la Syrie au risque de se retrouver en quarantaine. La révolution doit se poursuivre

Rome, le 27 février 2020 (16h05 GMT) Depuis le retrait syrien du Liban, en avril 2005, après l’assassinat de Rafic Hariri et la révolte des Libanais, le régime syrien et ses agents libanais n’ont jamais cessé leurs tentatives de retourner la situation en leur faveur. Aujourd’hui, ils pensent avoir les coudées libres pour normaliser avec Damas et réhabiliter Bachar Al-Assad.

Le Baath syrien n’a jamais cessé de rêver d’annexer le Liban

Après son départ en 2005, l’occupation syrienne a confié les soins de détruire ce qui restait du Liban à ses agents locaux, afin de pouvoir y revenir dès que la situation le leur permettait. Le Hezbollah avait alors fait son entrée au gouvernement pour la première fois depuis sa création. En février 2006, il a signé son accord stratégique avec le général Michel Aoun pour bénéficier d’une couverture chrétienne et empêcher toute tentative de désarmement, avant de provoquer une guerre destructrice avec Israël (juillet-août 2006). A la sortie de la guerre, le Parti de Hassan Nasrallah et le Courant Patriotique Libre (CPL) du général Aoun ont bloqué Beyrouth pour entraver la création du Tribunal spécial pour le Liban (TSL), puis ils ont réalisé leur razzia de Beyrouth et de la Montagne en mai 2008. Ils ont ensuite dressé des lignes rouges devant l’armée pour défendre le camp de Nahr el-Bared, où s’était réfugié Chaker el-Absi, un palestinien commandité par Damas à la tête d’un groupuscule islamiste (Fatah Al-Islam) envoyé pour déstabiliser le Liban et justifier une intervention syrienne au nom de la lutte contre le terrorisme.

Le rôle du CPL et du Hezbollah

A ces événements ont succédé le renversement du gouvernement Hariri par la démission des ministres du Hezbollah et du CPL (janvier 2011), la formation du cabinet de Najib Mikati, l’associé en affaire de Bachar Al-Assad, et ce grâce à la démonstration de force du Hezbollah (opération baptisée « chemises noires »), puis de l’élection du Patriarche maronite Bechara Raï, avec la volonté d’ouvrir une nouvelle page avec la Syrie. Parallèlement, le Hezbollah a multiplié les attentats ciblés, exécutant une quinzaine de personnalités politiques appartenant au camp souverainiste (Pierre Gemayel, Antoine Ghanem, Mohamed Chatah, Georges Hawi, Walid Eïdo, Gebran Tueini…), ou des militaires engagés dans l’enquête du TSL (Wissam Eid, Samer Hanna, François el-Hage, Wissam el-Hassan…).

L’éclatement de la révolution syrienne, en mars 2011, a anéanti l’espoir du régime syrien, particulièrement affaibli, de reconquérir le Liban. Mais Damas s’est servi de ses agents pour transformer le Liban en poumon économique indispensable à sa survie. Ainsi, le CPL a rejeté la demande des souverainistes de fermer la frontière et de déployer l’armée et la FINUL afin d’empêcher le flux de réfugiés, prétextant la situation humanitaire. Mais en réalité, c’était pour permettre au Hezbollah de circuler librement à travers la frontière pour seconder Assad et le défendre, et pour permettre aux trafics de carburants et d’armes au profit du régime de contourner l’embargo qui frappait la Syrie. Parallèlement, le Patriarche a pris la défense d’Assad sur la scène internationale, affirmant qu’il était un moindre mal par rapport aux terroristes. Or, tout le monde le sait, et les Libanais plus que quiconque: les terroristes étaient formés dans les prisons d’Assad et libérés pour islamiser la contestation pacifique, pour militariser la révolte, pour nuire à l’opposition et pour terroriser la communauté internationale.

Ainsi, Daech a rendu d’inestimables services au régime. Le groupe radical a beaucoup plus combattu l’opposition modérée que l’armée d’Assad et a justifié l’ingérence de l’Iran, du Hezbollah et de la Russie au nom de la lutte contre le terrorisme. L’Etat islamique a aussi commandité des attentats en Occident pour faire basculer l’opinion publique en faveur du dictateur, avec la complicité des associations et des journalistes occidentaux liés à Damas. Les services d’Assad ont aussi tenté de déstabiliser le Liban en y envoyant l’ancien ministre Michel Samaha, pris en flagrant délit de transport d’explosifs, avec la complicité du général Jamil Sayyed. Ce fut la section « chiito-chrétienne » de Daech.

Assad reprend du poil de la bête et passe à l’offensive

Aujourd’hui que le régime a reconquis la majeure partie des territoires contrôlés par l’opposition, grâce à l’Iran et à la Russie, au prix de nombreux massacres, il renoue avec son rêve de reprendre le Liban, ou du moins de l’exploiter sur la voie de sa réhabilitation. Après l’avoir détruit entre 1976 et 1990, après l’avoir occupé et ruiné entre 1990 à 2005, et après avoir « pompé » ses dollars durant l’été 2019 grâce au rapatriement de plusieurs milliards de dollars par ses argentiers nouvellement naturalisés par Michel Aoun devenu président – provoquant la chute de la Jammal Trust Bank et la révolte du 17 octobre – le régime syrien tente aujourd’hui de normaliser avec le Liban. Pour ce faire, il compte sur un Président fantoche, sur un gouvernement contrôlé par le Hezbollah et sur ses difficultés économiques. Le secrétaire général du Haut Conseil Syro-Libanais, Nasri Khoury, a rencontré ces derniers jours le ministre libanais de l’Industrie. Au nom d’Assad, Khoury propose au Liban des facilités dans les échanges économiques et la suppression des taxes douanières sur le commerce de transit à travers son territoire, à condition que cette coopération entre dans le cadre d’un processus politique entre les deux Etats. Autrement dit, Damas exige que cette coopération vienne couronner la normalisation politique et la réhabilitation d’Assad à travers des visites officielles du Président Aoun et du Premier ministre Hassan Diab, nommé par le Hezbollah, à Damas. Il n’est pas exclu aussi que, parmi les exigences syriennes, figure l’annulation du TSL sur demande officielle libanaise. Déjà en octobre 2019, le ministre libanais des Affaires étrangères d’alors, Gebran Bassil, avait appelé la Ligue arabe à réintégrer la Syrie. Sa tentative n’était pas désintéressée: Bassil rêve de succéder à son beau-père à la Présidence et tente de séduire le Hezbollah et Assad pour solliciter leur soutien.

Mais le processus de normalisation unilatéral n’est pas sans risques. Il exposera le Liban à de nouvelles sanctions internationales pour avoir violé l’embargo sur le régime. Le Liban sera aussi exclu du marché de reconstruction de la Syrie et des programmes d’aides. Son secteur bancaire, déjà vacillant sous le poids de la crise et de l’endettement, sera lui aussi sanctionné et déconnecté du réseau international. D’ores et déjà, le Numéro 2 du Hezbollah, Naïm Kassem, s’est opposé à toute restructuration de la dette libanaise par le FMI. Il en redoute les conditions, naturellement défavorables au Parti de Dieu. La diaspora libanaise, notamment dans les pays du Golfe, sera particulièrement affectée par la mise en quarantaine de leur pays et ses transferts vers le Liban seront interdits…

Face au risque d’une quarantaine, la révolution doit se poursuivre

Un ancien diplomate libanais affirme que « le Pays du Cèdre n’aura rien à gagner de cette normalisation. Bien au contraire, il risque d’être mis en quarantaine. » Sauf que, précise notre interlocuteur, « les intérêts du président Michel Aoun, de Gebran Bassil et du Hezbollah semblent placés au-dessus des intérêts du pays. » Selon cet ancien haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères, qui a côtoyé Bassil, « les Libanais qui rêvent de souveraineté, de liberté et de prospérité, doivent se dire aujourd’hui: tout ça pour ça? Il ne leur reste que poursuivre leur révolution pour empêcher ce scénario catastrophe qui anéantirait tous leurs espoirs. D’autant plus qu’une mise en quarantaine du Liban retarderait tous les projets de restructuration de sa dette, l’appauvrirait davantage et bloquerait l’exploitation du gaz promise avec fanfare par le pouvoir. » Notre source ironise à ce sujet et met en garde les Libanais contre les promesses illusoires du président Aoun et Gebran Bassil: « si l’exploration va à son terme, aucune exploitation ne peut être envisageable avant 7 à 9 ans. Le Liban a un train de retard sur ses concurrents et ses voisins et ne dispose d’aucune infrastructure pour liquéfier le gaz, le transporter, le stocker ou l’exporter. »

Le Hezbollah et ses alliés, particulièrement le président Aoun et Gebran Bassil, continuent de brader le Liban pour satisfaire la Syrie et l’Iran. Ils estiment que l’union entre les trois pays fait la force. Ils veulent ouvrir le marché libanais aux produits iraniens, y compris les médicaments non-homologués, et développer le commerce des matières premières avec la Syrie pour éviter d’importer en devises. Ils souhaitent également relancer le projet de gazoduc islamique (Iran-Irak-Syrie-Liban) proposé par Téhéran au milieu des années 2000, avec une connexion au réseau électrique de « l’Empire perse » que l’Iran rêve de reconstituer. Mais la guerre en Syrie, la déstabilisation de l’Irak et les déboires de l’Iran mis sous embargo ont mis ce projet en veille. Un économiste libanais rencontré à Rome rappelle que « l’union entre des pauvres ne fait qu’accentuer leur pauvreté. Une telle alliance n’a jamais produit des richesses. Mais peu importe, Michel Aoun et Gebran Bassil ont déjà amassé une fortune inépuisable, malheureusement en vendant leur âme. Ils ont hypothéqué le Liban et son avenir comme ils l’avaient détruit dans le passé et l’ont ruiné au présent. L’exemple des années 1988-1990 reste gravé dans la mémoire collective. » Un bien triste constat que nombreux Libanais refusent toujours de voir.

Sanaa T.

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