(Rome, 02 décembre 2025). Alors que plusieurs parlementaires américains contestent la conduite de récents raids menés contre des embarcations en zone de conflit, le chef du Pentagone, Pete Hegseth, est au centre d’un scandale explosif. Le Congrès a lancé une enquête pour clarifier les responsabilités et déterminer si des violations du droit international humanitaire ont pu être commises. Une mise en cause sans précédent qui ébranle Washington et relance le débat sur les dérives de la guerre antidrogue menée sous Donald Trump
Le Congrès américain enquête afin de déterminer si l’administration de Donald Trump, et plus particulièrement le secrétaire à la Défense Pete Hegseth, pourraient avoir commis des crimes de guerre en ordonnant des attaques ciblées contre les navires de trafiquants de drogue présumés opérant en mer des Caraïbes et, dans une moindre mesure, dans l’océan Pacifique, écrit Andrea Muratore dans le portail italien «Inside Over».
Pete Hegseth mis en cause
Jamais auparavant un chef du Pentagone n’avait été accusé de crimes aussi graves durant son mandat. Pete Hegseth est particulièrement dans le collimateur de plusieurs membres des commissions des forces armées, tant de la Chambre des représentants que du Sénat et, plus important encore, il fait l’objet d’un examen bipartisan. Dans un contexte de polarisation politique croissante, des voix critiques se sont élevées aussi bien du côté démocrate que du côté républicain.
«Ces attaques ont suscité l’inquiétude des élus républicains et démocrates, des experts en droits de l’homme et des observateurs critiques quant à l’illégalité de ces actions militaires en vertu du droit national et international», note pour sa part le «Financial Times».
L’inattendu axe Kelly-Paul
Mark Kelly, ancien astronaute, sénateur démocrate de l’Arizona et expert des questions de sécurité, a déclaré que, selon lui, l’ordre donné par Hegseth en septembre d’éliminer tous les membres d’un équipage bombardé, après qu’une première frappe ait laissé deux survivants, pourrait constituer un crime de guerre.
Ce «Kill Them All/Tuez-les tous !» est perçu comme un aveu de culpabilité. Kelly, représentant de l’aile traditionnelle et proche de l’establishment progressiste du Parti démocrate, se retrouve ainsi sur des positions proches de celles exprimées dès octobre par Rand Paul, sénateur républicain du Kentucky. Pour Paul, l’armée américaine «exécute sommairement des personnes sans présenter de preuves au public». Il a qualifié les manœuvres américaines dans les Caraïbes d’«exécutions extrajudiciaires», et donc d’actes illégaux.
Mike Rogers et Roger Wicker, chefs de file républicains des commissions des forces armées de la Chambre et du Sénat, d’une part, et Adam Smith et Jack Reed, leurs homologues démocrates, de l’autre, ont promis un examen rigoureux des actions de l’administration. Tout cela se déroule alors que Donald Trump met en œuvre une stratégie à plusieurs volets pour faire pression sur le pays qu’il considère comme le principal coordinateur du trafic de drogue régional : le Venezuela de Nicolas Maduro.
La stratégie américaine en Amérique latine
En alternant pressions militaires, menaces d’intervention et tentatives de diversion (on parle même d’un appel téléphonique avec Maduro), Donald Trump relance la présence militaire américaine dans l’«arrière-cour» des Etats-Unis.
Pour lui et Hegseth, l’interventionnisme contre les narcotrafiquants, ou les présumés narcotrafiquants, sert à réaffirmer la stratégie de primauté du Pentagone dans ce qu’il appelle «l’hémisphère occidental», une stratégie mise en avant par le Pentagone. Il sert également à consolider la rupture de l’administration avec le multilatéralisme et à renforcer l’idée d’une Amérique-forteresse, prête à frapper toute menace contre sa sécurité et celle de sa population. De plus, la militarisation de la mer des Caraïbes constitue un moyen de dissuasion face à la Chine et à la Russie, dont l’influence ne cesse de croître en Amérique latine. L’Amérique veut apparaître comme un empire qui a renoué avec la force, mais son élite politique est divisée. Les précédents d’un interventionnisme désastreux et le césarisme d’une administration qui contourne fréquemment le Congrès ont réactivé le rôle des contre-pouvoirs de Washington. Pete Hegseth devra désormais rendre des comptes.
«Au-delà du seul cas Hegseth, l’affaire révèle les fractures profondes qui traversent Washington face à une politique de sécurité de plus en plus agressive», précise un expert européen. Reste à savoir si cet examen sans précédent ouvrira la voie à une remise en question de la stratégie américaine dans la région, et au-delà.
Cette affaire alimente les accusations de deux poids, deux mesures et fragilise la crédibilité morale que les États-Unis revendiquent sur la scène internationale. Le contraste entre la fermeté affichée envers Moscou (sur le conflit en Ukraine) et les pratiques contestées dans leur sphère d’influence nourrit l’idée d’un double standard, donnant prise aux critiques de leurs adversaires comme de certains alliés, notamment européens. Pour conclure, l’enquête dira aussi si Washington peut aligner ses principes et ses actes.